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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Seule issue pour nous sortir du pétrin : consommer

Sunita NARAIN

11 / 2008

Il y a quelques temps, j’ai affirmé que le budget fédéral de l’Union Indienne était un budget à très courte vue (Down to Earth du 31 mars 2008). Permettez-moi de reformuler mon argumentation. Le budget fédéral de l’Union Indienne n’a pas pris en compte le fait que le monde commençait à faire face à de nouveaux défis, que tous étaient dévastateurs et liés les uns aux autres. Tout d’abord : le coût de notre nourriture qui augmente, - souvenez-vous de l’augmentation des prix qui en a découlé et des émeutes de la faim qui ont eu lieu en différents lieux dans le monde. Deuxièmement : le prix du pétrole qui, à nouveau vers le milieu de cette année, a atteint un pic ahurissant à 140 dollars le baril et qui, malgré sa baisse actuelle reste très instable. Troisièmement : les effets dévastateurs du changement climatique, manifestes sur les rendements agricoles du fait du manque d’eau, des pluies irrégulières ou de la fréquence de plus en plus grande des catastrophes naturelles. Quatrièmement : une possible récession mondiale provoquée par les États-Unis.

En fait, cette récession nous a depuis éclaté au visage avec les faillites de sociétés, de banques et les gouvernements qui se précipitent pour les secourir avec des milliards de dollars. Et la myopie semble être un malaise partagé par le monde entier. Ce qui devrait nous surprendre, ce n’est pas la crise, ni son ampleur ni les dégâts qu’elle entraîne mais la réponse que nos élites financières et politiques y apportent. N’oubliez pas que tous ont fait des études similaires, qu’ils parlent le même langage et qu’ils font les mêmes choses. Tous sont persuadés qu’ils connaissent leur monde et ils s’imaginent que le temps d’un simple claquement de doigt leur suffirait pour proposer des solutions. Donc même s’ils sont complètement perdus dans le monde d’aujourd’hui, leur arrogance perdure. Ils ont affirmé tout d’abord : « Ne vous inquiétez pas, elle ne nous touchera pas ». Maintenant, ils disent : « Ne vous inquiétez pas, elle passera ».

La réalité, c’est qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qui est en train de se produire ». Ils refusent aussi d’accepter que cette crise est liée à la manière dont a été gérée la croissance jusqu’à ce jour. La réalité c’est qu’on nous a appris et nous avons mis en pratique ce qui nous a été prôné, en l’occurrence que nous pouvons consommer à notre guise en période de croissance et aussi en pleine période de récession. Le leitmotiv énonce : « Ne vous inquiétez pas, contentez-vous de consommer ». Si nous ne pouvons pas nous permettre de consommer, pas de problème non plus. Le système bancaire nous permettra bien sûr d’obtenir des prêts à bas coût pour acheter des maisons, des voitures, des machines à laver ou toute autre chose dont nous n’avons pas besoin mais seulement que nous désirons. Après tout, ce n’est que si nous consommons que les indicateurs de croissance se redresseront et que le monde restera heureux.

Le problème avec ce modèle c’est que nous faisons peu d’efforts pour nous assurer que nous pouvons faire baisser le coût du produit de telle sorte qu’il devienne abordable. En d’autres termes, nous ne planifions pas, nous ne créons pas, nous ne concevons pas nos produits et nos services avec dans la tête l’idée qu’ils doivent correspondre aux possibilités d’achat de la population. On n’exige pas de la technologie qu’elle soit abordable. On ne partage pas la prospérité de telle sorte que la croissance devienne accessible au plus grand nombre – que la maison ou la voiture devienne accessible – sans les prêts qui permettront aux banques de prospérer puis de péricliter.

La crise des sub-primes qui a touché les États-Unis est advenue justement parce que les banques ont prêté rapidement, à bas coût à des personnes qui ne pouvaient pas se permettre d’acheter un logement. Pire, le marché en profitait car la maison vendue plus chère devenait donc a contrario moins accessible.

