01 / 2010
Il est urgent de montrer en quoi l’agriculture paysanne doit être soutenue, au nom de la justice sociale, de l’efficacité économique et de la préservation de l’environnement. Cette agriculture est menacée par l’avancée de l’agriculture productiviste, dans les pays du Sud comme en Europe. À partir d’arguments solides démontrant le bien-fondé d’un soutien à l’agriculture paysanne, les politiques agricoles doivent être réorientées.
Pourquoi promouvoir et défendre l’agriculture paysanne ?
Au nom de la justice sociale, de l’efficacité économique et de la préservation de l’environnement, il est de l’intérêt général de promouvoir et de défendre une agriculture paysanne familiale.
Il s’agit en effet d’un modèle agricole satisfaisant à plus d’un titre : les paysans travaillent pour leur propre compte dans leur milieu, en toutes connaissances des spécificités climatiques, environnementales et pédologiques locales. Ils cherchent à atteindre les meilleures conditions pour améliorer leur bien-être tout en restant dans le même environnement. Étant installés à leur propre compte, les paysans essayent de baisser les coûts et de faire le meilleur usage des ressources naturelles renouvelables comme par exemple les rayons du soleil ou bien l’azote. Ils gèrent également en circuits courts les cycles biologiques de l’eau, des minéraux, et autres ressources, parce qu’ils sont conscients que c’est la condition sine qua non pour transférer leur patrimoine à leurs descendants. Les cultures sont diversifiées et répondent notamment aux besoins alimentaires.
De ce fait, un agriculteur travaillant pour son propre compte travaille pour l’intérêt général, à l’inverse des exploitations capitalistes qui cherchent à placer leurs capitaux partout dans le monde. Dans ce système régi par le profit, on investit peu pour récolter beaucoup ; on préfère remplacer les travailleurs par des machines, on met des gens au chômage, on plante des cultures transgéniques… quitte à générer des catastrophes économiques et environnementales. Mais le résultat c’est aussi qu’entre une grande exploitation capitaliste et une petite exploitation familiale, la différence de rendement est considérable, souvent autour de 200%. Face à cela, si rien n’est fait pour soutenir les petits paysans, l’agriculture paysanne est condamnée à mort.
Dans quelle mesure le modèle d’agriculture productiviste menace-t-il le modèle de l’agriculture paysanne ?
À l’inverse de l’agriculture paysanne qui est extrêmement diversifiée, l’agriculture productiviste est particulièrement basée sur la monoculture. En effet, depuis le néolithique, c’est-à-dire la naissance de l’agriculture, et ce jusqu’au 19ème siècle, les agriculteurs sélectionnaient leurs propres variétés de récoltes. Ces dernières étaient naturellement adaptées à l’écosystème. Or on constate que depuis un siècle et demi une tendance à la standardisation : on veut du même gabarit, du calibrage… du clonage de denrées alimentaires ! C’est ainsi qu’on bascule dans l’élevage et l’agriculture de gros et qu’on perd toute notion de la spécificité de la terre locale. Actuellement, les cultures sont si peu diversifiées qu’on ne peut même plus parler de variétés. Pour améliorer les coûts, on cultive en gros. La sélection des denrées ne se fait plus au sein du terroir mais dans des bureaux éloignés de toute réalité, en ne tenant compte d’aucune spécificité locale mais du profit uniquement. On en vient à adapter l’environnement aux variétés et non le contraire. Étant donné qu’on force la nature, qu’on artificialise certaines zones de cultures qui ne sont en rien adaptées aux conditions locales, la nature se rebelle. Le recours à une escalade de pesticides et d’insecticides toujours plus toxiques est donc courant, alors que ceci pourrait être évité si l’on respectait le milieu naturel.
