Quand une capitale accessible aux locataires connaît la polarisation sociale
09 / 2008
Berlin a beau être la capitale d’un pays qui a un poids significatif à l’échelle européenne, elle se place pourtant au niveau économique derrière Paris, Londres ou Rome.
Les statistiques allemandes sur l’économie des régions fédérales le confirment. Le revenu moyen par habitant de cette ville de 3,4 millions d’habitants est de 14.800 euros, soit les deux tiers seulement de celui de Hambourg. Le taux de chômage de 14 % renvoie la ville au dernier rang des régions fédérales.
Avec des slogans tels que « Berlin est pauvre mais sexy », le marketing politique de la municipalité tente d’idéaliser cette situation, non sans un certain cynisme vis-à-vis des Berlinois et des Berlinoises qui ne tirent aucun plaisir aphrodisiaque de leur pauvreté. Et pourtant, Berlin présente sans aucun doute des aspects positifs, par exemple celui d’être une ville où domine l’habitat locatif. Plus de 85 % des ménages berlinois sont locataires, ce qui explique que, localement, l’accès au logement est encore relativement facile.
Polarisation sociale, gentrification et augmentation de la demande de logements à loyer modéré
La dernière enquête sur le logement locatif a été lancée en 2007. Elle a mis en évidence une augmentation des loyers de 5,8 % entre 2005 et 2007. Derrière cette moyenne se cachent pourtant des réalités contrastées et inquiétantes. Les logements de construction ancienne, très demandés par les classes moyennes supérieures, se sont renchéris de 10 % pendant que les logements dits « sociaux », qui étaient encore récemment proposés à des prix accessibles, ont subi une augmentation allant jusqu’à 12 % pour les logements de petite taille.
Ces chiffres reflètent la polarisation sociale, c’est-à-dire le fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres et qui se manifeste dans l’organisation de la ville.
Pour accéder à ces logements à loyer encore modéré (mais en augmentation permanente), les 350.000 ménages dont les revenus sont en partie dépendants des aides publiques se retrouvent en concurrence directe avec les ménages et les retraités modestes ainsi qu’avec les nombreux étudiants que compte la ville. Et la situation s’aggrave encore avec la diminution de la taille des ménages. Alors que le nombre d’habitants de la ville est resté le même entre 1997 et 2007, celui des ménages a augmenté de 7 %, alimentant ainsi la demande déjà croissante de petits logements. Le déficit conduit à une hausse des loyers supérieure à la moyenne qui n’est pas compensée par l’augmentation des salaires.
Depuis 1996, le revenu moyen par habitant n’a augmenté que de 4,5 % – ce qui représente une augmentation très faible qui ne rattrape pas le taux d’inflation – et cette moyenne elle-même cache un développement social très inégal. Le revenu médian, c’est-à-dire la limite de revenus qui sépare l’effectif des ménages en deux parties égales, les plus hauts revenus d’un côté, les plus bas de l’autre, n’a pas bougé. Ce qui signifie que seuls les revenus les plus élevés ont augmenté.
Le développement est particulièrement remarquable dans les quartiers qui prennent de la valeur. Les quartiers de construction ancienne dans l’ex partie Est de la ville, qui étaient très mal entretenus juste après la chute du mur, sont aujourd’hui presque entièrement réhabilités. Les transformations de l’apparence extérieure de ces quartiers sont symptomatiques des changements de population profonds qui s’y sont opérés. Les chômeurs voyant leurs loyers dépasser les plafonds autorisés pour bénéficier des aides de l’Etat quittent le quartier (les personnes bénéficiant de l’aide sociale -Hartz IV- obtiennent le paiement direct de leur loyer ainsi que des charges locatives par l’Etat dans certaines limites) ; pour les autres ménages ayant des revenus faibles, les loyers deviennent trop élevés et les nouvelles classes moyennes investissent le quartier, appartement par appartement, rue après rue.
Le processus est accéléré par des investisseurs qui réhabilitent et modernisent les immeubles anciens. Pour atteindre leurs fins, ceux-ci n’hésitent pas à harceler des locataires qui sont contraints de déménager. Les appartements ainsi vidés puis luxueusement modernisés sont finalement vendus à des petits propriétaires. Il arrive que les spéculateurs n’arrivent pas à leurs fins. En effet, grâce à un contrat de location solide (les baux sont à durée indéterminée en Allemagne), certains locataires résistent à ces pressions, et compromettent les projets de revente. Les cas de victoires des locataires sont cependant plutôt l’exception que la règle et finalement la spéculation a le vent du capital mondial et libéral en poupe.
