Pour évaluer un terrain, observer et comprendre l’évolution des prix, mener des politiques foncières, il faut distinguer plusieurs marchés fonciers qui ont chacun leur propre logique de formation de la valeur
2010
Quels sont les facteurs qui agissent sur la formation de la valeur vénale des terrains ? Comment organiser l’observation des prix et expliquer leurs mouvements ? Quelle méthode d’évaluation adopter ? Quelle politique foncière mettre en oeuvre ? Impossible de répondre à cette question sans distinguer plusieurs marchés fonciers (1), six au total, qui ont chacun leur propre logique de détermination de la valeur, sachant que, pour finir, la négociation se fera sur le marché pour lequel la valorisation obtenue sera la plus forte.
« Rare et cher »
Au Café du Commerce, rien n’est plus simple que le fonctionnement des marchés fonciers et immobiliers : Si les prix des terrains ou des logements augmentent, c’est parce que les acheteurs sont plus nombreux que les vendeurs et s’ils diminuent, c’est évidemment pour la raison inverse.
L’idée qu’il existe toujours, nécessairement, autant de vendeurs que d’acheteurs, est difficile à faire admettre. Pour réaliser une transaction, il faut pourtant être deux. Aucun statisticien n’a jamais été capable de comptabiliser, ni les vendeurs qui ne vendent pas parce qu’ils refusent de réviser leurs prétentions à la baisse, ni les acheteurs qui n’achètent pas parce que leur porte-monnaie n’est pas à la hauteur de leurs rêves. Autre idée reçue, voisine de la précédente et mille fois énoncée doctement : « les terrains sont chers parce qu’ils sont rares et tout ce qui est rare est cher ». Autrement dit, vous seriez passé il y a seulement dix ou quinze ans, vous auriez trouvé beaucoup de terrains à acheter, mais aujourd’hui il n’y en a plus.
L’idée que la surface du territoire est une donnée, qu’elle ne diminue pas lorsque les prix montent et qu’elle n’augmente pas quand ils descendent, provoque un abîme de perplexité chez l’interlocuteur. La loi de l’offre et de la demande qui, depuis l’école, conditionne toutes nos réflexions, n’est décidément d‘aucun secours pour comprendre quelque chose à l’économie foncière. Pire, elle nous égare.
La valeur dépend des acheteurs
Sur la plupart des marchés, disons celui des vélos, il y a un petit nombre d’offreurs (de vendeurs, de fabricants) en concurrence les uns avec les autres qui satisfont la demande des acheteurs potentiels. Les prix, régulés par cette concurrence, dépendent essentiellement des coûts de fabrication et de commercialisation, tandis que les quantités vendues résultent du nombre de clients intéressés et solvables au prix qui est proposé. Si pour une raison quelconque (par exemple, la création de péages pour accéder au centre-ville), le nombre de candidats cyclistes augmente, la chaîne de l’offre réagira par une augmentation de la production. Et il en résultera vraisemblablement, plutôt une baisse qu’une augmentation des prix (du fait des économies d’échelle de production mais aussi de distribution).
Dans le cas particulier du marché de l’espace, c’est à peu près tout le contraire qui s’observe : la valeur d’un espace ne dépend que de la compétition que se livrent ses acquéreurs potentiels. Cette valeur sera, en définitif, celle que lui accordera l’acquéreur disposé à y mettre le prix le plus élevé, compte tenu de l’usage qu’il en a. La seule liberté du propriétaire (vendeur potentiel de cet espace), est d’accepter le prix le plus élevé qui lui est proposé ou de refuser de vendre. En dépit des apparences, le prix d’un terrain ne dépend donc jamais du propriétaire-vendeur, sauf dans quelques cas très particuliers où le vendeur a une raison de vendre en dessous de la valeur du marché à un acquéreur donné.
La valeur vénale d’un terrain ne résulte pas, comme pour les autres biens, des conditions de l’offre, mais des conditions de la demande (la compétition entre les acquéreurs). Puis, le nombre de mutations qui se produiront dans le secteur dépendra du nombre de propriétaires disposés à vendre à un tel prix.
