Cinq ans après avoir été dévasté par le tsunami, le village de pêcheurs de Mahawaskaduwa, dans le district de Kalutara à Sri Lanka, est à nouveau debout. Les femmes du collectif des Mères Fières y ont débarrassé les rues de leurs ordures, offert des moyens de subsistance aux villageois et amélioré la santé et les conditions d’hygiène.
Quand le tsunami s’est abattu sur le district de Kalutara à Sri Lanka en 2004, Wagira de Silva (45 ans) a attendu avec anxiété que son mari revienne de l’océan qui s’était soudainement déchaîné avec violence. Il n’en est jamais revenu. Elle apprendra plus tard qu’il faisait partie des 279 morts et 74 disparus de Kalutara. Sa maison était l’une des 3.000 totalement détruites du district de Kalutara et, avec ses deux fils adultes, elle figurait parmi les 35.000 déplacés.
Dans le village de pêcheurs de Wagira, à Mahawaskaduwa, situé sur les rives de l’océan indien dans le district de Kalutara de la Province Ouest de Sri Lanka, les maisons, les vies et les moyens de subsistance ont été détruits. Mais l’un des pires cauchemars pour les organisations de service social travaillant à Sri Lanka à la suite de la catastrophe de 2004 a été la situation sanitaire et de l’eau : les conduites, les raccordements et les toilettes étaient endommagées et inondées, les puits et les zones basses contaminées.
« Si un visiteur de décembre 2004 visitait notre village aujourd’hui, il ne le reconnaîtrait pas », affirme S.A. Ratna Silva, la directrice d’Abhimani, un collectif de femmes fort de 48 membres. Une douzaine de têtes approuve fièrement. Mahawaskaduwa est transformé. Et le moteur de ce changement a été l’épidémie de dengue qui s’est répandue dans de nombreux villages côtiers inondés par le tsunami.
La fièvre dengue et la fièvre dengue hémorragique, apparues pour la première fois en 1965, sont endémiques à Sri Lanka. Mais la pire année a sans nul doute été celle de 2004 avec 15.463 cas et 88 décès. Le village de Mahawaskaduwa est particulièrement exposé car il est situé en bordure de la rivière Kaluganga qui sort de son lit pratiquement tous les ans. La ligne ferroviaire qui passe à l’entrée du village a créé un obstacle permanent à l’écoulement naturel des eaux de pluie et d’inondation.
Ajoutez à cela l’absence de traitement des ordures ménagères ou d’autres mesures sanitaires et l’usage croissant de plastiques non-biodégradables, et le village menait une lutte perdue d’avance contre la dengue. Dans cette communauté de pêcheurs et de fabricants de toddy (alcool de palme), la conscience civique n’était par ailleurs pas très développée.
Jusqu’à ce que le groupe de femmes Abhimani, signifiant « les Mères Fières », décide de prendre en main la lutte et de répondre, d’une manière complètement nouvelle, à l’appel du Gouvernement à la participation communautaire.
Après six cas de dengue à Mahawaskaduwa, l’Inspecteur de Santé Publique (ISP) en charge du village, LPWN Pathirage, s’est fait le guide et le mentor des mères Abhimani. Ils ont décidé de trier les ordures ménagères en séparant les déchets secs comme le plastique, le verre, le papier et le carton, et les déchets dégradables comme les pelures de légumes et les restes de nourriture.
Ils se sont ensuite rendus à l’hôtel Mermaid qui, depuis sa création en 1983, aide les communautés locales de différentes façons. L’hôtel leur a donné dix grandes poubelles. Les femmes se sont ensuite adressées à la Fondation Arthacharya, une organisation non gouvernementale du district de Galle dont l’usine de recyclage opère dans le cadre d’un programme de réduction de la pauvreté avec participation communautaire. Elle trie les déchets collectés et recycle les déchets solides non-biodégradables comme le polyéthylène qu’elle transforme en billes puis en sacs plastiques.
La Fondation Arthacharya a promis de fournir quatre sacs plastiques par famille afin de stocker les déchets triés (plastique, bouteilles, verre et papier). Certaines mères Abhimani comme B.D. Rita Ranjani, sont aussi membres d’Arthacharya. Rita Ranjani affirme que bien souvent l’usine ne reçoit pas les 10 tonnes de déchets plastiques qu’elle est capable de traiter chaque mois. Ainsi les synergies des deux organisations communautaires ont fusionné.
Alors qu’elles vendent les déchets plastiques et de papier, les femmes utilisent les ordures de la cuisine pour faire du compost en les mélangeant à la bouse de vache. Elles ont ainsi pu aménager des potagers sur le sol sablonneux stérile. Elles vendent les légumes cultivés à la maison (aubergines, piment vert, salades) aux épiceries et primeurs du voisinage et s’assurent un revenu net de 600 roupies sri lankaises par mois (1 Euros = 160 LKR).
