L’activité agricole au cœur de l’encerclement d’Israël visant à empêcher les Palestiniens d’accéder à la souveraineté…
01 / 2008
C’est une crise agricole et alimentaire sans précédent pour les Palestiniens. Depuis le début de la seconde Intifada en 2000, l’accès aux terres cultivables est rendu de plus en plus difficile par le découpage du territoire en parcelles non accessibles entre elles, par la construction du « mur » séparant parfois des villages en deux, par la multiplication des checkpoints et la nécessité de permis pour circuler d’un point à l’autre, sans compter la confiscation de terrains par Israël qui ne s’est jamais interrompue… Alors que l’agriculture représente le principal moyen d’assurer la sécurité alimentaire dans les Territoires palestiniens, elle a enregistré une baisse de production de 19 % entre 1996 et 2006 selon la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement). Le taux de chômage se situe à 30 % en 2006, la pauvreté atteint des niveaux sans précédent, avec 53 % des ménages vivant sous le seuil de pauvreté (385 dollars par mois) (1). Si bien que depuis 2002, la faim s’est installée dans les Territoires palestiniens occupés (TPO). Une étude d’USAID évoque même une « malnutrition aiguë et grave » équivalente aux niveaux relevés dans les pays pauvres subsahariens. En 2007, près de 80 % des Palestiniens dépendent de l’aide alimentaire internationale, « ce qui en fait l’un des peuples les plus dépendants du monde d’une assistance extérieure » (2). Une situation que Jean Ziegler qualifie à l’ONU d’« aberrante, étant donné que la Palestine était naguère une économie caractérisée par des revenus moyens » (3).
Terres confisquées, cultures détruites
Depuis la seconde Intifada, « un niveau sans précédent de destruction et de confiscation de terres, de ressources en eau, d’infrastructures et d’autres ressources palestiniennes, ainsi que l’extension continue des colonies israéliennes dans les Territoires palestiniens » est signalé par les observateurs internationaux et associations (4). Les associations estiment qu’en Cisjordanie, Jérusalem compris, les mesures israéliennes mises en place depuis 2000 ont entraîné la confiscation d’environ la « moitié des terres » appartenant aux Palestiniens (5). Le Centre d’information national palestinien énumère les exactions israéliennes jusqu’au 31 juillet 2006 : 80 712 dunams (8000 hectares) de terres cultivables passées au bulldozer, plus de 13 millions d’arbres rasés, 425 puits détruits, 207 fermes démolies, 979 239 mètres de canaux pour l’approvisionnement en eau saccagés (6) … Entre 2000 et 2006, « plus de 26 % de la superficie totale des terres agricoles appartenant à des Palestiniens ont été endommagées à cause de l’occupation israélienne », affirme Issa Shatleh, directeur de l’Union des Fermiers palestiniens (PFU). Les pertes directes du secteur agricole auraient atteint 1,4 milliards de dollars au cours de la même période (7).
Quatre méthodes d’appropriation de la terre sont recensées : l’enregistrement au cadastre d’un terrain sous la qualification de « terre d’Etat » ; la réquisition pour « besoins militaires », la confiscation pour utilité publique… Enfin, les Israéliens se sont dotés d’une loi leur permettant de récupérer toute terre non utilisée, à savoir ni habitée ni cultivée. Il leur suffit donc d’empêcher les paysans d’accéder à leur terre pendant un certain temps pour déclarer celle-ci « abandonnée » (8). Les oliveraies n’étant plus considérées par les Israéliens comme des cultures, elles font l’objet de confiscations en tant que terres non utilisées. « Les Palestiniens expulsés sont informés qu’ils peuvent percevoir des compensations, mais seuls quelques-uns d’entre eux auront les moyens financiers de payer les services d’avocats capables d’obtenir ces dédommagements » (9). Pour la construction du mur, les ordonnances militaires de réquisition prennent « généralement effet le jour où elles sont signées, et sont valables même lorsqu’elles ne sont pas signifiées personnellement aux propriétaires des biens » (10). Le plus souvent en pratique, le propriétaire découvre qu’il est en train de perdre sa terre en voyant arriver les bulldozers.