Six modes de valorisation de l’espace
L’idée de distinguer six marchés fonciers sur lesquels les prix se forment selon des logiques différentes, ne résulte pas d’une réflexion théorique mais des besoins de l’observation des valeurs foncières et de la recherche d’explications susceptibles de rendre compte des amples mouvements qui les caractérisent.
Dans l’étude des politiques foncières locales, il est évidemment nécessaire de commencer par distinguer d’une part le marché de la ressource foncière (le « foncier brut » à aménager, encore qualifié de « gisement foncier ») et d’autre part le marché des terrains à bâtir qui auront été produits à partir de ces « terrains bruts ». C’est la distinction toute simple entre le prix de la matière première et celui du produit fini. L’aménageur intervient comme acheteur sur l’un et comme vendeur sur l’autre. L’un des principaux objectifs d’une politique foncière locale sera précisément d’organiser une forte différentiation de ces deux marchés afin de rendre économiquement viable un processus de fabrication de terrains à bâtir qui ne soit pas trop tributaire des subventions publiques.
Cependant, en examinant chacun de ces deux marchés, on découvre vite qu’ils se comportent différemment selon qu’ils fonctionnent dans un contexte d’extension urbaine ou, au contraire, dans un contexte de recyclage urbain. De deux marchés, on est alors conduit à passer à quatre, avec deux marchés de gisement foncier, l’un qui porte sur l’espace naturel à urbaniser, l’autre sur les terrains anciennement urbanisés à recycler, et deux marchés de terrains à bâtir, l’un qui est constitué des nouveaux terrains à bâtir aménagés en périphérie, tandis que l’autre consiste plutôt en un marché de « droits à bâtir » dans le tissu urbain existant où l’aspect physique du terrain tend à s’estomper.
Puis il reste encore le marché de l’espace « naturel » (2) destiné à rester naturel. Mais là encore, on découvre qu’il est impossible de rendre compte de la formation de la valeur sans distinguer au moins deux grands types de situations : d’un coté, l’espace naturel qui est acheté pour ses capacités productives (céréales, vin, bois, viande, etc.) ; de l’autre, l’espace naturel dont la valeur résulte avant tout de ses fonctions récréatives, voire culturelles.
Comme on le voit, cette typologie est fonctionnelle. Elle n’a bien sûr rien à voir avec les simples distinctions régionales que l’on a coutume de faire en opposant par exemple le marché parisien à celui de la côte d’Azur, ou du Limousin. Même si les marchés des terrains bruts autour de Nice et de Limoges sont à des niveaux très différents, ils fonctionnent de la même manière qui n’est pas celle qui s’observe dans les quartiers existants de ces mêmes villes.
Cette typologie ne recouvre pas non plus la distinction que l’on fait parfois entre terrains à usage résidentiel, à usage de bureaux ou à usage d’activités. Lorsque plusieurs types de programmes sont possibles sur un même terrain, c’est normalement l’opération qui peut supporter la plus forte charge foncière qui s’imposera par le jeu du marché et qui sera donc réalisée. Le fait que, dans un quartier, les bureaux puissent chasser les logements (ou l’inverse), montre bien qu’il s’agisse d’un unique marché des terrains à bâtir. Les logiques d’implantation des bureaux et des logements sont différentes, comme sont différents les facteurs de plantation des agrocarburants et des vignobles, mais les marchés fonciers correspondants gardent leurs modes de fonctionnement spécifiques. La typologie proposée met enfin en évidence l’existence, sur un même espace, de plusieurs potentialités foncières possibles qui se caractérisent du point de vue de l’acheteur. Disons qu’il existe autant de modes de formation de la valeur d’un terrain qu’il existe de raisons d’acheter ce terrain. Ce n’est pas l’usage actuel du terrain qui fait sa valeur, mais son usage futur.
1er marché. L’espace naturel acheté comme bien de production.
Les marchés des terres achetées en vue de leur exploitation, qu’il s’agisse de vignes, de terres labourables, de forêts, etc., fonctionnent tous selon un même mécanisme. Même si le prix des vignes n’a rien à voir avec celui des prairies, le mode de formation de leurs valeurs est identique,. Cette valeur résultera de l’actualisation des valeurs ajoutées attendues par leur mise en production donc, à la fois, des prix attendus des produits agricoles, des coûts prévisibles de mise en production et du prix de l’argent (3).