Cette somme sert généralement à payer les intérêts du prêt pouvant s’élever à 5.000 LKR que les membres d’Abhimani ont chacune contracté pour acheter soit une machine à coudre soit des matériaux pour confectionner des objets artisanaux. Entretemps la communauté a diversifié ses activités avec la vente d’artisanat, de pierres précieuses, la fourniture de services tels que la couture et en travaillant comme chauffeur ou guide touristique.
Ces activités fournissent une aide précieuse aux familles de Mahawaskaduwa dont le revenu mensuel moyen est de 7.000 LKR alors que le riz à gros grain, aliment de base à Sri Lanka, coûte 70 roupies le kilo.
La réussite des mères Abhimani a également été rendue possible grâce à la devise simple mais stimulante sur laquelle le gouvernement de Sri Lanka a fondé sa politique relative à l’hygiène : « permettre à la population d’améliorer son contrôle sur sa santé et de prendre soin elle-même de sa propre santé ». La propreté écologique et le recyclage ne sont qu’un élément de cette histoire. Il est à noter que depuis fin 2008, d’après le National Water & Drainage Board (Office national de l’eau et de l’assainissement) de Sri Lanka, près de 86 % de la population totale de 20,1 millions d’habitants ont accès à des installations sanitaires hygiéniques, un chiffre comparable à de nombreux pays développés et bien en avance sur les voisins asiatiques dans la poursuite des objectifs du millénaire pour le développement visant à diviser par deux, d’ici 2015, le pourcentage de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable ni aux services d’assainissement de base.
Tout cela a été possible parce que l’île dispose d’un réseau solide de services de santé de base au niveau local. La pyramide des services de santé repose sur une armée d’Inspecteurs de Santé Publique bien formés (dont la contrepartie pour la santé des mères et des enfants sont les sages-femmes de santé publique) qui bénéficient de l’autorité légale. Ils alimentent le Système d’Information National grâce à un système informatique détaillé d’entrée de données de terrain. D’après le docteur U.K.D. Piyaseeli, directeur de l’Institut National de la Santé à Kalutara, une institution créée en 1926 et où les ISP sont formés, « le système de surveillance est si efficace que l’unité d’épidémiologie nationale du Ministère de la Santé peut fournir des informations en une semaine sur les maladies contagieuses n’importe où dans le pays ».
Au cœur de ce système de surveillance se trouvent les enregistrements sanitaires maintenus par les ISP concernant chaque foyer et famille enregistrés dans la région, à partir de leurs visites mensuelles dans les villages placés sous leur supervision. Les ISP enregistrent toute plainte concernant la qualité de l’eau, les maladies contagieuses dans les foyers et les écoles, l’aération des maisons et les méthodes de traitement des déchets. Ils renouvellent les contrôles des maisons avec ou sans toilettes, notent le type de toilettes ou si une demande a été faite pour la construction de toilettes, et, dans ce cas, à quel stade ils en sont. L’enregistrement est très détaillé : plaintes des voisins concernant la défécation en plein air des uns ou des autres, nombre de constructions non autorisées, informations sur les maisons sans toilettes. Tout est contrôlé, mis noir sur blanc et reporté dans la base de données centralisée.
Si une plainte pour défécation en plein air a été reçue par l’ISP il délivre une notification pour la construction de latrines dans les six mois. Si cela n’est pas fait, il est autorisé à enregistrer une plainte pour nuisance publique. Le tribunal peut punir le contrevenant de 6 mois de prison ou d’une amende de 500 LKR. Si le coupable n’a toujours rien fait au bout de la troisième notification, ce qui est fréquent, il devra publier, à ses frais, une note dans un journal disant qu’il a déféqué en plein air et qu’il n’a pas construit de latrines même après avoir été rappelé à l’ordre trois fois.
Aujourd’hui, les communautés locales reçoivent du gouvernement une subvention de 3.000 LKR pour construire leurs propres toilettes avec l’aide des ONG. Mais beaucoup se plaignent que ce montant est trop faible car les coûts de construction ont augmenté. On partage donc un peu plus les toilettes tandis que les Mères Fières prennent la tête pour maintenir l’assainissement des maisons et s’assurer de nouveaux revenus grâce aux déchets.
assainissement de l’eau, traitement des déchets, recyclage des déchets, santé publique, développement local
, Sri Lanka
Lire l’original en anglais : Proud Mothers of Sri Lanka
Traduction : Valérie FERNANDO
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Manipadma JENA, Proud Mothers of Sri Lanka, in InfoChange India, Janvier 2010
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