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L’eau et l’alimentation : enjeux mondiaux à l’orée du XXIème siècle ?

Mohamed Larbi BOUGUERRA

11 / 2008

La problématique Eau a accédé aujourd’hui au rang de question mondiale et est très souvent à la une des médias.

Le phénomène du changement climatique a encore amplifié cette médiatisation proche de la saturation. Ainsi, la conférence de Londres (18 septembre 2007) demande aux gouvernements européens de tout faire pour empêcher que l’élévation de température ne dépasse les 2°C et avertit que « échouer à atteindre ce but fera que deux milliards d’êtres humains devront souffrir de pénurie d’eau » (Lewis Smith, « Damage to the planet « is already inevitable » », The Times, 19 septembre 2007, p. 22).

De l’avis général, les pénuries d’eau sont à nos portes. Ce qu’on oublie souvent c’est que pénurie d’eau rime avec pénurie d’aliments et signifie plutôt la faim que la soif. Les immigrants qui confient leur vie aux frêles esquifs qui échouent aux Canaries ou à Pantalleria en Italie sont en réalité, pour la plupart, des victimes de l’avancée de sables et de la sécheresse qui sévit au sud du Sahara.

Eau et conflits

L’eau est essentielle pour la plupart des activités humaines. Elle commande le développement des sociétés ainsi que leur alimentation depuis l’aube de l’Humanité comme le montre à l’envi les civilisations chinoise, égyptienne, mésopotamienne…

Pour les experts sollicités par l’ONU, d’ici un demi-siècle, l’eau pourrait devenir un bien plus précieux que le pétrole. On notera ici que si les hydrocarbures peuvent avoir des substituts, tel n’est pas le cas de l’eau qui constitue près de 75 % de la cellule vivante qu’il s’agisse du petit de l’homme, de l’amibe, de l’éléphant, du ciron ou du dauphin.

Certains comme l’ancien vice-président égyptien de la Banque Mondiale estime que des guerres seraient à prévoir pour la conquête de « l’or bleu ». De même, l’ancien Président égyptien Anouar Sadate, le président israélien Shimon Pérez et l’ex-Secrétaire Général des Nations Unies Boutros Boutros Ghali ont parlé de guerre à propos de l’eau. Israël n’a-t-il pas bombardé ses voisins et fait la guerre pour s’assurer l’eau du Jourdain ?

On notera enfin qu’un monde où 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et où 2 milliards d’autres n’ont pas d’assainissement est un monde dangereux et un monde où la paix est constamment menacée.

A l’échelle de la planète, l’eau est devenue un enjeu géostratégique et une cause de tensions internationales fortes (Israël-Palestine où Israël impose, manu militari, aux Palestiniens de consommer cinq fois moins d’eau que lui ; Syrie-Turquie-Irak, pays riverains du Nil, du Niger, du Sénégal, le détournement de l’Okavango a créé un conflit entre la Namibie et le Botswana comme ; ce qui crée une situation explosive entre la Palestine, la Jordanie, la Syrie et Israël…et menace la paix dans le monde).

On notera que plus de 260 bassins versants sont transfrontaliers et les populations sont obligées de partager la ressource avec leurs voisins d’où des conflits récurrents notamment dans le cas où le cours d’eau traverse les frontières politiques artificielles léguées souvent par le colonialisme en Afrique et en Asie.

Du reste, comme cela l’a été souvent au cours de l’Histoire, l’eau devient un véritable instrument de pouvoir entre les mains du pays d’amont (à titre d’exemples : Turquie versus Syrie et Irak ou pays du cour du Mékong).

Les aquifères souterrains créent aussi, de leur côté, des tensions à l’égal des cours d’eau de surface comme on l’a vu lors de la construction du Grand Fleuve Artificiel en Libye ou comme le montre le cas de l’aquifère de Cisjordanie occupée par Israël. Par ailleurs, historiens et anthropologues savent que des désordres sociaux coïncident souvent – en Afrique orientale au Moyen Age voire au jour d’aujourd’hui, par exemple et comme l’a montré le grand historien de l’Afrique Joseph Ki-Zerbo- avec des périodes de sécheresse.