Le fait que la valeur d’une terre ne se mesure plus seulement à la valeur ajoutée de la production agricole qu’elle permet, mais plutôt à sa capacité, pourrait-on dire, à « produire des subventions », ne modifie pas fondamentalement la logique de base de ce marché : c’est la valeur de la production ou de la subvention attendue qui fait la valeur du foncier. A la limite, on a même pu observer que l’attribution de subventions pour la mise en friche de terres agricoles (afin de limiter les excédents de production) avait pu augmenter la valeur de certaines mauvaises terres peu productives : les aides à l’hectare constituent une rente foncière et la valeur de la terre traduit alors l’actualisation de cette rente. On peut, certes, douter de l’utilité sociale de tels mécanismes, mais c’est une autre histoire.
Le marché des terres agricoles est certainement le mieux connu des marchés fonciers sur le plan statistique, à la fois parce que les observations sont nombreuses et anciennes, parce que les terres échangées présentent des valeurs relativement homogènes (4), et parce que l’existence d’un droit de préemption des SAFER sur toutes les terres agricoles rend particulièrement facile la collecte des données.
C’est aussi le marché qui a été le plus abondamment théorisé. N’est-ce pas en cherchant à expliquer la formation de la valeur de la terre agricole, que la science économique a fait ses premiers pas, il y a plus de deux siècles ?
2ème marché. L’espace naturel acheté comme bien de consommation
Alors que, sur le 1er marché, la formation de la valeur foncière dépend des conditions économiques de l’exploitation des terrains, il est de plus en plus fréquent que la terre soit achetée comme un bien de consommation. Le prix que l’acquéreur est prêt à payer ne mesure pas le revenu qu’il espère dégager de son exploitation, mais le plaisir qu’il attend de sa détention.
Le cas le plus classique est celui du terrain de chasse. Il est clair que si la valeur du champ de maïs est étroitement conditionnée par le prix du quintal de maïs, par les subventions européennes, par les coûts des techniques d’irrigation autorisées, etc., la valeur de l’hectare de chasse, elle, ne dépend nullement du prix du kilo de faisan. Ce que l’on achète sur le second marché c’est, si l’on peut dire, l’actualisation des plaisirs futurs que l’on aura à tirer le perdreau. L’agriculteur, lui, n’est pas censé retirer du plaisir à cultiver la terre achetée sur le premier marché.
Loin de procurer un revenu à son acquéreur, l’espace acheté sur le second marché va lui coûter de l’argent chaque année. Les vieilles théories de la rente foncière, parfois remises à neuf et toujours enseignées dans nos universités, n’ont donc plus ici aucune portée. C’est un marché qui fonctionne plutôt comme le marché de l’art et qui est traversé par des effets de mode.
Longtemps, ce second marché est resté marginal et les économistes n’y avaient accordé aucune attention particulière. Ce n’est plus le cas. Du fait de la stagnation historique de la valeur de la terre agricole (en 2000, un hectare de terre labourable valait 20% moins cher, à pouvoir d’achat constant, qu’il ne valait en 1900) et de la progression des niveaux de vie, la surface d’espace naturel que permet d’acquérir un mois de salaire moyen a considérablement augmenté. Tout le contraire de ce que prévoyaient les économistes du 19ème siècle. La détention d’espaces récréatifs qui était un luxe réservé à une toute petite minorité, est devenue beaucoup plus banal, d’autant que le développement des temps de loisir et l’augmentation des distances parcourues en une heure de déplacement ont considérablement facilité la « consommation » de l’espace naturel (5).
A côté des terrains de chasse, la multiplication des terrains de week-end, des espaces résidentiels de loisir, des parcs, des golfs, des jardins d’agrément, des élevages récréatifs de chevaux, lamas, et autres cervidés finit par représenter des surfaces considérables. Si l’on veut bien considérer que la plupart des acquisitions d’espaces naturels par des non agriculteurs corresponde à une alimentation de ce second marché (6), on peut estimer que celui-ci est déjà devenu statistiquement plus important que le premier sur environ le quart du territoire.