Un mur entre le paysan et la terre
Les terres sont réquisitionnées pour construire des routes, des bâtiments militaires, pour implanter, agrandir ou protéger des colonies… Depuis 2002, de nouveaux terrains sont réquisitionnés pour la construction d’un « mur » sur une longueur prévue de 650 kilomètres. Le gouvernement israélien a défendu ce projet afin de protéger ses colonies et Israël d’attaques terroristes. Néanmoins, le mur n’a pas été construit sur le tracé de la « Ligne verte » séparant Israël de la Cisjordanie depuis 1967, mais à 90 % sur des terres palestiniennes, empiétant à certains endroits jusqu’à 16 kilomètres à l’intérieur de la Cisjordanie. Une telle mesure vient encore accroître la quantité de terres inaccessibles au travail agricole et aggraver l’insécurité alimentaire. Un rapport récent du CICR rappelle que depuis la construction du mur, « de grandes étendues de terres agricoles sont devenues inaccessibles aux paysans, la barrière séparant de nombreux villages de leurs terres ». Au cours de l’été 2006, nombre d’agriculteurs ont « regardé, impuissants, brûler leurs oliviers dont ils étaient séparés par la barrière. Ils ne pouvaient pas accéder à cette zone, parce qu’il n’était pas prévu d’ouvrir le portail à ce moment-là ou parce qu’ils n’avaient pas le permis approprié. Certains arbres avaient mis plus de cinquante ans à atteindre la taille qu’ils avaient alors – deux générations de travail et de soins perdus en une seule nuit » (11).
La construction du mur a d’importantes répercussions sur l’agriculture, d’autant que certains tronçons se situent dans « ce qui est considéré comme le grenier à blé de la Cisjordanie », dans les gouvernorats de Djénine, Tulkarm et Qalqiliya. Si des « portes agricoles » censées permettre aux paysans de continuer à cultiver leurs terres sont aménagées, elles sont peu nombreuses et les paysans ne sont jamais garantis de pouvoir les franchir. De nombreux villages perdent leur récolte à cause des « horaires irréguliers d’ouverture des portes et de l’arbitraire qui semble présider à l’octroi ou au refus du droit de passage », observait l’ONU dès 2003. Pour Jeff Halper, fondateur du Comité israélien contre la destruction des maisons, ces portes qui « soumettent les paysans à l’arbitraire des militaires qui en ont les clés » ont un objectif simple : « entraver le travail agricole pour pousser les paysans à renoncer à leurs terres » (12). Un rapport de l’ONU n’en dit pas moins : « si les résidents ne peuvent accéder normalement à leurs champs, aux emplois et aux services, on peut craindre que les Palestiniens finissent par quitter cette zone » (13).
Les Territoires palestiniens se retrouvent découpés en plus de 200 parcelles séparées les unes des autres par des barrières ou des postes de sécurité. « Auparavant on voyageait en une heure ou une heure et demie de Ramallah à Jenin, aujourd’hui on met environ sept heures. Dans certains villages, des rues entières sont clôturées », explique le représentant d’une association agricole (14). En 2007, le nombre de checkpoints est de 102 et les barrages routiers de 459 (15). Les Palestiniens se voient ainsi enfermés « dans de petits cercles clos » qui les coupent de l’accès à l’hôpital, à l’université… et les empêche de subvenir à leurs besoins vitaux, asphyxiant peu à peu l’économie du pays (16). Ils sont ainsi confrontés à de graves pénuries d’eau, « en raison d’un accès limité à l’eau de surface et d’un partage inéquitable entre Israël et la Palestine des aquifères situés sous la Cisjordanie » (17). Alors que 280 communes rurales ne disposent pas de puits et ne sont pas raccordées au réseau d’eau potable, elles dépendent de l’approvisionnement par des camions citernes, qui rencontrent d’importantes difficultés à accéder aux villages en raison des barrages (18).
Un marché agricole fermé
Pour les agriculteurs qui parviennent encore à produire dans de telles conditions, il reste des difficultés parfois insurmontables pour accéder au marché et vendre leurs produits. Le président de l’Union of Agricultural Work committees in Palestina (UAWC) décrit ainsi le quasi « embargo » sur les exportations imposé par Israël aux producteurs palestiniens : « Nos marchés sont submergés par les produits israéliens. Inversement, les produits palestiniens ne peuvent presque pas être exportés vers Israël. L’exportation de légumes, de fruits ou d’autres vivres de Cisjordanie vers la Bande de Gaza (ou vice versa) est impossible. Les fruits et légumes n’atteignent même plus les marchés locaux. Les fermiers doivent parfois conduire plus de six heures pour circuler d’une ville ou d’un village à l’autre. Les vivres, les fruits et les légumes ne supportent pas un si long trajet » (19). Le CICR évoque ces 5 000 producteurs agricoles qui vivaient des exportations de tomates, fraises et œillets, et ont vu « leurs ventes s’écrouler ». Les récoltes ont lieu, mais « à cause de l’embargo sur les exportations, les produits pourrissent dans des conteneurs aux points de passage » (20). Oxfam dénonce pour sa part les programmes humanitaires sabotés par les Israéliens : « plus de 4 millions de fleurs et 150 tonnes de fraises destinées à l’exportation » produites en 2007 dans le cadre d’un projet financé par le gouvernement hollandais ont « du être détruites à cause du régime de fermeture israélien » (21).