Dans nombre de sociétés anciennes comme en Chine, en Mésopotamie ou en Egypte, l’eau était un instrument de puissance politique permettant de centraliser le pays et d’asseoir l’autorité de l’Empereur, du Roi ou du Pharaon. L’ordre social, l’assiette et la collecte des impôts, les crises politiques… dépendaient du bon vouloir de la pluie ou de la cote atteinte par l’inondation car celles-ci décidaient de l’abondance des récoltes et donc de la dîme à prélever !

Avec l’amélioration du niveau de vie, avec l’essor démographique, les tensions sur l’eau pourraient se multiplier à l’avenir avec des risques de déflagrations, prédisent certains experts. Pour d’autres, la gestion de l’eau pourrait, bien au contraire, être un catalyseur de la pacification et de la coopération internationale comme le montre l’exemple de l’Inde et du Pakistan : en dépit de leurs divergences religieuse (Musulmans versus Hindouistes) et territoriale (cas du Cachemire) ou de la bombe atomique, la coopération sur l’Indus s’est constamment maintenue : de fait, l’agriculture du Pakistan dépend presque entièrement de l’irrigation et l’eau de l’Indus a toujours été cruciale à cet égard comme le montre la civilisation Harrapan. De même, avec bien des hauts et des bas, les cinq républiques d’Asie centrale, relevant jadis de l’URSS que sont le Kazakhstan, le Turkménistan, le Kyrgysistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan – qui se partagent les eaux du Syr Daria et de l’Amou Daria qui se déversent dans la mer d’Aral - ont mis au point un système original d’échange de l’eau – avec, cependant, les encouragements de médiateurs étrangers - contre le gaz naturel ou le charbon pour diminuer les tensions relatives au partage de l’eau de ces deux fleuves et préserver la paix entre elles.

Fadel Kaawash, sous-directeur de l’Autorité palestinienne de l’Eau – qui désigne la Palestine comme « le pays de la soif »- affirme : « Israël ne pourra faire la paix avec des gens qui meurent de soif ».

Ainsi, l’eau montre toujours aux humains cette face de Janus : inondation/sécheresse ; santé/maladies hydriques, guerre/paix, abondance/disette, coopération/conflits….

Eau et alimentation

En fait, l’eau est au cœur des jeux complexes du pouvoir, de la politique et de l’argent. Pourquoi ?

Parce qu’il ne saurait y avoir de développement économique sans eau.

Le géant chinois est aujourd’hui assoiffé de pétrole nous dit-on à longueur de journée sur tous les tons dans les médias.

Voire.

La Chine a aujourd’hui une grave crise de l’eau tant les demandes des industries, de la production d’énergie, des villes et de l’agriculture se heurtent et entrent dans une féroce compétition les unes contre les autres- pour ne rien dire de la pollution industrielle et organique qui condamne et retire d’énormes volumes du liquide vital du cycle hydrologique normal. Du reste, les officiels n’en font pas mystère : lors de son passage en France en 2004, sur le perron de Matignon, le Premier Ministre chinois l’a dit en termes on ne peut plus clair : l’eau est le talon d’Achille de la Chine contemporaine car des puces électroniques entrant dans nos ordinateurs, nos téléphones portables ou nos téléviseurs au cuir de nos chaussures et à l’acier de nos automobiles, l’eau absolument indispensable.

Bien plus, crise de l’eau signifie crise alimentaire qu’il s’agisse d’agriculture pluviale –comme en Afrique et au Maghreb ou agriculture irriguée comme en Egypte, au Pakistan….

Le grand écologiste américain Lester Brown l’a dit depuis longtemps : une tonne de blé exige 1000 tonnes d’eau pour voir le jour. De même, il nous faut garder à l’esprit certains chiffres : pour obtenir 100g de protéines à partir de la pomme de terre, il faut 67 litres d’eau et autour de 130 litres pour obtenir cette même quantité à partir du maïs, des haricots ou du blé. Par contre, obtenir 100 grammes de protéines de poulet, de porc ou de bœuf exige 303 litres, 476 litres et 1000 litres d’eau respectivement. En d’autres termes, il faut 15 500 litres d’eau pour produire un kilogramme de viande de bœuf soit dix fois plus que pour récolter un kilogramme de blé.