En pratique les mêmes terres se trouvent souvent, au moins potentiellement, sur les deux marchés à la fois. La même prairie naturelle peut être simultanément convoitée comme terrain de week-end par des urbains et comme champs d’épandage par un éleveur hors-sol soucieux de se mettre en conformité avec les nouvelles réglementations. Sauf intervention administrative (7), le vendeur vendra au plus offrant, et c’est le type d’usage qui lui accordera la plus forte valorisation qui décidera de son affectation, donc de la logique de sa valorisation.
Les deux logiques qui s’affrontent sont totalement étrangères l’une à l’autre, et c’est précisément pourquoi il faut les analyser comme appartenant à deux marchés distincts.
Tout ce passe comme s’il s’agissait de deux biens de natures différentes, procurés par le même espace et exclusifs l’un de l’autre. Alors que sur le premier marché, vont être pris en considération, les droits à produire, la nature des sols (8), etc. ; sur le second marché, il suffira du survol d’une ligne à haute tension pour provoquer un effondrement de la valeur.
On notera enfin que, contrairement à une idée reçue, les acquisitions d’espace naturel sans finalité agricole, ne répondent pas, pour autant à une logique d’anticipation spéculative (telle que l’attente d’une urbanisation future). Tout au contraire, l’expérience montre que, le moment venu, ce sont les propriétaires de tels espaces qui sont les plus farouches opposants à la réalisation de nouvelles opérations d’aménagement alors qu’un exploitant agricole acceptera plus volontiers de se faire exproprier un hectare, si cela lui permet d’en acheter deux, un peu plus loin.
3ème marché. L’espace naturel acheté comme matière première.
Pour l’aménageur, l’espace naturel est la matière première d’un processus de production. C’est donc à juste titre qu’on qualifie souvent de « gisement foncier » les espaces naturels voués à être urbanisés. Comme tous les marchés de matière première (à commencer par celui du pétrole), ce troisième marché est un marché plus politique qu’économique. Aucune loi économique ne rend vraiment compte des valeurs atteintes par le gisement foncier. Pour qu’il y en ait, il faudrait imaginer une ville qui ne pratiquerait absolument aucune politique d’aménagement et laisserait aménager et construire n’importe quel terrain sans autre régulation que la sécurisation du marché. Or, même dans les pays ultra-libéraux, cela n’existe pas.
Le raisonnement économique permet donc seulement d’annoncer que le prix minimum sera au moins celui de la terre agricole (mais son niveau est ridiculement faible par rapport à la moindre valeur urbaine), et qu’il n’y a pas d’autre maximum que celui du prix du terrain constructible (de l’ordre de trente fois plus cher que la terre agricole) si tous les travaux d’aménagement sont financés par les budgets publics. La fourchette des possibilités est donc si largement ouverte qu’elle ne fournit aucune indication utile. Ce sont en définitive les politiques foncières locales, les politiques d’aménagement, qui décideront, seules, à l’intérieur de cette vaste fourchette, du niveau de la « rente d’urbanisation » dont bénéficieront les anciens propriétaires en place.
On peut, à la limite, imaginer une politique foncière locale très stricte qui procéderait par expropriation des espaces naturels nécessaires à l’urbanisation, ne délivrerait aucune autorisation d’urbanisme sur des terrains dont elle n’ait pas organisé préalablement l’aménagement et qui ne laisserait donc aucun espoir de plus-value aux propriétaires initiaux. Tout le différentiel entre le prix foncier agricole et le prix du terrain constructible est alors mobilisé pour financer les travaux d’équipements, afin d’éviter d’avoir à les faire payer par les contribuables. Les politiques suivies dans certains pays, en particulier en Europe du Nord, ont parfois été très proches de ce modèle.
Inversement on peut aussi avoir, à l’autre extrême, une politique laxiste laissant les propriétaires s’approprier la quasi-totalité des plus-values d’urbanisation, tandis que le financement des équipements est laissé au bon soin des collectivités publiques, donc des contribuables (9). Il est intéressant de noter que la nature publique ou privée de l’opérateur n’intervient nulle part dans le raisonnement et ne constitue donc aucunement un enjeu.