Logement social, sociétés de logement public et fonds d’investissement en capital risque
La phase sociale et économique que nous traversons actuellement est décrite par les théoriciens français Chesnais et Husson (1) comme un régime d’accumulation dominé par la finance, une caractérisation qui correspond parfaitement à la situation berlinoise. Le capital financier international, sous la forme de fonds d’investissement en capital risque a, depuis quelques années, identifié le marché immobilier berlinois comme un commerce fructueux. Le gouvernement du Land, bien que composé par une coalition des sociaux-démocrates (SPD) et de l’extrême gauche (Die Linke), n’est pas parvenu à faire face aux velléités de profits du capital. Preuve en est la facilité avec laquelle les différents biens publics ont été privatisés.
De nombreuses sociétés immobilières berlinoises étaient devenues la propriété de la ville à partir de la première guerre mondiale. Au début des années 1990, la municipalité possédait encore 480 000 logements, soit plus de 25 % de l’ensemble du parc local. Depuis, la plus grande partie a été privatisée. Deux des plus importantes sociétés immobilières, la Gehag et la GSW, ont été vendues à des fonds d’investissement en capital risque et il ne reste que 260 000 logements communaux. Etant donné qu’aucune construction de logements sociaux n’a eu lieu récemment, ce patrimoine communal aurait pu constituer le dernier instrument politique disponible pour influencer et réguler le marché du logement. Mais c’est loin d’être le cas à Berlin. Le diktat de la gestion fiscale domine tous les champs politiques, et tout particulièrement la politique sociale qui se retrouve dans l’ombre de la politique financière dominante.
Les sociétés immobilières communales développent, à la demande du politique, une stratégie d’entreprise orientée vers l’optimisation des profits, qui n’a rien à envier aux entreprises passées aux mains du privé. Les augmentations de loyers sont poussées au maximum et les dépenses en personnel sont limitées autant que possible.
Depuis l’arrivée des fonds d’investissement en capital risque, l’ensemble du marché immobilier berlinois est dominé par des enjeux commerciaux qui n’étaient jusqu’alors pas la préoccupation des sociétés de logement social communal. Tous les lieux d’habitat deviennent objets de commerce : sociétés immobilières, lotissements, groupes de logements, simples appartements. Le négoce lucratif que constitue la transformation de logements locatifs sociaux en propriété privée est un objectif affiché par tous les acteurs. Mais les résultats attendus de ces évolutions se laissent toujours attendre. Cela est dû, d’une part, au droit des locataires qui est encore protecteur en Allemagne et qui donne au locataire fidèle à son contrat au moins la même sécurité qu’au propriétaire, mais aussi d’autre part, aux capacités financières limitées des Berlinois.
Les perspectives futures du marché immobilier berlinois sont inquiétantes pour les locataires. Les effets du manque de constructions neuves combinés avec les démolitions de grands ensembles dans l’ancienne partie Est commencent à se faire sentir. Il y a encore quelques années, on comptait 103 logements pour 100 ménages dans la ville. Cette relation a diminué pour se stabiliser actuellement à 98,5 logements pour 100 ménages.
Même les rapports officiels de la municipalité sur l’immobilier qui tentent de donner une image harmonieuse de la situation doivent l’admettre : « l’abandon d’aide supplémentaire pour le logement social, la valorisation et la réhabilitation de logements existants conduisent à une diminution de l’offre dans les catégories de prix les moins élevées » (2).
Le rapport sur le marché immobilier publié par la société internationale de courtiers « Jones Lang Lasalle » voit « de gros potentiels sur le marché immobilier berlinois »… pour les investisseurs !
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, Allemagne, Berlin
Europe : pas sans toit ! Le logement en question
Pour en savoir plus : Berliner Mieter Gemeinschaft, www.bmgev.de
Joachim Oellerich travaille pour la BMG (Berliner Mieter Gemeinschaft), une association de locataires à Berlin. Il est rédacteur en chef de sa revue, le MieterEcho. Contact : me (at) bmgev.de
Traduction de l’allemand : Elodie Vittu, e_vittu (at) yahoo.fr
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