On voit ainsi qu’un régime végétarien est bien plus économe en eau (et plus profitable, généralement, pour la santé) qu’un régime carné basé sur le hamburger !

Le régime alimentaire moyen aux Etats Unis- qui est à forte teneur en aliments carnés- nécessite 5,4 m3 d’eau par personne et par jour- soit deux fois plus d’eau qu’un régime végétarien également (voire plus) nutritif. Diviser par deux la ration de viande et la remplacer par des produits végétaux hautement nutritifs réduiraient de 37 % la pression sur l’eau du régime alimentaire étasunien. Si cette transition était réalisée d’ici 2025, quand les Etats Unis compteront près de 350 millions d’habitants, elle abaisserait alors de 256 milliards de m3 l’eau nécessaire pour satisfaire les besoins alimentaires du pays.

De nombreuses autres retombées sont à attendre d’un tel développement : moins de maladies cardiaques, moins d’obésité, moins de cruauté et de souffrances pour les animaux élevés en batterie (voir, sur ce sujet, l’admirable film « Notre pain quotidien ») et moins de pollution des cours d’eau et des estuaires – avec leur lot d’algues vertes par exemple comme on le voit sur certaines côtes françaises parfois- en provenance du lisier et du fumier des élevages industriels. Au plan mondial, assurer un régime sain pour tous alors que la pénurie d’eau ne cesse d’enfler appellera des ajustements aux deux extrémités du spectre des régimes alimentaires. Le milliard d’humains qui souffrent de malnutrition a besoin de manger plus pour vivre en bonne santé. Développer l’accès à des niveaux minimum d’eau d’irrigation peut permettre de réaliser cette visée. Il sera tout aussi important de parvenir à un partage plus équitable de l’eau incorporée dans les aliments via le commerce et l’aide. Quant au petit changement d’habitudes alimentaires des Etats Unis – voire de l’Occident en général- évoqué ci-dessus, il libérerait assez d’eau pour procurer une alimentation saine pour près de 400 millions de personnes, soit près du quart de la population nouvelle attendue dans les pays en développement en 2025. Mais celle-ci aura besoin de l’aide et de la solidarité de ceux qui ont savoir et richesse car il faut augmenter la productivité de l’eau en agriculture en améliorant les techniques d’irrigation, en limitant les pertes et l’évaporation, en apportant l’eau au cours des périodes de croissance critique de la plante, en mettant au point des variétés peu sensibles à la sécheresse et en s’appuyant sur «l’eau verte » - cette ressource moins spectaculaire que « l’eau bleue » des cours d’eau - qui s’infiltre dans les sols après la pluie et qui alimente directement les racines. Pour les spécialistes, en Afrique subsaharienne dont les récoltes sont à 95 % pluviales, on n’utilise de manière productive que 10 à 30 % des précipitations alors qu’il suffirait de récolter l’eau de pluie, de planter plus profondément, faire des terrasses et d’abandonner les labours profonds. Mais le savoir-faire et la gouvernance (« le savoir-diriger ») sont aussi très importants : ainsi, à titre d’exemple, l’agriculture marocaine absorbe 85 % des eaux disponibles au Maroc et 65 % de cette manne est gaspillée. Pourquoi ? Situation complexe où le régime autocratique, l’absence de démocratie et les comportements irresponsables jouent leur funeste partition. Dans l’univers mondialisé d’aujourd’hui, cette mauvaise gouvernance ne sert personne en réalité et nous devons tous y mettre fin pour le bien de l’Humanité dans son ensemble.

Il dépend des hommes que l’eau soit un facteur de paix, de concorde et de prospérité pour toute l’Humanité car, disait le poète Paul Claudel : « L’eau est le regard de la Terre, son appareil à regarder le Temps ».

Pour aller dans le sens de la concorde et la paix et pour garder toujours clair ce regard si précieux, il faut assurer à ceux qui ont faim… de l’eau, cette ressource vitale, à nulle autre pareille et qui, à travers le cycle hydrologique de l’eau, englobe tous les humains voire tout le Vivant, depuis plus de quatre milliards d’années, quand la planète Terre a fait son apparition dans le Cosmos.

Mots-clés

conflit de l’eau

Notes

Ce texte est paru en novembre 2008 dans le n°185 de la revue Biocontact.

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