Il n’existe pas de véritables statistiques sur le marché du gisement foncier péri-urbain et il serait assez difficile d’en concevoir. En effet, les mutations y sont généralement en petit nombre et leurs valeurs varient considérablement d’un secteur géographique à l’autre (en fonction des coûts d’aménagement) de même que d’une commune à l’autre (en fonction des contrastes entre les politiques communales). Comme il existe 36.000 communes disposant du pouvoir d’urbanisme, et qui n’ont ni les mêmes problèmes ni les mêmes options, tous les cas de figure se rencontrent.
Alors que dans les années 1970, le renforcement de la planification territoriale avait tendu à séparer fortement les valeurs de l’espace naturel périurbain, de celles des terrains urbains, l’assouplissement du zonage réglementaire (introduit en 1986) s’est greffé sur la décentralisation des pouvoirs d’urbanisme et a ouvert la voie à une renégociation permanente des zonages. La contamination des valeurs agricoles par les valeurs urbaines avait été très rapide. Par exemple, en périphérie parisienne, des terres agricoles qui pouvaient encore être négociés au double ou au triple de leur valeur agricole en 1985-1986 pour les extensions urbaines (futur Disneyland) allaient se négocier jusqu’à trente fois leur valeur agricole trois ou quatre ans plus tard, toujours pour des terres agricoles non équipées, inconstructibles, et même parfois non urbanisables au regard des documents d’urbanisme en vigueur.
Plus récemment, à la suite de la loi SRU, le blocage des opérations d’aménagement en extension immédiate des villes a provoqué une multiplication des micros opérations plus lointaines qui a élargie cette contamination à une grande partie du territoire. Il est devenu banal de trouver des terres à cent fois leur valeur agricole (50 € /m2 au lieu de 5.000 € l’hectare) dès lors qu’existe un espoir d’urbanisation future, sans contribution significative aux coûts de cette urbanisation. Cependant les prix des terrains bruts sont restés nettement plus bas dans la périphérie des agglomérations menant des politiques plus rigoureuses.
Ce sont donc bien les politiques foncières qui déterminent le niveau des valeurs, tandis que le rythme de l’urbanisation ainsi que les politiques urbaines (régulation des densités) déterminent les quantités mutées.
4ème marché. Les nouveaux terrains à bâtir
Ordinairement, les terrains nouvellement équipés et rendus constructibles, font l’objet d’un marché très concurrentiel, qu’ils soient revendus sous forme de terrains à bâtir « clef en main » ou qu’ils soient incorporés, sous forme de « charges foncières », aux constructions commercialisé.
Mais il peut aussi se rencontrer une production foncière subventionnée qui échappe aux logiques de marché, soit qu’il s’agisse de terrains pour logements sociaux soit, le plus souvent, qu’il s’agisse des terrains d’activité qui font l’objet de subventions communales massives, compte tenu de la généralisation des pratiques de mise en concurrences des collectivités locales par les investisseurs privés, soucieux de négocier leur apport au dynamisme local contre des avantages sur le foncier.
Mise à part la production foncière subventionnée, le marché des nouveaux terrains urbains n’est pas très difficile à étudier statistiquement car les transactions y sont relativement abondantes et homogènes, particulièrement celles qui portent sur les « terrains individuels », c’est-à-dire ceux destinés à la construction de maisons individuelles.
Il importe, cependant, de ne pas se tromper d’unité de mesure. Un terrain pour maison individuelle ne se vend pas au mètre, comme du tissu. La surface du terrain ne constitue que l’une de ses qualités, au même titre que la proximité de l’école ou que la beauté de ses arbres. En achetant un terrain, le candidat constructeur achète essentiellement un emplacement et des branchements. Il « visite » beaucoup de terrains avant de se décider et, en aucun cas, il n’acceptera de payer un terrain deux fois plus cher pour le seul plaisir d’avoir une pelouse deux fois plus grande à tondre le dimanche. Les statistiques portant sur les terrains individuels n’ont donc de sens que lorsque les prix y sont exprimés par lot et non par mètre carré. Cela est si vrai qu’on observe même parfois que les petits terrains sont, en moyenne, plus chers que les grands, dans la mesure où ils sont mieux situés : Cela signifie simplement que la qualité de la situation a eu plus d’importance pour l’acheteur que la taille du jardin.