L’autre voie vers la croissance est de subventionner la production des objets que nous devrions consommer. Prenons l’exemple de la voiture « Nano » (1) en Inde : chaque constructeur automobile se rue pour obtenir les largesses publiques - qui vont du terrain à très bas coût en passant par les prêts sans intérêt, à l’énergie ou l’eau gratuite ou presque -. Tout ceci a pour objectif de réduire le coût de production, de mettre la voiture que nous ne pouvons pas acheter à portée de notre bourse. Autre voie retenue dans cette économie : subventionner la consommation. Il est ainsi troublant de constater comment la nourriture est produite dans les pays riches – les agriculteurs (pour la plupart versés dans l’agro-business) reçoivent force subventions, grâce auxquelles ils produisent de la nourriture à bas coût. La consommation et sur-consommation peuvent donc augmenter et ce alors que l’obésité apparaît désormais comme la maladie la plus mortelle qui soit dans le monde. Il est également un fait que c’est cette même croissance économique fondée sur la consommation qui a amené le monde à la catastrophe du changement climatique. Et maintenant la question est posée : commençons-nous à faire ces relations ?

Il apparaît clairement qu’il n’en est rien. En fait, il n’y a qu’un seul moyen de sortir de ce pétrin dans lequel nous sommes : faire plus que ce que nous avons fait jusqu’à ce jour. Le Président des États-Unis, Monsieur George Bush, a bien expliqué avec beaucoup de concision que le dispositif des 700 milliards de dollars avait été élaboré dans l’intérêt du « pauvre » travailleur. Il était indispensable selon lui que les banques accordent des prêts car, si elles ne le faisaient pas, l’Américain moyen n’aurait pas d’argent pour s’acheter une voiture et ceci aurait pour conséquence que les ouvriers de Detroit perdraient leur travail. Logique simple pour une économie simple : acheter, acheter encore, pour faire tourner l’économie.

De cette manière, le cercle vicieux continuera, sans cesse. Nous consommerons toujours plus, car c’est le seul moyen que nous connaissons de permettre à l’économie de croître. Et ce, même si cela nous coûte une banque ou la terre.

Nous n’en parlerons pas. Si nous le faisions, cela voudrait dire que nous devrions modifier notre conception de base de ce qu’est la croissance, changer nos conceptions sur ce qui mène au bonheur et les incidences que cela aurait sur l’emploi et le bien-être pour tous. Cela voudrait dire que nous devrions modifier notre manière d’appréhender la croissance économique – abandonner ou aller au-delà de l’indicateur du produit intérieur brut (PIB) pour en adopter un qui appréhenderait mieux l’évaluation de ces besoins.

Ce n’est pas demain que nous changerons. Le monde est toujours entre les mains de ceux qui, en tout premier lieu, nous ont fourrés dans le pétrin. Ce sont leur imagination limitée et le poids de leur idéologie s’imposant à tous qui nous ont conduits là où nous sommes. C’est leur manque d’imagination qui a d’abord poussé les compagnies aériennes à croire que l’avion pouvait être aussi bon marché que le train. Puis elles ont poussé les autorités afin d’obtenir des fonds publics pour financer ce que nous ne sommes pas en mesure de payer. N’attendez en conséquence aucun changement. Cette crise financière peut s’arrêter mais la tempête est encore à venir.

1 Note de la traductrice : La voiture Nano, lancée par le groupe Tata en janvier 2008 a été présentée comme la voiture la moins chère du monde.

Mots-clés

crise économique, système économique, consommation

Notes

Traduction en français : Michèle JAMMET (CRISLA)

Cette fiche est également disponible en anglais : Bail us out: consume

Source

CSE, Down To Earth, 1-15 novembre 2008

Down To Earth est une revue indienne écologiste et scientifique, publiée par le CSE (Centre for Science and Environment) à New Delhi.

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