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Cet autre modèle agricole français qui rend les paysans heureux

Nolwenn WEILER

03 / 2010

La France agricole n’a pas toujours été productiviste. Au sortir de la guerre, alors qu’une augmentation de la rentabilité s’impose, des agriculteurs français bâtissent un modèle de gestion économe et autonome « qui nourrit son homme », sans détruire ni le sol, ni la ressource en eau. André Pochon, 79 printemps, pionnier breton de cette agriculture durable, nous raconte pourquoi et comment cette expérience originale se poursuit aujourd’hui, pendant qu’à côté faillites, pollutions et suicides disqualifient le modèle productiviste.

André Pochon est paysan, et fier de l’être. A 16 ans, il abandonne l’école pour retourner aux champs, malgré la pression de ses profs, qui lui trouvent « d’excellentes capacités intellectuelles », et le somment de continuer. Ils lui prédisent des regrets éternels. Lui, y trouvera une source de bonheur quasi-quotidien. Doublé d’une solide satisfaction : celle de faire avancer sa profession. Car André Pochon est un chercheur. Curieux, un brin perfectionniste, il va, avec une poignée de collègues, initier une dynamique agricole unique, qui aujourd’hui encore motive, chaque année, de nouvelles installations. Une rareté en ces temps de crise agricole, et de déprime quasi-générale de la profession.

Révolution fourragère

C’est au sein des CETA (Centres d’études techniques agricoles) que commence pour lui la grande aventure de l’agriculture qui cherche, et qui trouve un modèle économique : les petites fermes, bien menées, sont très rentables. Imaginés au sortir de la Seconde guerre mondiale par Bernard Poulain, agriculteur dans les Yvelines, les CETA sont des coopératives d’idées au sein desquelles les paysans se retrouvaient pour faire le point sur leurs techniques d’élevage et de culture, échanger leurs observations, faire de nouveaux essais. Le tout en étroite collaboration avec l’INRA (Institut national de recherche agronomique). Ensemble, chercheurs et paysans mettent en route la « révolution fourragère », qui, en valorisant la ressource « pré », permet aux agriculteurs d’augmenter leurs rendements, avec peu de dépenses. « Le mouvement des CETA et la recherche agronomique ont mis en route le progrès, qui n’a rien à voir avec le productivisme : une agriculture productive, à haute valeur ajoutée, basée sur des notions agronomiques élémentaires, et en particulier sur la rénovation des prairies », résume André Pochon.

Co-fondateur du CETA de Corlay, dans les Côtes d’Armor, André Pochon s’épanouit pleinement dans cette agriculture chercheuse. Plutôt zélé, il va, suite à des observations, parfaire les techniques conseillées par l’INRA. Et mettre au point, avec ses collègues de CETA, une gestion optimale de la prairie.

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Une agriculture très rentable et sans pollutions

Le « modèle Pochon » assortit l’arrêt des engrais azotés et une rotation très précise des cultures. Pour nourrir les bêtes, il introduit en plus la betterave et un peu de céréales. Bien avant l’avènement du désastreux modèle productiviste , c’est une période d’épanouissement des CETA et de mise en route d’un modèle agricole nouveau mais complètement lié au sol, qui produit beaucoup en achetant peu. Preuve que cela fonctionne : pendant cette période, « pas une seule ferme ne disparaît dans le canton, pas une seule !, insiste André Pochon. Les bourgs restent vivants et surtout, il n’y a pas de pollution ! Ni nitrates au robinet, ni d’algues vertes dans la baie de Saint-Brieuc. »

Au terme de quinze année au cours desquelles « on a sorti l’agriculture française de son état de sous développement », arrive la proposition productiviste… qui séduira, finalement, la majorité des agriculteurs. Selon André Pochon, trois facteurs ont provoqué la victoire du modèle hors-sol : les jeunes qui sont allés à l’école et ont en tête un nouveau modèle, les coopératives agricoles qui ont à cœur de beaucoup grossir et de faire beaucoup d’argent, et la PAC (Politique agricole commune) qui supprime le principe de la sanction commerciale. Via l’Europe, les prix agricoles sont désormais garantis à l’avance, et en augmentation chaque année, quelles que soient les conséquences du modèle choisi.