La logique de ce 4ème marché est très proche de celle de n’importe quel marché industriel. L’aménageur se procure une matière première (sur le 3ème marché) et il la transforme en cherchant à répondre au mieux à la demande solvable, tout en faisant face à la concurrence des autres aménageurs (publics ou privés). Cette concurrence entre les opérateurs tend à ramener le niveau des prix fonciers vers le coût de fabrication des terrains dans la composition duquel entre, pour une part éminemment variable, le coût de la matière première, le gisement foncier. C’est ensuite le nombre des acheteurs qui déterminera les quantités mutées et, par suite, les nouvelles quantités produites.
On notera au passage qu’un bon aménageur disposant des terrains bruts nécessaires n’a pas pour objectif de produire le plus vite le plus grand nombre possible de terrains à bâtir, mais seulement d’en produire à un rythme épousant au plus près celui des ventes, en faisant en sorte de ne manquer aucune vente avec un minimum de stock. Il est donc curieux de voir certaines administrations entretenir une statistique des lots de terrains à la vente pour mesurer « l’offre foncière », et présenter comme un signe de bonne santé ce qui n’est que l’indication d’une progression des invendus.
5ème marché. Les vieux terrains à recycler
Dans un quartier ancien où le marché fonctionne normalement, il existe chaque année une fraction du parc immobilier, le plus vétuste, où la valeur du vieux bâtiment existant finit par devenir inférieure à la valeur du terrain (10). Le fonctionnement spontané du marché tend alors à ce que le bien soit vendu pour être démoli et reconstruit.
Comme sur le 3ème marché, il s’agit donc d’un gisement foncier, mais il est facile de voir que la nature économique en est tout autre. A la différence du 3ème marché où la valeur économique de l’usage actuel des terrains (la valeur agricole) est négligeable par rapport à l’usage futur potentiel et où les prétentions du vendeur ne dépendent que des plus-values d’anticipation que la politique foncière menée lui permet d’espérer, le 5ème marché porte sur des terrains dont l’usage actuel présente une valeur économique déjà élevée.
Une augmentation, même assez faible, des densités autorisées aura aussitôt pour effet de faire basculer un certain nombre de propriétés bâties de moindre valeur dans le gisement foncier potentiel. Mais ce sera surtout l’augmentation des prix de l’immobilier qui, paradoxalement, du fait de l’effet de levier de l’immobilier sur le foncier, rendra possible une série d’opérations de démolition-reconstruction qui ne l’étaient pas précédemment.
Deux situations sont pourtant à distinguer : 1. Dans un contexte de simple renouvellement du tissu urbain existant, sans restructuration majeures, la vente aura lieu dès que le prix proposé, lui-même justifié par la hausse des prix de sortie, sera plus élevé que la valeur économique de l’usage actuel. Dans les périodes de hausse des valeurs immobilières du parc existant, on aura par voie de conséquence, une hausse des prix de sortie des opérations nouvelles et donc, à travers le compte à rebours, une hausse des charges foncières acceptables. Il s’en suit une multiplication des opérations ponctuelles.
2. Dans le cas d’une restructuration-densification du tissu existant, accepté ou recherché, voir organisé par la collectivité publique, on retrouve comme sur le 3ème marché un certain rôle de la politique foncière sur la formation de la valeur, mais les marges de manoeuvre y sont nettement plus étroites. Dans une période de recul des marchés immobiliers, il se peut même, qu’il n’y ait plus de marge du tout, et que toute opération de restructuration devienne impossible, sauf à ce que la collectivité publique décide de faire financer par les contribuables non plus seulement le renforcement des équipements, mais le déficit foncier lui-même.
Le paradoxe apparent du 5ème marché est donc un fait d’observation : plus les prix sont élevés, plus le nombre des mutations est grand. Plus les terrains sont chers, moins ils sont « rares » à être acheté. On a pu le constater à Paris, à la fin des années 1980, lorsque le doublement des prix de l’immobilier a entraîne le triplement des prix des terrains mais aussi le triplement concomitant du nombre des mutations.
