09 / 2009
Dans plusieurs pays africains, des associations utilisent les Technologies de l’information et de la communication (TIC) pour militer en faveur du respect des droits de la femme ou pour alerter sur les effets de l’échec scolaire. Si les TIC ne sont pas une réponse aux problèmes de société, elles peuvent être un outil de sensibilisation puissant, à l’heure de l’image et de la démocratisation des moyens d’enregistrement. Exemples concrets au Mali (« Femmes et TIC ») et au Maroc (« El Amane » et « Cinéclub Tinghir »).
Contrairement à une idée reçue, l’Internet et les Technologies de l’information et de la communication (TIC) ont déjà fait une percée en Afrique. Dans plusieurs pays africains, les indicateurs de « connectivité » reflètent une pénétration relative plutôt favorable aux TIC malgré la faiblesse des infrastructures. Au Burkina Faso, par exemple, on compte 2 ordinateurs et 40 internautes pour 1000 habitants, soit 85 fois moins que la Belgique (1). Un retard criant, qui doit être pondéré par une donnée objective : en évaluant le nombre d’internautes par tranche de revenu, le taux de 19,29 internautes par million de $ de PIB atteint au Burkina Faso est supérieur aux États-Unis (14,29) et même à tous les pays d’Europe. À l’échelle du continent africain, la « télédensité réelle », qui atteste du niveau d’utilisation des lignes fixes et mobiles, est passée de 1,61 pour 100 habitants à 28,11 entre 1993 et 2007 (2). Tout est donc prêt, malgré tout, pour que les technologies de l’information et de la communication profitent aux pays pauvres a priori très éloignés des vitesses atteintes dans l’hémisphère Nord. « La vraie barrière est sociale. », précise Assétou Diarra, 24 ans, coordinatrice de « Femmes et Tic », une ONG malienne dont l’objectif est de participer à l’émancipation des femmes au Mali grâce aux TIC.
Pour s’attaquer à ce chantier énorme qu’est « le meilleur épanouissement de la femme grâce aux TIC », cette ONG malienne a dégagé deux axes de travail : l’aide aux femmes rurales et l’assistance aux victimes de violences. Dans le premier cas, l’Internet peut être une fenêtre économique, une opportunité de vendre des produits locaux, par exemple, et donc de générer à terme des revenus et des emplois. Dans le second, il s’agit d’un moyen pour mener des actions d’alphabétisation puis d’information sur les droits des femmes. « La femme malienne, comme dans beaucoup de pays africains, a sa place à la maison, auprès des enfants, à assumer les tâches ménagères du foyer. L’ordinateur leur paraît donc comme un outil d’homme duquel elles sont socialement exclues. Dans les cyber-cafés, il n’y a pas d’assistance : elles n’y ont quasiment pas accès. Sans parler du prix de la connexion, qui reste un luxe à Bamako : 300 Francs CFA l’heure, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Il n’est donc pas étonnant que les femmes soient réticentes à l’idée de s’accaparer cet outil. Quelqu’un qui n’a pas d’argent et dont la tâche est traditionnellement de s’occuper de la maison n’a aucune raison d’aller se servir d’un ordinateur. » Et c’est toute la mission que s’est donnée cette ONG, soutenue financièrement par l’Institut international pour la coopération et le développement (IICD), partenaire (néerlandais) depuis le début, en 2006, et bailleur exclusif du projet.
L’informatique comme outil de connaissance et fenêtre vers l’autonomie économique
« Femmes et Tic » propose aux femmes habitant une zone rurale du Mali, comme celle de Zantiébougou, à 160 kilomètres de Bamako, d’apprendre à faire des « Powerpoints en Bambara » afin de montrer comment respecter certaines normes d’hygiène dans la confection de beurre de Karité (ce produit-miracle qui hydrate et traite un nombre impressionnant de désagréments de la peau). L’intérêt ? « Montrer aux populations voisines, qui grâce à cette présentation, à quel point il est important de respecter certains processus et certaines normes d’hygiène dans la fabrication du beurre de Karité. L’Internet dans ce cas-là, pourrait permettre, par l’intermédiaire d’un blog, de faire circuler ce travail. Dans d’autres cas, on aide certaines femmes à mettre en place un petit site commercial pour vendre leurs teintures à l’étranger. », explique Assétou, dans la voiture qui la mène au Palais du Peuple de Conakry, pour l’inauguration du séminaire « I-Jumelage », qui s’est tenu du 23 au 26 mai 2009. Pour elle, il s’agit d’utiliser les outils modernes de technologie pour servir de levier de développement, à plusieurs niveaux (économique, juridique, technique…).
Pour alerter sur les violences faites aux femmes, la puissance de l’image est également non négligeable. « Nous avons participé récemment à des ateliers avec APC Women[>3] sur la confection de vidéos de 6 minutes narrant des histoires de violences faites aux femmes. Certaines de ces vidéos ont été diffusées à la télévision malienne et sur des sites Internet. Le lien qui en découle peut être tout à fait utile, puisque nous travaillons avec une juriste pour aider les femmes victimes de violences à s’armer juridiquement. L’idée, à terme, est de produire une émission de radio pour parler des droits des femmes violentées. » Les TIC peuvent donc, par la force de l’image et celle du récit sur écran, sensibiliser et devenir à terme, une arme efficace pour s’émanciper économiquement ou se défendre juridiquement. Hors d’Afrique de l’Ouest, des réseaux de femmes militantes y ont pensé.
