L’Autre Sommet Economique (ASE)
En 1983, quelques activistes britanniques inspirés par plusieurs courants de la tradition de l’économie humaniste se sont réunis pour organiser un contre-sommet aux rencontres annuelles des sept nations les plus riches (G7). Ils ont créé une plate-forme nommée l’Autre Sommet Économique (ASE). Le premier ASE s’est tenu en 1984 à Londres, tout près du lieu où les chefs d’Etat et de Gouvernement du G7 se rencontraient. Cette plate-forme a réuni des économistes alternatifs, activistes verts et communautaires du monde entier. Leur objectif était de montrer qu’il existe d’autres manières d’organiser l’économie. L’ASE remet également en question le droit des leader du G7 de parler au nom du monde. Avec le succès du premier contre-sommet à Londres, l’ASE est devenu un terme générique pour désigner des réunions similaires organisées à travers le monde ces deux dernières décennies.
Comme le rappellera plus tard James Robertson : « L’un des objectifs des ASE était de construire une coalition internationale des citoyens pour une nouvelle économie fondée sur des valeurs sociales et spirituelles afin de prendre en compte des questions systématiquement négligées par le G7, telles que la pauvreté, l’environnement, la paix, la santé, les droits de l’Homme et la gouvernance démocratique globale. L’Autre Sommet Économique est donc devenu un compagnon annuel des rendez-vous officiels du G7. Depuis 1984, la montée fulgurante de la conscience environnementale et l’effondrement du communisme mondial ont montré ce que des mouvements citoyens efficaces pouvaient accomplir et ont créé de nouvelles ouvertures vers une approche post-moderne de la politique économique. »
Les ASE exigeaient, entre autres, que le système de gouvernance économique globale soit démocratisé. Ils suggéraient que les sommets du G7 soient remplacés par un Conseil Économique Mondial plus représentatif, travaillant avec les Nations Unies et responsable de la coordination du travail et des politiques du Programme des Nations Unies pour le Développement, de la Banque mondiale, du Fonds Monétaire International, du GATT, etc. A côté de cet organisme officiel, un forum citoyen indépendant était envisagé. Les ASE visaient à jouer ce rôle en tant que forum annuel, international et indépendant, regroupant ONG, mouvements de base et citoyens engagés. Cette plate-forme de la société civile devait offrir un espace à un ensemble de points de vue plus variés que les sommets gouvernementaux et donner une vue plus large de la réalité. L’objectif était que les intérêts vitaux des personnes défavorisées ne soient pas ignorés.
Le processus des ASE est devenu un point central d’articulation de la pensée des alternatives économiques et de l’échange d’idées entre ses défenseurs. Cela inclut à la fois des activistes politiques et des universitaires qui remettaient en question l’orthodoxie néo-libérale à partir de différents angles.
Malheureusement une grande partie du travail interne, très vaste, des ASE pour une nouvelle forme d’économie a été voilée par les média qui l’ont décrit comme un simple mouvement anti-mondialisation. Il est vrai que les ASE ont été le précurseur du processus mondial décentralisé qui a conduit aux grandes rencontres internationales du Forum Social Mondial qui s’est tenu pour la première fois à Porto Allegre, au Brésil en 2001. Mais, bien que la plate-forme du FSM soit marquée par l’opposition bruyante à la mondialisation conduite par le grand capital, la recherche d’alternatives aux modes actuels d’organisation de la vie économique est sous-jacente.
Les ASE ont aussi contribué grandement à la création d’un réseau international de groupes de militants engagés dans différentes formes d’alternatives économiques, à savoir la New Economics Foundation.
La New Economics Foundation
Les Autres Sommets Économiques ont conduit à la naissance de la New Economics Foundation (NEF, Fondation pour les Nouvelles Économies ou Alternatives Économiques) au Royaume-Uni en 1986. La NEF est un groupe de réflexion et d’action travaillant à un « nouveau modèle de création de richesses fondé sur l’égalité, la diversité et la stabilité économique ».
Bien qu’elle ait commencé comme une organisation modeste, la NEF s’est engagée sur de nombreux fronts dès ses débuts : les villes durables ; la nouvelle économie de l’information ; un projet sur les religions et les alternatives économiques incluant un dialogue entre personnes de différentes croyances et examinant des expériences économiques d’enfants de différentes religions. Ce dernier projet a conduit à un livre pour enfants sur la religion et l’économie. Le travail de la NEF recouvre donc quatre grands domaines : les communautés, le travail, la démocratie et l’économie globale. Association caritative, la NEF est financée par des individus, des fonds publics et du monde des affaires et des bailleurs de fonds internationaux.
La frange la plus radicale de la vision de la NEF est sans doute encore marginale mais de nombreuses idées mûries en son sein sont aujourd’hui du domaine de la politique publique.
La NEF a encouragé la diffusion de « banques de temps », une forme particulière de monnaie communautaire. Elle a également mis en place des indicateurs de durabilité qui mesurent des aspects de la vie qui n’étaient pas pris en compte auparavant. Ainsi, la NEF a développé des techniques d’évaluation de la valeur des relations sociales, de la justice, de la participation sociale et de la durabilité environnementale. Ce travail sur les indicateurs, bien que largement centré sur le Royaume-Uni, a alimenté un courant global cherchant à montrer comment la croissance économique et la durabilité divergent souvent. Les données fournies par les indicateurs alternatifs jouent un rôle crucial dans la mesure de l’impact réel des politiques économiques. Il devient alors plus aisé pour les citoyens de tenir les hommes politiques pour responsables et de créer une opinion politique afin de faire pression. Ainsi, les indicateurs de bien-être et de durabilité sont à la fois des manières d’engagement social et des outils de gestion.