Inversement, il existe une contradiction entre les politiques qui visent à freiner les prix de l’immobilier et celles qui cherchent à favoriser la « reconstruction de la ville sur elle-même » plutôt que de l’étendre vers la périphérie. Une ville ne peut agir pour tenter de geler durablement les prix de l’immobilier qu’à la condition d’accepter, en même temps, un certain gel du renouvellement de son tissu urbain.
6ème marché. Les droits à bâtir achetés dans le tissu existant.
Il existe à nouveau une certaine similitude de fonctionnement entre le 6ème marché des terrains « remis à neuf » (dans le tissu existant) et le 4ème marché des terrains « neufs » (de la périphérie). Cependant il demeure commode de les distinguer car le 6ème marché tend à n’être qu’un marché de droits à bâtir tandis la qualité physique du terrain conserve toute son importance sur le 4ème marché. A la limite le 6ème marché peut même cesser d’être « foncier » lorsqu’on en vient à vendre des droits à bâtir sans terrain. C’est proprement ce qui se passe lorsqu’est mise en oeuvre la technique de la division de propriété en volume. Mais on n’en est pas très loin lorsque n’est plus vendu que le tour d’échelle de la futur construction ou qu’un bail à construction dissocie, pour une longue période, la propriété de la construction et du terrain.
Dans tous les cas, l’unité de mesure de la valeur foncière n’est plus le mètre carré de terrain, mais le mètre carré de plancher, la Shon (surface hors œuvre nette de plancher constructible). Il est même d’observation courante qu’un droit à bâtir, sur un emplacement donné, aura tendance à se négocier plus cher si le terrain qui y est attaché est plus petit, car le terrain ne représente plus alors qu’un coût supplémentaire d’aménagement et d’entretien qu’il est beaucoup plus rentable de reporter sur la collectivité publique.
Alors que sur le 4ème marché, le terrain, dans sa dimension physique, continuait à être valorisé positivement (mieux vaut un grand qu’un petit jardin à côté de sa maison), sur le 6ème marché, dans les secteurs les plus denses, le terrain est plutôt une source de coûts et il induit une diminution de la charge foncière acceptable.
Sur le 6ème marché, la valeur du foncier est essentiellement une valeur d’emplacement avec trois grands paramètres explicatifs qui sont, dans l’ordre : le marquage social, l’accessibilité et les « aménités urbaines », le troisième, qualitatif, étant alors modélisé comme un résidu tandis que les deux premiers sont assez bien quantifiables.
… et les terrains à valeur négative Pour être complet, il faudrait encore évoquer, pour mémoire, le cas des terrains dont la valeur économique est à proprement parler négative, ceux où le coût de mise en oeuvre de n’importe quel usage est supérieur à la valeur de cet usage. Si de tels terrains font l’objet de transactions, ce ne peut être que pour des prix de convenance ; c’est ainsi qu’une collectivité publique pourra décider d’assumer à fonds perdus la réhabilitation d’un terrain pour restaurer l’image du site environnant.
Les terrains n’ayant aucune utilisation économiquement possible sont aujourd’hui très rares. L’exemple type en serait celui des terrains de Tchernobyl. Sans aller jusqu’en Ukraine, il existe en France une série de petits Tchernobyl plus modestes : ce sont les friches industrielles polluées dont les coûts de dépollution sont supérieurs à la valeur de n’importe lequel des usages futurs que cette dépollution permettra.
Autrefois, les nombreuses « terres vaines et vagues » de l’ancien droit étaient également des espaces à valeur négative : personne n’aurait songé à revendiquer la propriété d’une lande bretonne inculte ou d’un marais inexploitable. Mais ces espaces sont aujourd’hui valorisés sur le 2ème marché et peuvent valoir plus chère qu’une bonne terre labourable.
Texte paru dans le numéro 75 (décembre 2009 – janvier 2010) de « L’Observateur de l’immobilier
Marchés, conjoncture et bulles immobilières