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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Etapes et méthodologie d’un recueil d’expériences

Exemple d’un inventaire des pratiques innovantes de lutte contre l’exclusion sociale en Belgique

Pascale THYS

02 mars 2010

Pour nous, dès le départ de ce travail de capitalisation sur l’innovation sociale, l’objectif n’était pas uniquement de réaliser des fiches d’expériences, d’aboutir à un « simple » produit : un listing d’études de cas. Notre enjeu était de favoriser les échanges d’expériences entre politiques et associations, entre bénéficiaires et porteurs de projets, entre associations elles-mêmes, entre expériences belges et étrangères. Il s’agissait dès lors d’imaginer des méthodes de travail qui favoriseraient ces processus tout en permettant d’obtenir un produit utile et diffusable.

Nous appuyant sur nos expériences passées en matière d’échange d’expériences, il nous est apparu d’emblée que la première question à laquelle il nous fallait répondre était : quel(s) serai(en)t les objectif(s) de ce travail pour les groupes rencontrés. En effet, il est impossible de promouvoir l’échange d’expériences si un objectif clair n’est pas établi avec les participants à cet échange. De même, un processus participatif ne peut se mettre en place si cette participation ne porte pas sur un objet précis avec un enjeu de type décisionnel.

Il nous a semblé, lors de ce travail, que les objectifs pouvaient être :

1. Visibiliser une pratique si elle est peu connue, surtout lorsqu’il s’agit d’une innovation sociale dont la mise en œuvre implique un fonctionnement sans moyens, sans reconnaissance, à la limite de la législation existante ;

2. Prendre, le temps d’une rencontre organisée par nous, un certain recul face à une pratique innovante en y incluant le point de vue des « bénéficiaires » du projet ;

3. Systématiser certaines questions de manière à pouvoir dialoguer avec les pouvoirs publics lors d’une journée de rencontre finale.

Lors de processus d’échange d’expériences, la seconde grande question à se poser est le niveau de l’échange. Trois niveaux sont possibles :

1. De personne à personne (ce qui s’est passé lors des interviews)

2. De personne vers un groupe plus ou moins formalisé (ce qui s’est passé lorsque l’association rencontrée a bien voulu se présenter en groupe ; c’est ce qui pourrait être l’enjeu du travail de synthèse de la recherche ainsi que des ateliers lors de la journée de restitution)

3. Du groupe vers l’extérieur (ce sera l’enjeu de la fin de cette journée de restitution)

La méthode utilisée lors de ce travail a dès lors été déterminée par les objectifs que nous souhaitions atteindre, à savoir de réaliser un produit, mais aussi de lancer un processus dans lequel devait pouvoir s’inscrire les 3 objectifs potentiels des groupes rencontrés.

Faire une fiche d’expériences : un produit

A priori, ce produit peut être obtenu de diverses manières :

On téléphone à l’association pour envoi de documents et on fait une fiche ;

On rencontre un responsable et on le questionne ;

On rencontre un responsable, on le laisse parler ;

On rencontre le responsable, on réalise la fiche, puis il la relit pour approbation ;

On rencontre un groupe de travailleurs et on parle,…

On rencontre un groupe et l’on fait de l’observation participante,…

On rencontre un groupe de gens impliqués dans le projet, dont les bénéficiaires,…

Etc

Selon la méthode utilisée, le produit sera plus ou moins complet, plus ou moins fiable, plus ou moins organisé, prendra plus ou moins de temps pour être obtenu. Les choix sont donc limités par le temps imparti et les autres objectifs à poursuivre.

De manière à pouvoir utiliser ensuite ces fiches-produits, nous avons voulu leur donner une forme relativement structurée sous forme de rubriques (elles sont expliquées plus bas). Cette structure a été réfléchie en amont du projet avec d’autres partenaires. A l’usage, il est évident que certaines rubriques sont plus difficiles à compléter de manière systématique que d’autre. Par exemple, l’efficacité du projet (mesure d’adéquation entre résultats et objectifs) demanderait plus de temps pour être correctement complétée. Habitat et Participation ne pouvait donner ici de jugement et les personnes interrogées auraient eu besoin de plus de temps pour y réfléchir de manière plus pertinente.

