La mise en œuvre d’un système de santé intégré a consolidé les relations entre les peuples originaires du Chili et les habitants de la région de Los Lagos
04 / 2007
Au Nord de l’île de Chiloé se trouve la communauté williche (huilliche en espagnol) de Koñimo Lamekura. A 35 kilomètres de Ancud en allant vers la côte donnant sur la mer intérieure, c’est l’une des premières des dix communautés indigènes qui vivent dans la zone.
Même s’il y a plus longtemps qu’il était mis en œuvre dans la pratique, c’est depuis l’année 2004 que fonctionne officiellement dans cette communauté le Programme de santé complémentaire Williche de Koñimo Lamencura, un des outils dont s’est doté cette communauté pour renforcer l’identité et la culture williche et améliorer la qualité de vie des populations de l’île et des habitants non indigènes en général.
Les autorités traditionnelles de la communauté sont le lonko (chef) Orlando Allacán et le werken (porte-parole) Alex Caicheo.
Caicheo est un technicien agricole formé en gestion sociale interculturelle bilingue et travaille avec les communautés williches sur des projets de développement productif, de culture, de santé et d’action sociale. Il s’exprime avec beaucoup de fierté sur les initiatives réalisées au sein de la communauté.
« Tous les travaux que notre territoire a entrepris ont bien abouti. Heureusement nous n’avons pas connu d’échec, au sens où les projets seraient restés à moitié achevés. Les travaux sont toujours poursuivis et menés à bien, mais il ne fait aucun doute que certains projets ont été particulièrement remarquables et nous remplissent de fierté. C’est le cas du Programme de santé complémentaire. »
En quoi consiste ce programme ?
« Nous travaillons sur la santé complémentaire williche depuis 1996, avec des résultats très positifs. Il s’agit d’un système autonome de santé, mis en œuvre et géré par la communauté elle-même en fonction de ses besoins.
« Nous assurons ce service à toute la population de l’île, indigène et non indigène, et nous disposons d’un centre de santé dans la communauté de Koñimó. Dans ce centre, des soins de santé non seulement primaires, mais aussi complémentaires, sont offerts une fois par mois. C’est un point de rencontre entre les deux médecines : l’occidentale, à travers les médecins et les praticiens paramédicaux qui viennent dans nos locaux, et les thérapeutes et experts traditionnels du peuple williche. Du fait de l’intérêt et des besoins de la communauté, nous avons également intégré de nouveaux types de thérapie comme l’auriculothérapie (acupuncture auriculaire) ou le reiki [médecine japonaise de soins par imposition des mains sur différentes parties du corps].
« Il y a en outre articulation et coopération avec le système municipal de santé, l’école locale et le jardin d’enfants ethnique williche, ce qui se traduit par des activités de prévention et de promotion de la santé et dans le Kime Moñen, ou équilibre des personnes et des familles du territoire. »
Le programme est-il bien accueilli par la population non indigène de l’île ?
« Oui : plus de 60 % des personnes qui nous arrivent sont non indigènes. Nous nous l’expliquons par le fait que la population indigène, même si elle souffre des mêmes problèmes de santé, ne trouve pas le temps de se préoccuper de ces problèmes. Il y a d’autres besoins, il faut gagner son pain, ramener de l’argent à la maison, et le moment de prendre soin de sa santé est toujours repoussé à plus tard.
« Par ailleurs, il y a beaucoup de personnes non indigènes qui utilisent notre système pour des cas très spécifiques, des maux qui n’ont pas nécessairement de rapport avec une maladie corporelle, mais avec des relations ou des sentiments culturels que la médecine ne prend pas en considération et n’étudie pas. »
Ce programme de santé semble créer un lien entre toutes les communautés de l’île, mais quelle est la relation existante en ce qui concerne l’organisation territoriale ? Comment cette thématique a-t-elle été résolue ?
« Dans nos territoires il y a une base d’organisation qui est la communauté, mais le gouvernement avec la Loi indigène nous a obligés à diviser notre terre en domaines individuels. Toutefois, actuellement, nous sommes en train de restaurer la conception du travail communautaire, nous nous sommes répartis à nouveau les espaces en conformité avec la manière dont vivaient nos ancêtres, telle qu’elle avait été transmise de génération en génération. Tout ceci a été réalisé par nous-mêmes, sans intervention de personne, car nous sommes accoutumés à respecter nos espaces – nous n’avons jamais eu de problème majeur avec ça. De plus, nos terres ont été communautaires depuis la nuit des temps, de sorte que le respect de l’espace des autres fait partie de notre essence culturelle elle-même.
