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Le nouveau régime de marginalité

Dans son ouvrage « Parias Urbains – Ghetto, Banlieues, Etat », Loic Wacquant réalise une comparaison entre les bouleversements de la ceinture noire américaine et les transformations de la ceinture rouge parisienne en voie de désindustrialisation.

David Bodinier

2010

Dans son ouvrage « Parias Urbains – Ghetto, Banlieues, Etat », Loic Wacquant réalise une comparaison entre les bouleversements de la ceinture noire américaine et les transformations de la ceinture rouge parisienne en voie de désindustrialisation. L’auteur s’attache tout d’abord à la description et l’explication de la transformation institutionnelle qu’a connue le ghetto afro-américain, puis il élabore une comparaison de la structure, des expériences vécues et des fondements politico-économiques de la marginalité aux Etats-Unis et en France à partir d’une étude empirique centrée sur la cité des Quatre mille à la Courneuve. Ces travaux aboutissent à une esquisse de la marginalité avancée entendue comme « nouveau régime de relégation sociospatiale et de fermeture excluant qui s’est cristallisé dans la ville postfordiste sous l’effet du développement inégal des économies capitalistes et de la désarticulation de l’Etat providence ». Loic Wacquant propose six propriétés distinctives du nouveau régime de marginalité, en rappelant les limites d’un tel exercice, « il ne s’agit ici que d’un idéal type entendue comme abstraction sociohistorique fondée sur les manifestations effectives d’un phénomène ». 

La première propriété est le salariat comme vecteur d’instabilité et d’insécurité sociale. Alors que lors de la période fordiste, le salariat permettait une solution efficace aux problèmes de la marginalité urbaine, aujourd’hui le travail salarié est devenu « source de fragmentation et de précarité sociales plutôt que d’homogénéité, de solidarité et de sécurité pour ceux qui se trouvent confinés dans les zones frontalières ou inférieures de la sphère de l’emploi ». À travers une série de mécanismes (précariat, flexibilité, durée d’embauche, couverture sociale réduite, étiolement du droit du travail…) le travail a perdu sa capacité intégratrice et le contrat social fordiste-keynésien a été en partie entamé. La conséquence au niveau spatial a été logiquement l’aggravation des difficultés dans les zones où se concentre le nouveau prolétariat postfordiste.

La deuxième propriété est la déconnexion fonctionnelle des tendances macroéconomiques. De fait, la marginalité avancée est de plus en plus déconnectée des tendances globales de l’économie. Ainsi, les conditions sociales dans les quartiers relégués ne se sont pas améliorées lors des périodes de croissance, comme lors de la décennie 1980 et la seconde moitié des années 90. Malgré de hauts gains de productivité et de richesse, Dunkerley y voit l’émergence d’un type de « croissance sans emploi ». Loic Wacquant observe en conséquence que « les politiques qui visent à étendre la sphère de l’emploi marchand ont toutes chances d’êtres à la fois coûteuses et inefficaces, puisque leurs effets ne se répercuteront sur les nouveaux parias urbains qu’en dernier, selon un processus de propagation descendantes (trickle down) ».

La troisième propriété est la fixation et la stigmatisation territoriales. La pauvreté et la marginalité avancées tendent à se concentrer dans des zones géographiques délimitées qui sont de plus en plus perçues comme des lieux de relégation. À la suite de la typologie de Goffman, Loic Wacquant propose l’idée de « stigmate territoriale » pour désigner les « handicaps » qui peuvent « disqualifier l’individu » et le priver de « l’entière acceptation par les autres ».  Cette stigmatisation est provoquée de « l’intérieur » à travers une logique de distanciation mutuelle et de dénigrement latéral, et à l’extérieur par la presse, la population, et les politiques publiques.

La quatrième propriété est l’aliénation spatiale et la dissolution du « lieu ». L’auteur considère la dissolution du « lieu » comme l’autre face de la stigmatisation territoriale c’est à dire « la perte d’un cadre humanisé, culturellement familier et socialement tamisé, auquel les populations urbaines marginalisées s’identifient et au sein duquel elles se sentent « entre soi » et en relative sécurité. » Cette observation se situe dans le prolongement des théories sur le postfordisme qui suggère que « la reconfiguration en cours du capitalisme engendre une vaste réorganisation des entreprises et des flux économiques, des emplois et des personnes dans l’espace, mais également un bouleversement complet de l’organisation et de l’expérience de l’espace lui-même ». Loic Wacquant à la suite de Dennis Smith, observe que « le passage d’une politique du lieu à une politique de l’espace est encouragé par l’affaiblissement des liens fondés sur une communauté territoriale au sein de la ville et de la tendance des individus à se retirer dans la sphère privé du ménage et de l’affaiblissement des collectifs ». 

La cinquième propriété est la perte d’un arrière-pays. Dans les phases précédentes de crise, les individus avaient des ressources sociales au sein de leur collectivité d’origine comme le village de la campagne d’origine, le pays d’émigration ou encore le ghetto communautaire. Ainsi, ils possédaient un réseau capable d’amortir « le choc des difficultés économiques ». Aujourd’hui, Loic Wacquant observe que les individus exclus ne jouissent plus d’emblée d’un soutien collectif informel et doivent donc recourir à des stratégies individuelles de « débrouille ».

La sixième propriété est la fragmentation sociale et l’éclatement symbolique. Selon l’auteur, la marginalité avancée est différente de la pauvreté urbaine de l’époque fordiste car elle se développe dans un « contexte de décomposition de classe ». Les individus sont non seulement déconnectés des outils de mobilisation traditionnels comme les syndicats mais également privés d’un langage commun entendu comme « un répertoire d’images et de signes partagés à travers lesquels concevoir un destin collectif et imaginer des futurs alternatifs ». Ainsi Loic Wacquant pense que le précariat n’a pas encore accédé au statut de « classe objet », selon l’expression de Bourdieu, ce qui a pour conséquence que les individus sont contraints de « former leur subjectivité à partir de son objectivation par d’autres ». C’est seulement à travers un travail politique d’agrégation et de représentation que le précariat peut se penser comme objet et donc permettre d’initier des actions collectives. Toutefois, l’auteur observe une contradiction importante : « le précariat est une sorte de groupe mort-né, dont la gestation est nécessairement inachevée puisqu’on ne peut œuvre à le consolider que pour aider ses membres à le fuir. »

dossier

Le débat sur l’exclusion

Commentaire

Euromayday, www.euromayday.org/

Source

Wacquant Loïc, Parias urbains, Ghetto, banlieues, Etat, La découverte, Paris, 2006

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