Les agriculteurs doivent également demander des autorisations pour importer le moindre plant ou semence, du matériel agricole, des tracteurs… L’administration israélienne n’accorde généralement pas d’autorisation pour importer de l’étranger si elle « estime que le même produit peut être acheté à une firme israélienne ». Le produit importé arrive dans l’un des ports ou aéroports israéliens et l’agriculteur doit encore obtenir un permis de circuler pour aller le réceptionner. L’exportation de produits palestiniens se heurte également à des restrictions dissuasives. L’exploitant agricole doit obtenir l’autorisation de vendre ses produits à l’étranger, puis un « permis de transporter et de livrer sa marchandise à une société israélienne, qui la stockera et s’occupera de toutes les formalités administratives. Les produits palestiniens peuvent rester bloqués plusieurs semaines dans les ports israéliens pour « raisons de sécurité ». Ces pratiques ajoutent un coût considérable aux produits palestiniens et affaiblissent leur compétitivité » (22).
Résistances…
Pour aider les paysans à rester sur leurs terres et continuer à cultiver, des organisations telles que l’Union of Agricultural Work committees in Palestina (UAWC) ont mis en place des coopératives agricoles, notamment pour leur donner accès à des semences et de l’équipement de travail. Pendant la première Intifada, elles ont participé au boycott des produits israéliens initié par les autorités palestiniennes, cherché à cultiver le plus de terres possibles afin qu’elles ne soient pas considérées comme des « terres non utilisées », essayé d’augmenter l’emploi en milieu rural pour permettre aux familles qui en avaient « urgemment besoin » d’accéder à « un second revenu ». Les paysans, et en particulier les femmes, ont reçu « des formations afin de pouvoir créer leurs propres sociétés » et « livrer des produits de bonne qualité », des collecteurs d’eau de pluie ont été construits… Néanmoins, selon le responsable de l’UAWC, Khaled Hidmi, le développement de ces projets est devenu de plus en plus difficile à partir des accords d’Oslo, qui ont divisé le territoire en trois zones (23). Une situation qui n’empêche pas les pacifistes de continuer la résistance. Pour chaque cueillette d’olives, des bénévoles issus d’associations comme Rabbis for Human Rights (les Rabbins pour les droits de l’homme), viennent aider les paysans palestiniens à effectuer leurs récoltes. Ils essaient aussi d’apaiser « les tensions avec les colons, mais leur présence ne suffit pas toujours » (24). Tous les vendredis depuis le 23 février 2005, des manifestants de Palestine, d’Israël et du monde entier se retrouvent également à Bil’in, village ayant vu 60 % de ses terres agricoles confisquées pour la construction du mur (25).
Les condamnations internationales de la politique israélienne sont régulières, la construction du mur a pourtant été déclarée illégale par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans un avis du 9 juillet 2004, qui estime qu’Israël doit « cesser immédiatement les travaux d’édification du mur », « démanteler » les parties déjà construites et « réparer tous les dommages causés par la construction du mur » (26). Mais les travaux d’édification du mur se sont poursuivis. La création de colonies en territoire palestinien constitue aussi une violation de la 4ème convention de Genève, tandis que toute confiscation de terres ou de biens privés est une violation des Règlements de la Haye. Le Conseil de sécurité de l’ONU a ainsi spécifié dans sa résolution 465 que « toutes les mesures prises par Israël afin de modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure et/ou le statut institutionnel des territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, n’a pas de validité légale » (27). Dans un communiqué faisant suite à l’avis de la CIJ, l’Association France Palestine Solidarité estimait que si le gouvernement israélien devait continuer « à afficher son mépris du monde et du droit », il faudrait « lui appliquer des sanctions, en particulier, pour l’Union européenne, la suspension de l’accord d’association qui la lie à Israël » (28).
L’exemple palestinien montre à quel point l’accès à la terre représente le principal instrument de souveraineté. Si un peuple peut cultiver sa terre, il peut accéder à l’autosuffisance alimentaire et gagner son autonomie. Un journaliste israélien renommé du journal Ha’aretz a ainsi décrit comment le premier ministre Sharon avait adopté la « stratégie des Bantoustans », zones territoriales séparées assignés à la population noire par l’Etat d’Afrique du sud sous l’Apartheid. Dans l’esprit de Sharon, « le recours aux Bantoustans aurait pour effet de couper totalement les Palestiniens de leurs terres et de leurs ressources en eau et de les empêcher d’édifier une nation palestinienne dotée d’une authentique souveraineté et capable de satisfaire au droit à l’alimentation de sa population » (29).