Collaboration entre l’Espace Femmes Riviera et la Consultation psychothérapeutique pour migrants au sein de l’association Appartenances
Sandra Mazaira, Mirabelle Bailly
04 / 2010
Une petite cuisine aux allures d’appartement où se croisent des professionnels de disciplines diverses : psychologues, médecins, physiothérapeutes, éducatrices de l’enfance, interprètes communautaires, formatrices d’adulte, animatrices socioculturelles. Nous sommes à Vevey, en Suisse, à l’antenne Riviera de l’association Appartenances (Vaud) qui travaille depuis 1993 dans le domaine des migrations et de l’interculturalité avec une approche globale qui allie différents types d’intervention.
Dans un couloir, une psychologue s’entretient avec la travailleuse sociale, un échange « entre deux portes », ce qui ne lui ôte néanmoins pas de son importance. Il s’agit en effet de la situation d’une patiente suivie en thérapie. Elle se sent prête à intégrer les cours de français organisés dans l’espace social. Elle a peut-être déjà essayé d’y participer quelques mois auparavant, ou est-ce la première fois ? Quoi qu’il en soit, cette démarche constitue une étape pour cette personne et n’est pas anodine. L’espace social, qui s’adresse principalement à des femmes, mais commence à développer quelques activités mixtes, l’intégrera tout de suite, que les cours soient complets ou non. Une priorité est en effet établie pour les patientes référées par la consultation psychothérapeutique de l’association.
En 1997, lorsque Appartenances a développé une antenne dans la région de la Riviera, suite à un diagnostic communautaire mandaté par les autorités locales, l’association a proposé la mise en place d’actions conjointes et complémentaires, dont l’espace social et la consultation psychothérapeutique. L’équipe actuelle développe son action sur la base de ce postulat. C’est une richesse qu’il tient à nous de travailler et de continuer à défendre car, en effet, elle est fragile et peut se voir facilement étioler, tant par des facteurs externes que par une dynamique interne mettant l’accent sur d’autres priorités. Or nous considérons que cette collaboration de proximité est une des spécificités qui apporte à notre action des possibilités d’intervention très intéressantes et pertinentes. Les partenaires du réseau nous identifient également comme tel.
L’espace social de notre antenne propose notamment des activités de formation de base en français, d’alphabétisation et d’informatique. Un accueil des enfants en âge préscolaire est organisé durant les cours de langue pour en faciliter l’accessibilité. Si l’un des objectifs des participantes est bien entendu l’apprentissage du domaine en question afin de gagner en autonomie et de construire des projets d’avenir, celui-ci se mêle à d’autres buts comme sortir de son isolement, créer des liens sociaux, reprendre confiance en soi.
Pour certains patients de la consultation psychothérapeutique, le besoin est celui de la reconstruction de liens. Dans cette « clinique du lien », l’espace social peut alors prendre sens comme un outil faisant partie intégrante du processus thérapeutique. Les liens préexistants du patient migrant ont été mis à mal par des éléments extérieurs : deuils, déracinements brutaux, ruptures, vécu de la guerre et de violences. Le travail du thérapeute consiste alors en un accompagnement dans la reconstruction de liens nouveaux pouvant être considérés comme assez importants pour que la personne leur donne une signification existentielle et y investisse de l’énergie, alors qu’elle se trouve dans une situation de tristesse et de nostalgie.
La première étape consiste en un travail individuel axé sur la perte, ainsi que sur la reconnaissance du besoin de reconstruction de liens. L’amorce de ce réengagement passe au préalable par un début de confiance et de réinvestissement créé à travers la relation thérapeutique : sentiment d’être entendu, d’être reconnu dans une souffrance légitime et espoirs partagés pour des possibilités de mieux-être. Une confiance qui, si elle est porteuse, pourra être généralisée, notamment en initiant une chaîne de liens. La proximité de l’espace social offre ici un atout majeur car situé dans la même maison et appartenant à la même association, il sera d’autant plus facilement identifié et vécu par le patient comme un lieu non hostile, rassurant et déjà familier.