« En septembre 1993 fut promulguée la Loi indigène n°19253, laquelle stipule que la terre indigène peut faire l’objet de deux modalités d’allocation : à titre individuel ou à titre communautaire. Pourtant, depuis son entrée en vigueur jusqu’à aujourd’hui, les représentants des peuples originaires ont refusé de mettre en pratique l’allocation des terres. Ils exigent l’attribution de la personnalité juridique aux communautés, ignorant le Conseil général des caciques (qui a obtenu la personnalité juridique de par la même loi). En outre, il a été exigé, ou du moins des pressions ont été exercées en ce sens, que l’allocation des terres se fasse à travers des titres individuels, en foulant au pied la forme communautaire traditionnelle de la vie indigène. »
Et comment s’organise le travail du peuple williche sur l’île ?
La population indigène de l’île se consacre aux activités forestières, dans une moindre mesure à la production agricole à petite échelle et, dans toutes les zones côtières, principalement à la pêche artisanale. Historiquement, les Williches ont été pêcheurs et agriculteurs. Ces activités sont centrales dans notre culture, elles nous sont innées.
« L’État, une fois de plus, essaie de nous obliger à créer des organismes étrangers à la communauté pour accéder au bénéfice de certaines normes légales. C’est ainsi que nous avons dû nous incorporer à des syndicats de pêcheurs non indigènes, mais ce type d’organisation ne fait pas partie de notre culture ancestrale. »
Il existe donc de nombreux différends avec le gouvernement ?
« De fait, la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés en tant que peuple est le cadre juridique chilien, car les lois semblent avoir été faites pour ceux qui ont de l’argent. Nous voyons nos mers et nos terres qui continuent à être allouées à des particuliers par l’État chilien, sans aucun égard. Il peut s’agir de multinationales ou d’acteurs privés chiliens, mais comment comprendre qu’un État qui se vante de respecter les droits humains des peuples originaires ait vendu plus de 95% de la terres indigène de Chiloé à un entrepreneur chilien bien connu. Pour tout le monde, ce serait aberrant, mais pour l’État c’est légal.
« En outre, nous nous trouvons exclus des politiques nationales pour ne représenter qu’une province, et même pour ne représenter qu’une île. Dans les discours officiels, nous serions intégrés au continent et traités de la même manière, mais ce sont des mensonges, nous n’avons jamais reçu que des miettes. »
peuple autochtone, droit à la santé, médecine traditionnelle, diversité culturelle
, Chili
Les espaces d’intégration entre peuples indigènes et non indigènes représentent une option très concrète pour avancer dans la création d’une culture plus ouverte aux différences. C’est un échange auquel tout le monde gagne, en termes de droits, de qualité de vie et de respect.
Le système de santé complémentaire williche Kañimo Lamenkura constitue un exemple de respect et de complémentarité. Comme offre de médecine alternative à l’officielle, elle a su trouver un public important au sein de toute la population de l’île. Les modèles médicaux sont un ensemble de présupposés, d’idées et d’actions au moyen desquels un groupe de personnes organise ses perceptions et ses expériences afin de contrôler et de remédier aux problèmes de santé. Chaque modèle médical évolue dans une gamme limitée de caractérisations possibles pour un problème et sa solution, autrement dit chaque modèle est « biaisé » par sa vision des choses. C’est pourquoi des initiatives telles que le Programme de santé complémentaire williche attirent un segment de la population pour lequel le modèle médical officiel paraît insuffisant. Cela expliquerait la grande quantité de non indigène qui y ont recours.
Dans la cosmovision williche, la nature, la terre et l’homme sont autant de parties d’un même être. L’homme ne possède pas la terre, il est appelé à en prendre soin, car celle-ci l’accueille au moment de sa naissance et est sa compagne tout au long de sa vie et jusqu’à sa mort. Le respect de la terre est la pierre angulaire de cette culture, car c’est à ce niveau que se joue sa survie.
« La terre est ma vie, mon essence, mon être, tout comme la mer. Mon essence culturelle réside dans la terre et la mer. Sans ces éléments mon peuple meurt. »
Fiche réalisée par Almedio Consultants durant la rencontre « Paysans et pêcheurs au Sud du monde » à Chiloé (Chili), avril 2007. Cette rencontre fut convoquée par le Forum mondial des pêcheurs artisans, la Contag du Brésil et la Coprofam (Coordinadora de Productores Familiares del MERCOSUR). La brochure réalisée par Almedio peut être consultée dans sa totalité à l’adresse : www.almedio.fr/siteESPAGNOL/reamercosur.htm
Fiche originale en espagnol : Salud Williche, abriendo espacios de integración. Traduction : Olivier Petitjean.
Entretien
Entretien avec Alex Caicheo, werken de la communauté williche de Koñimo Lamencura, 22 avril 2007. Comunidad williche de Koñimo Lamencura. Ramirez 207, Radio Estrella de Mar, Ancud, +56 9 7214328, acaicheo@yahoo.es
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