À Marrakech, la tâche que s’est assignée Halima Oulami ressemble peu ou prou à celle que défendent les quelque 72 membres de « Femmes et TIC » à Bamako. Depuis 2003, cette Marocaine fait fonctionner la structure « El Amane » (« la sécurité »… pour la femme), qui a aidé environ 2000 femmes des quartiers pauvres de Marrakech en trois ans. « Dans notre région, un des problèmes les plus fréquents est celui des jeunes filles qui quittent l’école ou qui refusent d’y aller. Les violences faites aux femmes sont également un fait inquiétant. Dans mon quartier, celui de Sidi Youssef Ben Ali, j’ai vécu la discrimination et j’ai vu la violence, contre ma mère et contre les femmes de mon quartier. J’ai rêvé d’être avocate. », se souvient-elle. Elle avait alors brisé un tabou dans sa propre famille : « Mon père était analphabète, comme ma mère. Il n’avait pas vraiment d’expérience dans les études, comme personne dans ma famille d’ailleurs. Je suis la première personne de ma famille à être rentrée à l’université où j’ai étudié l’histoire la géographie. » Au cours de ce cursus universitaire, elle a réalisé un mémoire sur la notion de « gestion de la communauté » puis un stage dans sa commune, pour « étudier les problèmes de ce quartier pauvre sur la route de Ouarzazate ». En 2003, elle créait El Amane. « Actuellement nous sommes treize membres. », explique-t-elle, avant de raconter l’histoire de cette femme qu’El Hamane a aidée… (Lire la fiche « Internet permet de sensibiliser aux problèmes des droits de la femme »)
Ateliers d’éducation sur les droits de la femme, cours d’alphabétisation, apprentissage de l’autonomie économique aux femmes victimes de violences conjugales… Dans tous ces chantiers, les TIC ont un rôle à jouer. « Les conventions internationales sont répertoriées sur l’Internet et durant nos stages de formation, nous leur apprenons à prendre connaissance des droits fondamentaux de la femme. (…) Internet est très important au niveau de la sensibilisation de la population aux problèmes de droits de la femme : au niveau de notre communication vis-à-vis des autres associations, pour faire la publicité de nos activités, ou encore pour la recherche de bailleurs de fonds. »
La vidéo sur téléphone portable pour « aider les jeunes à s’en sortir ».
Invitée elle aussi à participer à « I-jumelage », Halima Oulami estime que cette plateforme en création va lui apporter de « l’échange d’expérience », notamment sur l’usage de la vidéo comme « moyen de sensibiliser aux problèmes des droits de la femme ». Au cours du séminaire, l’apport de la vidéo pédagogique, sur différents supports, est apparu comme un axe majeur de développement et de coopération possible entre les participants. Les téléphones portables, qui permettent de plus en plus à tout un chacun de tourner des vidéos, apparaissent comme un moyen d’échanger, de donner la parole et d’informer. Le mobile s’est d’ailleurs imposé depuis assez longtemps en Afrique puisque des pays comme la Guinée ou la République Démocratique du Congo ont vu leur nombre de lignes mobiles dépasser celui des lignes fixes en 1998. Le virage sans-fil a déjà plus de dix ans : logique que le téléphone mobile, qui connaît des évolutions technologiques spectaculaires (Internet, photographie, réception de signaux) est un outil privilégié de communication… et d’action.
C’est également le moyen de sensibilisation qu’a choisi Abdullah Taibi, 26 ans, basé à Ouarzazate, au Maroc. Fondateur du « Cineclub Tinghir », il réalise dans le cadre de son travail de professeur d’anglais en zone rurale, des petits films sur … l’échec scolaire. « Un des fléaux au Maroc, avec l’exil vers l’Europe. » Pour montrer et donner à voir les effets de la déscolarisation, il fait réaliser par des élèves, des films destinés… aux élèves. « La région de Ouarzazate est assez conservatrice et le cinéma n’est pas une pratique courante. Nous mettons donc l’accent sur le fait que ces films sont réalisés par des non-professionnels, dans leur langue maternelle, (ici, le Tamazigh) et qu’ils traitent de leurs problèmes. Je leur donne le scénario, je filme et les élèves se voient à l’écran. », explique-t-il, avant de lancer sur l’écran de son ordinateur portable un de ses trois courts métrages (4), intitulé « School Failure ».
On y voit un jeune garçon, turbulent, qui, au fond de la classe, jette des boulettes de papier sur ses voisins puis décide de quitter la classe, balayant d’un revers de la main le dispositif scolaire qui l’encadre - et une partie de son avenir. La scène suivante le montre imbécile, fer à souder à la main, puis déboussolé, en face d’une photocopieuse, dans une entreprise où il s’est fait embaucher le jour même comme apprenti. « Il veut travailler mais il ne comprend rien. », décrypte Abdullah Taibi. Flash Forward : le déserteur revient sur sa chaise d’école, visiblement convaincu du fait que c’est à l’école que l’on peut apprendre un métier, même si Abdullah le prof d’anglais n’apprend pas à manier le fer à souder ni les photocopieuses. Qu’importe. Le message est passé : « L’idée, c’est que les jeunes voient ce film et qu’ils se disent qu’il est mieux de penser avant d’agir et que dans tous les cas, travailler à l’école constitue le meilleur moyen de s’en sortir. Si les élèves se rendent compte eux-mêmes des conséquences de l’échec scolaire, c’est le but. » Un objectif que l’usage éducatif de quelques téléphones portables et un logiciel de montage contribue à atteindre. « J’essaie de résoudre les problèmes que je constate en confrontant les personnes à leur propre image. L’image est plus forte que la parole surtout que nous, les profs, nous n’avons aucune formation de psychologues… » En attendant de diffuser ces films sur le réseau marocain : « La fondation Mohamed VI a construit un centre éducatif multimédia à Ouarzazate. On a demandé une salle pour le cinéma. Ils ont accepté l’idée, mais nous n’avons aucun budget pour l’équipement cinématographique… »
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Entretien
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