La propagande des cultures intensives

Encouragés à acheter des intrants, les agriculteurs perdent peu à peu leur autonomie. Surtout, ils diminuent la rentabilité de leurs petites fermes. « Là où on vivait très bien avec 20 vaches sur 20 hectares, il en faudra 40 sur 40 hectares pour vivre à peine aussi bien », souligne André Pochon. Pour ceux qui se spécialisent en élevage laitier, comme lui, c’est le début du maïs-fourrage. « Cette culture a débarqué avec une propagande incroyable. Tous les journaux agricoles, tous les techniciens, tout le monde ne parlait que de ça. Les agriculteurs étaient ébahis ! Ils voyaient là la possibilité de se libérer du foin, parfois difficile à faire, à cause de la pluie. » Un brin réticent, parce que soucieux de rester autonome, André Pochon fait quand même le pas du maïs. « Beaucoup comme les autres, les premières années, puis de moins en moins, raconte-il. En 1974, on a eu, pour la deuxième fois, une très mauvaise année, pour le maïs. Je me suis donc interrogé. Et j’ai, peu à peu diminuer mes surfaces jusqu’à les supprimer complètement. »

Soucieux de partager ses découvertes, et son modèle de production, André Pochon publie son premier livre : La prairie temporaire à base de trèfle blanc (1). Nous sommes en 1981. Paysans, agronomes et politiques se pressent sur sa ferme, pour voir et observer celui que l’on qualifie désormais « d’agriculteur-chercheur ».

Un paysan-chercheur en colère

Peu après sera créé le CEDAPA (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome). Objectif : « Renverser la vapeur et montrer qu’un autre modèle agricole est possible. On va mener des études technico- économiques qui vont prouver que l’on peut installer des jeunes sur des petites unités, et que c’est rentable », explique André Pochon. En plus de son activité, qu’il occupera jusqu’en 1991, il continue d’écrire des bouquins : Les champs du possible (2), Plaidoyer pour une agriculture durable, Les sillons de la colère, Agronomes et paysans, un dialogue fructueux. Aujourd’hui, ceux et celles qui ont suivi ses conseils ne se plaignent pas. Ils sont même heureux d’être paysans, et vivent de leur métier, plutôt bien. Mieux, beaucoup mieux, que bien des éleveurs laitiers, qui se tuent au travail - voire se suicident - pour rembourser les prêts faramineux qu’ils ont contracté lors de leur installation, sur des unités gigantesques.

« Les gens du ministère nous connaissent. Ils sont au courant depuis des années de ce que nous faisons, et de nos réussites économiques », reprend André Pochon. Pourtant, le Groupe de réflexion sur l’avenir de l’agriculture en Europe, installé au mois de février par Bruno le Maire, ministre de l’agriculture, n’a pas convié de membres du CEDAPA. C’est regrettable. Ce centre d’étude détient une expertise précieuse sur plusieurs des dossiers qui seront étudiés par le dit groupe, notamment la rémunération des producteurs et la répartition de la valeur ajoutée, ainsi que la prise en compte de la protection de l’environnement et du développement durable.

1 POCHON André, La prairie temporaire à base de trèfle blanc. Première édition en 1981, régulièrement mise à jour depuis. Editions Cedapa, Plérin
2 POCHON André, Les champs du possible - Plaidoyer pour une agriculture durable, 1998, Editions Syros, Alternatives économiques.

Mots-clés

agriculture, agriculture durable, agriculture et environnement, agriculture paysanne, paysan, politique agricole


, France

dossier

Filières durables : l’agriculture

Notes

En savoir plus

  • Le site du CEDAPA (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome) : www.cedapa.com/

  • POCHON André, Le scandale de l’agriculture folle, reconstruire la politique agricole européenne, Editions du Rocher, 2009.

Source

Entretien

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