Il faut encore signaler que, pour de nombreuses raisons qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, notre choix s’est porté vers une fiche d’auto-évaluation par les partenaires du projet eux-mêmes. Il n’était donc pas question pour nous ni d’utiliser des analyses réalisées par ailleurs ni de porter un jugement de valeur sur le résultat des interviews.

Nous réalisons actuellement (septembre 2001) la lecture dite « transversale » de ces fiches pour arriver à en tirer les éléments récurrents, les idées forces, les « constantes ».

Faire une fiche d’expériences : un processus

Puisque nous ne voulions pas privilégier le produit sur le processus, il nous a fallu réfléchir à une méthode de recueil d’informations qui permette à un processus de se mettre en place. La « simple » interview d’une personne sur base d’un canevas bien défini limitait le lancement d’un processus.

C’est pourquoi, bien que les fiches suivent un canevas strict, les rencontres ont plutôt privilégié le débat, l’entretien informel, l’écoute active via des techniques et des outils d’animation de groupes. Lorsque cela fut possible – et c’était notre souhait de base – nous avons rencontré des groupes de personnes, groupes face auxquels nous sommes intervenus moins comme « journaliste » que comme animateur. Plusieurs associations qui ont bien voulu « jouer le jeu » en Belgique semblent en avoir tiré des éléments très instructifs pour elles-mêmes. Par exemple, une responsable du CASI-UO a montré son étonnement lorsque, durant les discussions, elle a réalisé à quel point les stagiaires étaient conscients des objectifs sous-jacents à la formation et pas seulement de l’objectif premier d’obtenir une formation.

Il est évident que ce même processus n’a pu être élaboré pour les fiches d’expériences étrangères. En l’occurrence, nous avons privilégié des expériences de partenaires de réseaux proches de notre association, de manière à pouvoir établir des liens avec ceux-ci si des associations belges en faisaient la demande. L’originalité de ces fiches réside dans la présence d’une partie « éléments de reproductibilité » où l’on peut y lire des expériences proches déjà existantes en Belgique, des réflexions pour aider à les reproduire et des références multiples pour aller plus loin dans la réflexion ou la mise en place de tels projets chez nous.

Notre souhait est ici que ce processus amorcé servira de base à la création ou l’accroissement de synergies à l’intérieur des associations, entre les associations et entre pouvoirs publics et ces associations. C’est aussi pour cette raison que la journée dite de restitution finale nous paraît importante : établir un dialogue qui dépasse la « simple » revendication des divers acteurs, mais permette de concrétiser des propositions applicables pour permettre à la société de pouvoir avancer en donnant aux « pratiques innovantes » les moyens de fonctionner. Cette journée, qui se déroule le 17 septembre, a pour intitulé : « Quand les actions rencontrent les politiques ».

Méthode utilisée pour la collecte d’expériences en Belgique

L’organisation de la rencontre se passe en trois temps qui s’étalent sur une période plus ou moins longue. Les contacts n’ont toutefois pas toujours pu aboutir à une séance de rencontre « idéale » pour diverses raisons que nous n’évoquerons pas ici.

Dans un premier temps, Habitat et Participation prend d’abord contact par téléphone avec les projets identifiés comme ayant une pratique innovante. Au cours de ce contact, une première information sur le projet d’inventaire est fournie. Nous mettons l’accent sur le cadre de travail et notre volonté méthodologique d’organiser une rencontre avec les différents protagonistes de l’initiative : travailleurs, bénéficiaires, porteurs du projet,… Des documents sont également envoyés afin de fournir davantage d’informations sur le contexte dans lequel s’inscrit le projet d’inventaire.

Dans un second temps, nous recontactons l’initiative, une à deux semaines plus tard, afin de fournir d’éventuels compléments d’information et d’envisager une date de rencontre.

Enfin dans un troisième temps, il s’agit de la rencontre proprement dite. Nous avons défini la séance idéale de rencontre comme suit.

Cette séance comporte une dizaine de participants rassemblant des représentants de chaque groupe de personnes impliquées dans l’initiative.

Après une introduction du projet, nous procédons à un premier « tour de table » dans le but de faire connaissance et de créer un climat favorable à l’échange, décontracté et sécurisant. Ce tour de présentation permet aussi de récolter déjà un certain nombre d’informations précieuses sur le fonctionnement du projet. On demande à chacun de se présenter et d’expliquer de manière très large mais concise ses relations avec le projet (rôle, comment on l’a connu, depuis combien de temps, ce qu’on y fait,…).

