09 / 2005
Le tableau ci-dessous montre à l’évidence qu’aucune des stratégies n’évite un certain nombre d’inconvénients à court, moyen ou long terme. Leur nature et leur intensité sont néanmoins très variables.
Intensité des contraintes de gestion des différents scénarios sur les deux siècles qui viennent
(a) On prend en compte les principales contraintes suivantes : la gestion des risques du retraitement-recyclage, l’obligation de réussite d’un programme de séparation-transmutation, la nécessité d’un entreposage de combustible MOX, d’un stockage de déchets vitrifiés (C), et d’un stockage de combustibles UOX
(b) On distingue quatre niveaux de contrainte : ● faible, ●● significative, ●●● forte, ●●●● majeure.
Mais la question principale, jamais abordée par les pouvoirs publics, qui émerge à la lecture de ce tableau, est celle des flux de plutonium et de ses descendants sous leurs différentes formes (séparées ou non) au cours des 100 années qui viennent.
On voit bien en effet que l’intensité des contraintes de gestion à terme séculaire est très directement liée à l’intensité des flux correspondants. Les différentes stratégies de poursuite du nucléaire butent principalement sur cette question. Celles qui n’envisagent pas de rupture technologique majeure et se bornent au mono recyclage du plutonium sous forme de MOX butent sur les problèmes de gestion de ce combustible irradié. Celles qui acceptent le pari de la rupture technologique se heurtent dans un premier temps (jusqu’en 2050) au même problème tout en amplifiant considérablement les risques inhérents à l’industrie des combustibles.
Les stratégies de non renouvellement du parc permettent de quantifier précisément ces contraintes en fonction des stratégies techniques retenues et les allègent significativement dans tous les cas.
La fuite en avant
Bien qu’elle s’avère relativement inefficace en regard des problèmes de matières nucléaires dangereuses, la stratégie d’introduction d’un parc RNR pour assurer la transmutation à partir d’un parc EPR semble privilégiée par une partie des acteurs publics du débat.
Ce choix repose à la fois sur des omissions majeures, sur une exigence implicite et sur un double pari :
Des omissions majeures puisque, en ne prenant en compte que les « déchets ultimes » les pouvoirs publics omettent de traiter une grande partie des problèmes que posent à moyen terme une série de matières nucléaires dangereuses pour ne se concentrer que sur des questions de très long terme.
Une exigence implicite de poursuite d’une politique de production nucléaire à des niveaux élevés sur plus d’un siècle, sans laquelle les stratégies techniques préconisées se révèlent totalement contre performantes.
Un double pari, celui de la réussite des recherches sur les réacteurs régénérateurs à haute température, le recyclage et la transmutation des actinides et des produits de fission, et celui de la possibilité réelle de mise en place, dès 2040, d’un système industriel complet que Robert Dautray décrit dans son récent rapport à l’Académie des sciences. (Les isotopes du plutonium et leurs descendants dans le nucléaire civil, mai 2005) :
Outre la réalisation d’un nouveau parc de réacteurs RNR de taille comparable à celui qui existe il faudrait, nous dit-il, :
Des usines de fabrication et de refabrication continuelles de nouveaux combustibles utilisant les isotopes du Pu et leurs descendants très radioactifs,
Des usines d’extraction mécanique et chimique continuelles de plutonium et de ses descendants pour fabriquer ces combustibles pour les RNR,
Des outils de manutention robotisés pour la matière hautement radioactive (notamment pour se protéger des émissions de neutrons),
Des moyens pour les transports continuels entre toutes les usines, à moins qu’elles soient regroupées en un seul lieu où serait ainsi créé un complexe nucléaire,
Des moyens pour assurer la sécurité, soit des transports entre les éléments du réseau d’usines soit du complexe. Ce dernier poserait des problèmes du type protection d’une forteresse avec un important personnel. Enfin, rejets et déchets, de toute nature, de ce complexe nucléaire poseraient mille problèmes.
On voit là apparaître la contradiction dans laquelle se sont placés les pouvoirs publics. Comme la maîtrise de l’inventaire du plutonium et des actinides mineurs est un passage obligé, dans la mesure où il n’est pas possible de présenter à l’opinion publique des inventaires de matières nucléaires dangereuses constamment croissants, ils sont contraints de présenter la stratégie de recyclage du plutonium et des actinides mineurs, quelles qu’en soient les difficultés, les délais et les chances réelles de succès. Certains promoteurs du nucléaire ont d’ailleurs tellement bien intégré cette exigence de succès qu’ils proposent le démarrage d’un vaste programme de réacteurs type EPR, destiné principalement à constituer le stock de plutonium indispensable à l’alimentation des nouveaux réacteurs des années 2050 !
Si tout va bien, si aucune faille, ni scientifique, ni technique, ni économique, ni politique, ne vient gripper la mécanique imaginée, si aucun retard n’est à déplorer, si l’acceptation sociale est acquise pour toute la période, alors, dans 100 ou 120 ans, nous pourrons revenir, après une période « transitoire » semée de risques et de dangers importants, à une situation analogue à celle que nous laisserait le parc d’aujourd’hui, si on le laissait vivre jusqu’à sa fin naturelle.
C’est dire l’ampleur du pari proposé par les tenants du nucléaire quand ils proposent, à l’appui d’une poursuite sur plus d’un siècle de la production nucléaire à des niveaux comparables au niveau actuel, de ne se reposer que sur les avancées éventuelles de la science et de la technique, sans jamais envisager d’autre stratégie et en particulier l’arrêt à terme du nucléaire.
Pourtant comme le dit encore Robert Dautray, « c’est bien au citoyen de décider s’il veut garder pendant un nombre indéterminé et indéterminable de décennies le plutonium et ses descendants ou s’il veut faire un autre choix ».
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Les déchets nucléaires (HS Global Chance, septembre 2005)
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