Le constat est grave. À cause d’une recherche constante du profit, l’agriculture productiviste fragilise la terre, détruit le milieu naturel et met au chômage des milliers de paysans qui ne peuvent pas suivre la cadence. De plus, à la différence des paysans traditionnels, les capitalistes sont mobiles. Une fois qu’ils ont épuisé et pollué une zone, ils la quittent et l’abandonnent aux paysans qui voient leurs terres appauvries et parfois inutilisables. Les paysans de l’agriculture familiale n’ont pas les moyens d’arrêter cela car ils n’ont pas assez de terres et pas d’accès au crédit. La triste conclusion est que les gens qui veulent travailler pour l’intérêt général n’en ont pas les moyens, alors que les gens qui en ont les moyens n’en ont pas l’intérêt.
La course à la terre en Europe
L’Europe connaît depuis de nombreuses années une politique agricole de modernisation. Modernisation est ici synonyme d’agrandissement des structures, de concentration des terres et des moyens de production dans les mains de quelques exploitants. Les paysans disparaissent peu à peu : en France, ils ne sont plus que 400 000 aujourd’hui, alors qu’on en comptait 2 millions il y a 30 ans. La concurrence entre le paysan et l’agriculture productiviste se révèle totalement déloyale (cf. : ci-dessus). Les paysans appauvris ne pouvant faire face à la hausse des coûts de production, se retirent du métier. En conséquence, certaines zones sont désertées comme le Limousin par exemple, et les productions sont regroupées par les grandes exploitations. À ce rythme, pour d’avantage d’efficacité et de productivité, bientôt tous les légumes d’Europe seront produits à un endroit, toute la viande à un autre, et ainsi de suite !
Le consommateur a également une grande part de responsabilité dans cette désertification. En effet, on peut dire qu’il ne sait plus consommer aux sources. Sa vision de la qualité des aliments est influencée. Le bon lait devient celui de Danone, celui des paysans quant à lui est rempli de bactéries et représente donc un danger pour la santé ! Danone qui délocalise ses entreprises dans des pays où la main d’oeuvre est moins chère, profite alors pleinement de ce mode de consommation parce que l’entreprise vend plus à moindre coût.
Les paysans producteurs de lait par contre, ne peuvent rivaliser et sont obligés de s’incliner face au géant laitier. Le marché est basé sur la standardisation et l’apparence des aliments, plutôt que sur la qualité de ces derniers. Et le consommateur est entraîné dans cette dénaturation.
Un changement politique nécessaire
Pour mettre un terme à ce modèle agricole, la solution est avant tout politique. Malheureusement, les politiques agricoles déjà en place vont plutôt dans le sens de l’agriculture industrielle au détriment des paysans. En Europe, les subventions au volume de production et plus récemment le droit à paiement unique dans le système de la PAC, ont fait monter la spéculation foncière. De nombreux obstacles freinent l’installation des nouveaux paysans ou le maintien de ceux déjà en place et qui tentent de résister. En somme, l’agriculture capitaliste veut empêcher la réappropriation des terres parce qu’il n’est pas dans son intérêt que les paysans reprennent leur terre, et par corrélation, une part du marché. Pourtant, y compris dans la PAC actuelle, les Européens disposent d’outils pour lutter contre la concentration de la terre alors que bien des pays en sont privés.
Mais c’est bien vers une refondation de la PAC et à une relance des politiques agricoles dans les pays du Sud qu’il faut tendre, si l’on veut enrayer le déclin de l’agriculture familiale et paysanne. Cette refondation et cette relance devront se faire par la mise en oeuvre de la souveraineté alimentaire, au Nord comme au Sud. Tel est l’objectif de nos actions et de nos mobilisations, en montrant que le débat est aujourd’hui vital pour l’humanité toute entière et pas seulement pour les paysans.
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, Europe
Pour aller plus loin :
« Agricultures africaines et marché mondial », Marc Dufumier, Fondation Gabriel Péri, Novembre 2007
Compte rendu de colloque, conférence, séminaire,…
D’après les interventions de Marc Dufumier, Professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech, et Nicolas Duntze, viticulteur dans le Gard, membre de la Confédération Paysanne. Table ronde sur la sensibilisation des enjeux de l’accès à la terre, samedi 18 avril 2009.
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