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Afrique du Sud : quand la culture permet de sauver les zones humides

Mohamed Larbi BOUGUERRA

02 / 2008

Pour les spécialistes de l’Université de KwaZulu Natal, en Afrique du Sud, la conservation des zones humides doit prendre en considération la culture, les traditions et les besoins des communautés locales. Ces experts sont d’avis que la gestion correcte des zones humides appartient aux communautés vivant autour ou à proximité de ces zones. C’est pourquoi le Ministère de l’Eau et des Forêts et des ONG ont décidé de conjuguer leurs efforts pour recueillir le précieux savoir indigène de gestion et de préservation des zones humides de l’Afrique du Sud et pour lancer des projets de conservation.

C’est ainsi que dans la zone humide de la communauté Mbongolwane, à 80 km au nord de Durban, l’autorité tribale locale est responsable de l’attribution des terres et du contrôle de l’usage des ressources de la zone humide. Elle remplit ces missions en se basant sur le système de croyances traditionnelles de la communauté pour fixer les règles relatives à la récolte des joncs et à l’usage de l’eau.

L’universitaire Donovan Kotze remarque : « Les communautés appliquent des règles à la récolte et aux usages des plantes de la zone humide. La règle la plus commune étant que ces végétaux ne peuvent être récoltés avant une certaine période de l’année. Ce qui permet aux plantes de croître et de se reconstituer des récoltes précédentes. »

Par exemple, les roseaux et les joncs utilisés pour faire des nattes ne sont coupés que de décembre à juin. Les joncs destinés à faire des toits de chaume sont seulement récoltés en avril. Ces prélèvements contrôlés ont un effet minimal sur les zones humides.

Pour renforcer la discipline au respect de ces règles, les Sages du village – des seniors- utilisent des légendes que l’on se raconte de génération en génération. L’une d’entre elles met en scène un serpent à sept têtes qui ne manquerait pas d’entrer en colère si un membre de la communauté procédait à des récoltes de joncs en dehors des périodes édictées et sa colère provoquerait la mort de tous les autres végétaux.

De même, pour empêcher la pollution de l’eau, ces Sages affirment que quiconque urine dans les marais serait immédiatement doté du sexe opposé au sien.

De plus, les villageois ne sont pas autorisés à chasser ou à manger du crocodile car, dans les temps anciens, ces sauriens ont protégé les ancêtres de la communauté.

Quant aux poissons, on est invité à les pêcher avec parcimonie car si leur population baisse fortement, les ancêtres se fâcheraient ce qui provoquerait la mort de tous les êtres vivant dans les marais !

Dans le projet Mbongolwane, 10 % seulement des terres sont cultivées et nulle part, les travaux agricoles ne sont mécanisés. Ce projet a montré le bien-fondé de la gestion au moyen de l’application des croyances et des savoirs traditionnels.

Mais Kotze est prompt à attirer l’attention sur le fait que « les pressions socio-économiques font qu’il est de plus en plus difficile de gérer les marais en faisant appel aux traditions car les communautés s’occidentalisent et les gens ont tendance à oublier ce savoir ancestral. De plus, la pression démographique accroît la demande de biens et de nourriture ce qui met à mal la conservation des zones humides en recourant aux dits de la tradition orale. »

L’imbrication complexe des zones humides signifie qu’elles nécessitent une gestion soignée pour en assurer la durabilité sur le long terme. Historiquement, les tribus vivant dans le voisinage des marais les ont protégés car elles avaient intérêt à en assurer la durabilité. Celles-ci cultivaient aussi les terres de manière à en éviter l’érosion. Elles tiraient aussi, à différentes périodes de l’année, de nombreux aliments et divers fruits à partir des plantes sauvages de la zone humide.

Les tiges et les feuilles de nombreuses plantes des marécages sont aussi largement utilisées pour tisser divers produits : nattes pour s’asseoir ou pour le couchage, récipients divers pour la bière ou les aliments, fils et ficelles pour de nombreuses utilisations…Pour ce faire, les tribus, de génération en génération, s’ingéniaient à former des tisserands et des artisans maîtrisant les techniques pour obtenir ces objets.

