« Le terme ‘peuples mobiles’ (p. ex. des bergers nomades ou migrants, des chasseurs-cueilleurs, des agriculteurs itinérants, des habitants de plaines inondables ou de deltas se déplaçant de manière saisonnière, des nomades des mers, ou tout autre peuple caractérisé par un usage de la terre dynamique, changeant de manière régulière) englobe les peuples indigènes dont la subsistance dépend d’une propriété et d’un usage collectifs généralisés des ressources naturelles, et dont la mobilité est à la fois une stratégie de gestion garantissant une utilisation soutenable et la conservation de ces ressources, et une source distinctive d’identité culturelle. » (extrait de la Déclaration de l’Alliance mondiale des peuples indigènes mobiles)
En 2003, des peuples nomades venus de nombreuses régions du monde se réunirent à Durban (Afrique du Sud) au 5e Congrès mondial des Parcs naturels, où pour la première fois ils obtinrent d’être représentés. Sur la base des principes mis en avant dans la Déclaration de Dana, ils identifièrent des enjeux communs partagés avec les peuples indigènes et décidèrent d’un commun accord d’intégrer le terme « indigène » dans le nom officiel de leur groupe, exprimant ainsi leur solidarité avec le mouvement plus large et bien établi des peuples indigènes et tribaux au niveau mondial.
Les représentants des peuples indigènes mobiles souhaitaient souligner combien leurs cultures et leurs modes de vie mobiles impliquaient des besoins, des perspectives et des bienfaits tout à fait uniques en termes de conservation des ressources. Ils formèrent l’Alliance mondiale des peuples indigènes mobiles (World Alliance of Mobile Indigenous Peoples, WAMIP) pour promouvoir la solidarité entre eux et afin de se renforcer organisationnellement et politiquement pour assurer le respect de leur identité culturelle et de leurs modes de vie mobiles en harmonie avec la nature.
En Iran, comme dans de nombreux autres pays, les peuples indigènes ont été les victimes de la redistribution des terres, et ils ont été affectés de manière négative par les nouvelles exploitations agricoles. Ceci a mené à des conflits sérieux entre paysans sédentaires et bergers nomades, ce qui prouve une fois de plus combien il est important de prendre en compte les besoins de tous les utilisateurs locaux dans les politiques de réforme agraire.
Depuis 1963, deux révolutions ont lancé un processus continu de réforme agraire en Iran. Dès le début, la réforme agraire a été mise en œuvre pour remédier à l’instabilité politique plutôt que pour s’attaquer de front aux problèmes qui concourent à l’instabilité économique et sociale. Confronté à la situation économique dramatique de l’Iran dans les années 60, les États-Unis ont recommandé une réforme agraire comme moyen de garantir la stabilité politique. La réforme a permis au gouvernement de parcelliser des grands domaines qui constituaient un contre-pouvoir potentiellement menaçant, ainsi que d’entretenir sa popularité. Les États-Unis (en la personne des experts patentés de l’Université de l’Utah) admettent à présent que le manque de connaissances sur les spécificités locales et l’absence de prise en compte de tous les usagers et besoins locaux a conduit à l’échec de ce programme de réforme agraire impulsé par les États-Unis en Iran.
La Révolution islamique de 1979 a poursuivi le processus de réforme agraire en nationalisant et redistribuant graduellement les terres. Toutefois, le processus politique était très étroitement contrôlé, et l’initiative économique est restée virtuellement impossible.
Les paysans ont également été les premières victimes de la guerre Iran/Irak entre 1980 et 1988, qui a renforcé l’autoritarisme du régime, et donc limité les expérimentations et l’ouverture aux relations et expériences extérieures.
Certains paysans ont réussi à améliorer leur situation en créant des coopératives locales et communautaires, souvent soutenues par des autorités locales manifestant davantage d’ouverture d’esprit. Cependant, de manière générale, l’absence de soutien dans le cadre du processus de réforme agraire a créé une situation où de nombreux agriculteurs ont dû vendre ce qui leur avait été distribué, et soit travailler à nouveau pour de grands propriétaires, soit émigrer vers les grandes villes, où ils se sont trouvés victimes de l’exclusion sociale et de tous les maux qui l’accompagnent.