Suite à cette présentation, nous proposons deux animations de support à la discussion et à la collecte d’informations que nous avons voulue sur un mode ludique :

La première animation propose que chaque participant réfléchisse à trois idées-clef pour définir l’initiative, pour lui, à partir de la place qu’il occupe dans le projet. Chacun est invité à noter ses idées sur un papier (ou de les retenir si l’écrit pose problème). Suite à ce travail individuel, nous invitons une personne à présenter sa première idée au groupe et de l’expliquer. Chaque intervention est utilisée pour rebondir sur les idées des autres participants qui peuvent renforcer ou compléter l’idée présentée. Nous sommes attentifs à « distribuer » la parole et le temps d’intervention de façon à ce que tous les participants puissent partager leur point de vue avec les autres.

La seconde animation porte sur les obstacles rencontrés dans le cadre de la mise en œuvre du projet pour chaque participant par rapport à la place qu’il occupe dans le projet.

Pour cette seconde phase, Habitat et Participation a mis au point un outil facilitant l’expression des participants : un recueil de dessins. Ces dessins n’ont pas de signification univoque mais présentent une série de situations-obstacles face auxquelles un personnage se retrouve.

Nous demandons à chacun de choisir trois situations-obstacles pour ensuite adopter le même genre de procédure que dans le cadre de la première animation. Il s’agit de les présenter au groupe et d’expliquer leur choix. Après que l’un des participants ait présenté et expliqué son premier dessin choisi, nous demandons au groupe si quelqu’un d’autre à choisi le même dessin et l’invitons à expliquer ce choix. Au bout du compte, chacun a pu présenter les situations-obstacles qu’il a choisies et réagir aux choix des autres en s’y associant ou en marquant sa différence.

Exemples de logos d’animations

Au cours de cette rencontre, via ces animations limitées dans le temps (environ deux heures) et dans le nombre d’animations, nous tentons de collecter un maximum d’informations de façon à obtenir un contenu le plus riche possible pour alimenter les différentes rubriques de la fiche que nous nous sommes proposés de réaliser. C’est pourquoi, dans la fiche elle-même, il se peut qu’apparaissent des avis différents, voire contradictoires. Ceci nous semble très important parce qu’une vision unique ou univoque va à l’encontre de la réalité (ou de sa perception).

Enfin, pour la rédaction de la fiche, nous avons complété la collecte d’informations par l’interview de certains responsables et par l’utilisation de sources d’informations produites par les associations elles-mêmes (Rapport d’activités, projets pédagogiques, folders de présentation, sites Internet, CD-Rom, et autres documents internes divers tels que des contrats avec les bénéficiaires, etc.).

Commentaires

Au niveau de l’impact de ce recueil d’expériences, on peut émettre les constats suivants :

1/ Nos fiches nous semblent très riches en contenu. La nouveauté apportée dans ces fiches est la dimension ‘perception du projet par les acteurs’. Cela a davantage permis de recueillir la parole des personnes. Le recueil d’expériences auprès d’un groupe est nouveau aussi une démarche nouvelle pour nous.

2/ Les animations ont été un moment fort dans plusieurs associations où bénéficiaires de projets et porteurs de projet se sont découverts un autre niveau de compréhension de leur action au travers de notre travail.

3/ La publication (avec les moyens du bord) ne s’est pas avérée d’une grande utilité pour les porteurs de projet : ils n’utilisent pas cela comme carte de visite et ne lisent pas les autres expériences. Nous pouvons ici faire un constat d’échec d’une production qui s’en tiendrait à une collecte de fiches : les gens ne prennent pas le temps de la lire. C’est en tout cas ce qui ressort d’une enquête que nous avons mené suite à la distribution des dossiers de fiches.

4/ L’impact sur les politiques publiques n’a pas été direct, mais ce fut le point de départ d’autres travaux en lien avec les difficultés pour les acteurs à mettre en œuvre l’innovation sociale. Nous avons en effet retravaillé deux thèmes précis : l’habitat groupé pour les personnes en précarité sociale et l’habitat écologique pour les personnes âgées. Dans les deux cas, des évolutions dans les cadres juridiques ont pu être réalisé. Lire à ce propos le dossier intitulé ‘Habitat Solidaire’.

Année : 2001

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