Dans ce processus, nous relevons également le bénéfice d’un fonctionnement souple et flexible, dans le sens de la création d’un espace où l’on s’adapte aux parcours de vie des gens, un espace qui fait office de pont avec l’extérieur. Ce « sas » participera à consolider les acquis de la personne et à lui permettre une confrontation progressive avec l’extérieur. Le fonctionnement de notre espace social se veut effectivement souple afin de pouvoir s’adapter aux réalités de vie des participantes qui peuvent être facilement amenées, et ce pour de multiples raisons, à interrompre ponctuellement leur participation. Il n’est ici pas seulement question des personnes suivant une psychothérapie, mais de l’ensemble des femmes que nous accueillons. Les raisons qui les poussent à un arrêt ponctuel ou à une irrégularité dans leur participation sont multiples : grossesses et accouchements, voyage ou retour temporaire dans leur pays d’origine pour un décès ou pour se rendre auprès d’un parent malade, problèmes de santé, enfants malades et manque de réseau de soutien pour y faire face, démarches multiples à effectuer et obstacles à affronter en lien avec l’obtention d’un permis de séjour en Suisse ou d’un changement de statut, etc. Concernant le dernier point, il est effectivement important de relever que la précarité générée par une situation de séjour durablement instable (dossier en cours, permis provisoire, menace de renvoi, etc.), ainsi que le cumul de démarches à accomplir en vue d’une stabilisation de la situation de vie, ont un impact sur les possibilités d’investissement des personnes dans une activité régulière de type formative.
D’autres difficultés concernent plus spécifiquement les personnes psychiquement fragiles en raison des traumatismes subis : troubles de l’attention et de la concentration, pensées traumatiques intrusives, sentiment d’insécurité sociale, attaques de paniques et perte d’intérêt pour son propre avenir.
Nous avons ainsi choisi d’inscrire une souplesse de fonctionnement dans des activités pourtant structurées et tentons d’offrir à chacune la possibilité d’avancer à son rythme, selon ses objectifs personnels et ses possibilités. La reconnaissance d’objectifs multiples étant admise par les intervenantes, ces dernières ne valorisent pas qu’un seul type d’acquisition. Pour certaines femmes la réussite est déjà là lorsqu’elles parviennent à retrouver un rythme de vie, lorsqu’elles surpassent l’angoisse du groupe ou encore osent prendre la parole. Autant de pas en avant accueillis et valorisés, de même que l’attention ne sera pas focalisée sur les limites de l’apprenante ou qu’une interruption de parcours ne sera pas perçue comme un manquement au contrat. Cette souplesse est certainement gérable grâce, notamment, à la diversité des participantes, dont un noyau stable et régulier permet de donner un aspect structurant aux activités et constitue une dynamique mobilisatrice et de soutien pour les personnes plus fragilisées ou moins régulières.
Dans le cadre de cette collaboration pluridisciplinaire, les regards croisés des professionnels favorisent une approche globale de la personne et de sa situation. Ces échanges permettent notamment de veiller à ne pas réduire une personne à son seul statut de patient : les collaborateurs sociaux rapportent les ouvertures, les progrès, les ressources, promouvant ainsi la prise en compte d’autres facettes plus dynamiques des personnes. Dans le sens inverse, les regards des thérapeutes enrichissent les pratiques de l’espace social en y apportant d’autres clefs de compréhension et d’appréhension des situations. Toutefois, il est important de préciser que malgré une collaboration de proximité, les personnes suivies en thérapie et fréquentant l’espace social évoluent de façon autonome dans deux endroits différenciés. Les échanges d’informations entre les professionnels des deux secteurs ne se font pas de manière systématique. Nous ne faisons notamment pas de bilans communs, mais nous nous sollicitons et nous informons au besoin (transmission d’informations clefs, interpellation par rapport à un questionnement, etc.) soit lors de notre colloque d’antenne qui a lieu toutes les six semaines, soit lors d’échanges informels. Le rôle du patient et participant est ici important car il est acteur de cette dynamique et décidera au final à quel point les deux espaces sont conjoints et interdépendants ou non.