Il importe de préserver et d’encourager l’apprentissage de ces techniques de tissage et de vannerie. Ainsi, l’intégration des systèmes de savoirs traditionnels inciteront les populations à protéger et à préserver ces milieux marécageux qui leur fournissent la matière première pour exercer leur art et leur savoir-faire.

Mots-clés

savoir traditionnel, protection des ressources naturelles, eau, culture traditionnelle


, Afrique du Sud

Commentaire

Les traditions populaires de nombreux pays du Maghreb au Golfe Persique et du sud du Sahara à l’Indonésie et Madagascar appellent à la préservation de la Nature, à la conservation de la qualité environnementale et à la protection de la biodiversité. L’observation de la Nature à travers les âges a permis que se forge une connaissance empirique dans ces domaines. Des mythes se sont greffés sur cette observation et ceux-ci, par l’emploi de métaphores, inculquent les principes de protection de l’environnement, pourvoyeur de matières premières et d’aliments pour les populations. Les esprits et les marabouts au Maghreb incitent fortement au respect de l’eau et à son économie comme ils enseignent les dégâts que peut causer la sécheresse. Dans les oasis en particulier, l’eau est quasiment sanctifiée car sans elle point de dattes sur le palmier, point de légumes à son pied et point de lait chez la chèvre. Une oasis sans eau retourne aux sables du désert. Mille et un contes – mettant en jeu Ounihil et Chihili, dieux du sable et du sirocco- illustrent cette situation et appellent à travailler constamment à l’entretien des canaux et à la protection de l’oasis contre le mouvement des dunes. De même, les ghdirs – points d’eau au Sahara recueillant les eaux de pluie ou de ruissellement- sont toujours habités par des esprits auxquels il faut rendre hommage et faire des sacrifices quand on y boit ou quand les troupeaux s’y désaltèrent.

Jean Seran qui a vécu dans le Sahara tunisien rapporte que « autour des feux le soir et très tard dans la nuit, se déroulent de longues palabres au cours desquelles il est souvent question des points d’eau, préoccupation constante des gens du parcours. A leur sujet, courent des légendes où foisonnent le merveilleux ; et ce sont là les histoires préférées des enfants qui les écoutent sans se lasser jamais apprenant ainsi, sans s’en douter, à dédier un culte respectueux à l’eau, le plus précieux des biens pour un nomade. »

La visée pédagogique est ici clairement mise en avant.

Pareillement, en Côte d’Ivoire, la lagune Ebrié, près d’Abidjan, est protégée par une baleine totémique. A la période de reproduction et de frai du poisson, une cérémonie haute en couleurs est organisée et les pêcheurs font entrer en grande pompe une baleine mythique dans la lagune. Lors de son séjour, aucune pêche n’est autorisée. Passée la période de reproduction, la baleine est ramenée symboliquement à la haute mer et la pêche devient licite. Entre temps, le menu fretin a grandi et la capacité de reproduction des espèces vivant dans la lagune n’est pas entamée de manière significative.

Ce qui est très proche de ce qui se passe dans le KwaZulu Natal, en Afrique du Sud. Mais Maurice Godelier a montré que chez les Baruya de Nouvelle Guinée, l’eau est toujours présente et des mythes similaires appellent à sa protection et à son respect.

Il faut donc prendre exemple sur l’Afrique du Sud qui étudie de près, scientifiquement, ces systèmes ancestraux pour les faire perdurer et en continuer l ‘application pour le plus grand bien des écosystèmes et des milieux ainsi que des populations locales.

Source

Suzanne Kok, « South Africa-Development: Using culture to save wetlands », Inter Press Service News Agency, 28 janvier 2008.

Jean Seran, « Parcours Merazig », Editions La Rapide, Tunis, 1948.

Maurice Godelier, « La production des grands hommes. Pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle Guinée », Fayard, Paris, 1982.

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