La petite entreprise locale est un autre centre d’intérêt majeur de la NEF. L’ouvrage de Pat Conaty, Homeopathic Finance - Equitable Capital for Social Enterprises publié par la NEF en 2001 montre comment la croissance des entreprises sociales est freinée par le manque de financement et de structures légales appropriées. Le rapport de Conaty est fondé sur l’expérience d’entrepreneurs sociaux et des pratiques innovantes qui permettent de dépasser ces obstacles.
De la même manière, l’étude la NEF intitulée Low Flying Heroes, montre qu’une grande part de l’économie britannique dépend d’au-moins un million de micro-entreprises sociales « hors radar ». Ces entreprises qui vont des soins pour enfants au théâtre communautaire en passant par les cafés et les unions de crédit, impliquent jusqu’à 5,4 millions de personnes. Ce capital social est non seulement peu étudié et sous-évalué mais il souffre d’obstacles bureaucratiques. Les projets de la NEF visent donc d’une part à souligner l’importance de ces organisations informelles, d’autre part à faire pression sur le gouvernement pour favoriser leur soutien systématique.
Le programme de mesure des flux monétaires locaux a développé un outil qui permet aux communautés de diriger et de comprendre la manière dont l’argent circule dans l’économie locale. Cela permet de démontrer comment les individus autant que les entrepreneurs locaux sont gagnant quand la monnaie circule plus longtemps au sein de la communauté locale, plutôt que d’en sortir rapidement.
En collaboration avec les Amis de la Terre et le Centre de Stratégie Environnementale (Université de Surrey) la NEF a développé un « index de bien-être économique durable » pour le Royaume-Uni.
De 1995 à 2000, la NEF a mené une série d’audits sociaux auprès d’entreprises. Ces audits mesurent et évaluent la performance sociale et éthique de l’entreprise, la rendant plus responsable vis-à-vis de ses actionnaires. Le travail de la NEF a montré que de tels audits permettent aux entreprises de gérer leurs affaires plus efficacement. Il a été également utilisé dans la création de l’Institut pour la Responsabilité Sociale et Éthique (Institute of Social and Ethical Accountability) qui promeut des normes professionnelles de responsabilité sociale et d’audit.
Parallèlement à cela, la NEF aide à élargir l’espace de discussion sur la libéralisation du commerce. Cela signifie de s’attaquer à la résistance des cercles académiques et officiels à la reconnaissance des imperfections théoriques du modèle néolibéral. La NEF a été parmi les voix les plus constantes sur comment et pourquoi la croissance économique continue à être définie de manière non durable. Bien des années avant que ce ne soit largement reconnu, la NEF a mis en garde sur le fait que le changement climatique serait bientôt un élément central de l’économie mondiale. Andrew Simms a dénoncé l’absurdité des « gouverneurs globaux », à savoir le FMI et l’Organisation Mondiale du Commerce, se cramponnant à une théorie économique abstraite comme si elle était plus importante que le monde réel. Simms souligne la vulnérabilité de la théorie économique face aux catastrophes naturelles et appelle même de ses vœux une prière quotidienne pour « nous délivrer de l’abstraction ». En quelques années il est devenu largement reconnu que le coût monétaire du changement climatique pourrait provoquer une crise économique globale.
Vers 2003, l’importance des diverses innovations de la NEF a été reconnue. Au début du 21ème siècle, elle peut voir avec satisfaction que certaines de ses idées ont été absorbées dans les courants politiques dominants, comme l’éco-taxation, la responsabilité sociale ou les indicateurs de développement durable. Les banques de temps mises en place avec la NEF prolifèrent dans tout le Royaume-Uni. Les investissements éthiques, un concept du milieu des années 80, ont décollé. La campagne du Jubilé 2000 a réussi à obtenir un engagement de 34 milliards de dollars pour l’annulation de la dette des pays les plus pauvres du monde.
La NEF est devenue un centre de ressources pour les personnes cherchant à la fois la clarté conceptuelle et des conseils pratiques dans plusieurs domaines cruciaux tels que l’audit social, les indicateurs communautaires, le microcrédit et les coopératives.
Toutefois, ces progrès visibles ont été assombris par l’évaluation menée par la NEF qui montre qu’au cours de ces quinze mêmes années la situation globale s’est détériorée avec l’augmentation des inégalités et la menace que le changement climatique fait planer sur notre survie à long terme. Les efforts et initiatives de la NEF sont donc aujourd’hui encore des « travaux en cours », relayés par de nombreuses initiatives similaires à travers le monde.
développement économique, économie solidaire, système économique, économie, développement alternatif
, Royaume-Uni
Une Economie du bien-être: regards sur les alternatives économiques
Traduit de l’anglais par Valérie FERNANDO
Cette fiche est également disponible en anglais : The Other Economic Summit and The New Economics Foundation
Pour plus d’informations voir le site Internet des TOES et de la New Economics Foundation
A lire :
Paul EKINS, « Le miroir aux alouettes », in Courrier de la Planète, n° 30 « Environnement. La nature et le marché », sept-oct 1995.
Paul EKINS, The Living Economy: A new economics in the making, Routledge & Kegan Paul, 1987
TOES in Tokyo: The Other Economic Summit 1986 - Report and Summary
Trent SCHROYER, A World That Works: Building Blocks for a just and Sustainable Society, Bootstrap Press, New York, 1997
Livre
Rajni BAKSHI, An Economics for Well-Being, Centre for Education and Documentation, Mumbai & Bangalore, 2007
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