Pour illustrer la démarche de collaboration entre la consultation psychothérapeutique et l’espace social, nous avons choisi les exemples de Mesdames M. et F. pour lesquelles une collaboration intersectorielle a été mise en place et s’est avérée fructueuse grâce à la proximité des deux secteurs.
Madame M. est une femme avec un vécu de violence extrême. Cette patiente qui souhaitait apprendre le français avait besoin d’un lieu où elle ne se sentirait pas jugée et stigmatisée dans les réactions qu’elle pouvait manifester : tremblements, longues pertes d’attention ou encore attaques de panique. La thérapeute l’a accompagnée dans le recouvrement d’un sentiment de confiance, qui a ensuite pu se généraliser à l’espace social de l’association. Madame M. a exprimé clairement son sentiment d’avoir moins honte des réactions qu’elle pouvait avoir dans ce lieu plutôt que dans le cadre d’autres cours de langue. Elle sentait que celles-ci n’étaient pas montrées du doigt et qu’elle serait ici acceptée avec son vécu et ce qui en découle. Aujourd’hui, Madame M. ne suit plus de cours de français à Appartenances : elle travaille dans une fonction qui lui demande d’être en relation avec les autres.
Madame F. se sentait toujours menacée et persécutée suite à un vécu de violences. Cette peur l’empêchait d’avoir la confiance de promouvoir l’autonomisation de son enfant de deux ans. Après négociations, la patiente a acceptée d’être présentée à la responsable de l’accueil enfant de l’espace social ; un contrat tripartite a abouti : durant l’entretien thérapeutique, l’éducatrice prendrait soin de l’enfant à l’étage du dessous. Cette démarche a permis qu’une professionnelle de l’enfance puisse porter son regard sur la situation de l’enfant, avec l’accord de la mère. Dans un deuxième temps, Madame F. a intégré les cours de français tout en sachant son enfant en sécurité dans ce lieu. L’utilisation des ressources et de la souplesse de l’espace social a permis de travailler sur une situation familiale sans mettre à mal le lien de confiance créé avec la thérapeute ; au contraire, ce lien a permis à la patiente d’accepter de confier son enfant. Cette étape a été essentielle pour préparer un terrain favorable en vue de la future scolarisation de l’enfant.
Ces exemples de cheminements et les succès rencontrés nous encouragent à travailler pour affiner nos pratiques transversales tout en conservant une structure souple qui nous permette de nous ajuster aux situations rencontrées.
migration, psychothérapie
, Suisse
Créée en 1993 à Lausanne par un groupe de médecins, psychologues et travailleurs sociaux, l’association Appartenances (active sur Lausanne, Vevey et Yverdon) s’est fixé pour mission de favoriser le mieux-être et l’autonomie des personnes venues d’ailleurs et de faciliter une intégration réciproque avec la société d’accueil dans un rapport d’équité. Peu importe leur statut (demandeurs d’asile, réfugiés, travailleur immigré), leur provenance (une soixantaine de nationalités), leur religion, tous sont accueillis en tant que personnes qui, à un moment donné de leur vie, ont besoin de soins, de formation ou de soutien. Le travail de l’association se repartit en quatre secteurs d’activité travaillant en étroite synergie : la Consultation psychothérapeutique pour migrants, les Espaces sociaux, le Secteur interprétariat communautaire et le Secteur formation.
Association Appartenances - Appartenances, rue des Terreaux 10, 1003 Lausanne, Suisse - Tél. +41 (0)21 341 12 50 - Fax: +41 (0)21 341 12 52 - www.appartenances.ch - info (@) appartenances.ch