Depuis peu, les ONG se sont intéressées de plus en plus activement à des questions telles que la gestion des ressources naturelles, les jeunes (qui représentent 60% de la population) et les femmes. En ce qui concerne les enjeux environnementaux, il est apparu que les peuples nomades, qui se trouvaient punis par le gouvernement, sous prétexte de dégradation des terres, étaient les premières victimes de la réforme agraire : la ré-allocation de leurs ressources traditionnelles les a enfermés dans des territoires de plus en plus étroits, avec des conséquences telles que la perte et l’érosion de leurs moyens de subsistance et de leurs cultures, ainsi qu’une dramatique dégradation des terres qui leur restaient. Les droits des peuples mobiles ont été ignorés, et une forme toute relative de « participation » n’a été octroyée qu’aux populations sédentaires.
Le CENESTA (Centre for Sustainable Development and Environment), organisation de Mme Samira Darkamani Farahani, effectue un travail de soutien juridique auprès des tribus. Ils mettent en place des centres juridiques dans les communautés locales pour les aider à revendiquer un droit d’accès légal à la terre, et à changer une situation où les lois se contentent de les ignorer purement et simplement en essayant d’invoquer les droits coutumiers régulant l’accès à la terre depuis les temps ancestraux. Selon elle, le travail le plus important est de mettre en place des conseils d’anciens. Cela permet aux tribus de s’organiser, d’adopter une position officielle et de développer une meilleure stratégie dans leur lutte pour l’accès à la terre. Les anciens ont également une fonction très importante de transmission des règles traditionnelles d’utilisations de la terre, lesquelles pourraient, un jour, se voire officiellement incluse dans une législation iranienne réformée. Non seulement cela résoudrait les violations de droits humains constatées, mais cela permettrait aussi des progrès en termes de conservation des ressources naturelles. En effet, les tribus indigènes n’ont jamais considéré qu’elles avaient simplement « accès à la terre » en Iran ; elles se sont toujours vues comme une partie de l’écosystème, vivant de la terre et même « étant la terre ».
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, Iran
Il n’y a eu que peu d’opportunités d’entendre le point de vue crucial des peuples indigènes mobiles durant le Forum mondial sur la réforme agraire. Des peuples particulièrement marginalisés, qui sont confrontés à des problèmes d’accès aux ressources naturelles aux quatre coins de la planète, ont ainsi été privés d’une chance de s’exprimer. Ce fut également une occasion manquée de découvrir des manières différentes de considérer les ressources naturelles et leur gestion.
Samira Farahani déplore le manque d’organisation et de représentation des pays du Moyen Orient (à l’exception de la Palestine), où l’accès aux ressources naturelles est un problème fondamental, qui peut être expliqué en partie par l’isolationnisme historique de plusieurs régimes de la région.
La question des nomades, lesquels sont souvent en conflit avec les fermiers sédentaires, semble cruciale non seulement parce que ces peuples rencontrent d’énormes problèmes et sont menacés d’éradication, mais aussi parce qu’ils permettent une perspective différente sur l’accès à la terre, et introduisent dans le débat des thèmes comme l’opposition entre vie sédentaire et nomade, entre champs clos et espaces ouverts, et plus généralement la question de la diversité culturelle.
Entretien avec S. Farahani, CENESTA, réalisé par ALMEDIO Consulting avec le soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer durant le Forum mondial sur la réforme agraire (Valence, Espagne, 5-8 décembre 2004).
L’Alliance mondiale des peuples indigènes mobiles est basée à Téhéran, hébergée par le CENESTA. Voir www.wamip.org et www.cenesta.org
Fiche originale en anglais : Mobile Indigenous People Belong to the Land. Traduction de l’anglais par Olivier Petitjean.
Entretien
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