12 / 1997
Dans le conseil de village de Haruku, petite île de l’archipel des Moluques en Indonésie, les régulations appelées sasi incarnent les principales règles légales de cette société. Il semble que le système sasi ait été intégré à la culture de Haruku au début du XVIIe siècle. Le sasi peut être décrit comme une prohibition de la récolte de certaines ressources naturelles dans le cadre d’un effort pour protéger la qualité et la population de ces ressources (végétales ou animales). Il s’agit également d’un effort pour maintenir les formes établies de la vie sociale en distribuant égalitairement entre les habitants locaux les bienfaits liés aux ressources naturelles environnantes.
Les règles de sasi sont décidées lors des réunions du conseil de village. Le kewang, dont les membres sont choisis dans chaque clan (soa) de Haruku, est l’institution chargée de superviser la mise en œuvre des règles de sasi. Le kewang est également responsable de punir et ramener à l’ordre les citoyens qui violeraient ces règles.
Il y a quatre types de sasi à Haruku – concernant respectivement la mer, la rivière, la forêt et le village. Chacune comprend des règles détaillées, comme celles qui spécifient l’équipement à employer pour la pêche, et stipule les amendes correspondantes.
Un certain nombre de réglementations additionnelles ont été formulées pour répondre aux développements modernes. Un exemple de ceci est l’interdiction d’utiliser un certain type de filet à mailles fines fabriqué en usine appelé karoro, lequel n’est apparu que récemment.
Le sasi relatif au poisson lompa (une espèce de petite sardine) présente un intérêt particulier puisqu’il constitue un point de recoupement entre sasi de la mer et sasi de la rivière. Le lompa ne peut être trouvé qu’à Haruku et nulle part ailleurs dans les Moluques. Comme le saumon, ce poisson vit à la fois dans la mer et dans les rivières, sortant en pleine mer le soir à la recherche de nourriture et revenant à la rivière seulement au petit jour.
Le sasi relatif au lompa entre en vigueur lorsque les jeunes lompa sont aperçus pour la première fois au large de la côte de Haruku, entre avril et mai. Ces bancs de jeunes poissons rejoignent habituellement la rivière après un mois ou deux.
Une cérémonie appelée le panas sasi est tenue trois fois par an pour marquer le début du sasi. Le chef du kewang prononce ensuite un discours pour déclarer le commencement du sasi. Le secrétaire du kewang lit à haute voix les règles du sasi relatives au lompa et les punitions encourues par les contrevenants.
Ces règles stipulent notamment, parmi d’autres dispositions, que le lompa ne peut pas être capturé ni dérangé d’aucune manière dans la zone couverte par le sasi. Est également prononcée l’interdiction pour les bateaux à moteur allant en mer de pénétrer dans la rivière avec leur moteur allumé. Le lompa utilisé comme appât peut être capturé uniquement à l’hameçon, mais pas dans la rivière. Ceux qui violent ces règles doivent payer une amende. Même les enfants surpris en faute son punis.
Cinq à sept mois plus tard, lorsque les lompas qui ont été protégés ainsi sont devenus assez grands pour être capturés, un second panas sasi similaire est convoqué. Après la cérémonie, le chef du kewang allume un bûcher à l’embouchure de la rivière pour attirer les lompas dans la rivière. Lorsque les bancs de lompas se sont agglutinés dans la rivière, les villageois mettent en place un barrage à l’embouchure pour les empêcher de s’échapper vers la mer avec le changement de marée.
Des battements de tambour signalent aux villageois qu’il est temps de se préparer pour se rendre à la rivière. Les leaders du conseil – le roi, le Seniri Negeri et le pasteur – jettent les premiers filets. Ceci accompli, les villageois sont libres de capturer autant de lompa qu’ils le peuvent.
Selon une recherche effectuée en 1984, le lompa capturé cette année-là représentait un poids brut de pas moins de 35 tonnes – une quantité non négligeable pour une seule capture.
Le système sasi est de plus en plus menacé. Des explosions illégales provoquées par des personnes irresponsables, par exemple, endommagent les récifs coralliens au large de la côte de Haruku. De nombreux efforts ont été fournis pour mettre fin à cette pratique, y compris le dépôt de plaintes à la police et auprès des tribunaux. Malheureusement, parce que les gens simples et ordinaires de Haruku n’ont pas accès aux centres de pouvoir, les autorités n’ont quasiment rien fait.
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, Indonésie
Les sociétés traditionnelles ont développé au cours de l’histoire des systèmes uniques, tel que celui décrit ci-dessus, pour protéger, conserver et gérer les ressources naturelles dont elles dépendent. Ces systèmes sont basés sur le principe de conservation et d’un équilibre harmonieux dans la relation entre les êtres humains et leur environnement. Ils expriment un savoir d’une richesse énorme sur leur environnement, basée sur des siècles d’observation. Toutefois, les stratégies modernes de développement ne reconnaissent que rarement de tels systèmes de savoir et de gestion. Les gouvernements leur ont généralement imposé de force à ces sociétés des systèmes modernes de gestion et de droits de propriété. Confrontées à une situation où leur droit aux ressources et leur capacité à les gérer n’est pas reconnue et soutenue, des sociétés basées sur de tels systèmes sont menacés de les voir détruits. Il y a besoin de légitimer ces systèmes et d’apprendre d’eux.
Fiche originale en anglais : Traditional ’Sasi’ System of Managing Fishery resources in Indonesia. Traduction : Olivier Petitjean.
Articles et dossiers
KISSYA, Eliza, « Managing the sasi way », Samudra Report, 1994/12, p.10 -11.
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