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Les politiques foncières locales en France

Vincent RENARD

09 / 2007

Les politiques foncières (ensemble des réglementations, moyens et outils mis en œuvre afin d’assurer l’administration des sols) jouent toujours un rôle clé dans les politiques urbaines et du logement mais elles en sont souvent une partie cachée, non affichée explicitement. Les politiques foncières en France sont marquées par une évolution très forte : la rupture issue des profondes réformes de la décentralisation menées à partir du début des années 1980. La structure institutionnelle qui en a résulté, en particulier le poids déterminant des municipalités, y joue un rôle essentiel. Pour mener les politiques de maîtrise foncière, les collectivités publiques disposent en France d’une très large gamme d’outils, en particulier pour intervenir directement sur les marchés fonciers. Mais la fragmentation institutionnelle et la globalisation des marchés peuvent rendre délicate la conduite des politiques foncières locales.

Qui a la responsabilité des politiques foncières en France ?

Après une très longue tradition de forte centralisation, dans laquelle l’Etat jouait un rôle clé, une importante réforme de décentralisation est intervenue à partir de 1981 et plusieurs lois, en particulier entre 1981 et 1983, ont profondément transformé l’organisation des pouvoirs en la matière. Pour nous en tenir à l’essentiel, le pouvoir en matière d’urbanisme et de politique foncière a été attribué aux communes. Ce sont elles qui ont aujourd’hui le pouvoir le plus important : préparer et approuver les plans locaux d’urbanisme (PLU), le principal document d’urbanisme, opposable aux tiers, qui précise ce qu’on peut faire sur chaque parcelle du territoire, quel type de bâtiment on peut construire, quels sont les espaces protégés etc. Lorsqu’une commune a approuvé son PLU, elle a la responsabilité de délivrer (ou de refuser) le permis de construire. C’est bien sûr une étape clé dans la politique locale.

Si l’on tient compte du fait qu’il existe en France plus de 36 000 communes, on comprend qu’il s’agit là d’un système extrêmement décentralisé. Pour comprendre comment peut fonctionner un système aussi décentralisé, on doit prendre en compte trois éléments complémentaires :

  • Le premier réside dans le « contrôle de légalité », pouvoir conservé par l’Etat de contrôler que les communes respectent les lois, en particulier les lois sur l’urbanisme, l’aménagement et la construction. Les communes communiquent donc au représentant de l’Etat l’ensemble de leurs actes, qu’il s’agisse de plans d’urbanisme ou de permis de construire. L’Etat peut alors intervenir et obtenir des modifications, ou poursuivre la commune devant le tribunal administratif. On doit remarquer que l’Etat ne fait qu’un usage limité de ce contrôle, ce qui ne veut pas dire que l’éventualité de ce contrôle ne joue pas un rôle dans les décisions prises par les communes.

  • Le deuxième réside dans le fait que, sous certaines conditions, l’Etat a conservé le pouvoir d’imposer aux communes des décisions quand celles-ci concernent des réalisations importantes (par exemple un grand équipement d’infrastructures, aéroport, autoroute ou ligne de chemin de fer TGV). A cette fin, deux outils juridiques sont utilisables, l’Opération d’Intérêt National (OIN) ou le Projet d’Intérêt Général (PIG).

  • Le troisième est lié au développement des structures qui rassemblent plusieurs communes. Compte tenu de leur très petite taille, ce type de coopération intercommunale est rapidement apparu nécessaire et s’est développé sous diverses formes : les Communautés urbaines, les Communautés d’agglomération et les Communautés de communes, regroupées sous le terme générique d’Etablissement public de coopération intercommunale (EPCI). La plupart de ces structures ont une fiscalité propre, et près de 90 % des habitants en France vivent sur un territoire couvert par un EPCI .

Les outils des politiques foncières locales

En plus des outils réglementaires, en particulier du Plan local d’urbanisme, les collectivités locales disposent d’un certain nombre d’outils pour intervenir directement sur les marchés fonciers :

  • D’abord, une commune peut intervenir comme n’importe quel autre acheteur ou vendeur sur le marché foncier pour acheter à l’amiable un terrain ou un bâtiment. La commune est alors simplement soumise aux règles du droit privé, et le bien acheté fera partie du domaine privé de la commune (ou de l’EPCI). La seule contrainte pour elle est alors de demander une évaluation au Ministère des Finances, service des Domaines. Mais ce n’est qu’une indication que la commune n’est pas tenue de suivre.

  • La deuxième façon pour une commune d’acheter un terrain ou un bâtiment est de recourir à l’expropriation, c’est à dire d’obliger le propriétaire à lui vendre son terrain, moyennant bien sûr le versement du “juste” prix, qui fait d’abord l’objet d’une évaluation par le ministère des finances. Compte tenu de son caractère “agressif” par rapport au droit de propriété, l’exercice de ce droit est entouré de garanties. L’Etat vérifie tout d’abord que l’acquisition est faite dans un but d’intérêt général : c’est le Préfet, représentant de l’Etat, qui signe la “Déclaration d’Utilité Publique”, au terme d’une enquête publique, rendant ensuite possible la mise en œuvre de l’expropriation. D’autre part, si l’exproprié est en désaccord avec le prix proposé, il peut le contester et recourir à la justice, le juge de l’expropriation fixant alors en dernière instance le prix final qui sera accordé.

  • Il existe enfin une troisième façon d’acheter un terrain pour une collectivité publique, largement utilisé en France, c’est le droit de préemption. Le bénéficiaire, souvent la commune, peut se substituer à l’acquéreur lorsqu’un propriétaire déclare son intention de vendre son bien, terrain ou logement. Ce droit de préemption ne peut être utilisé que pour un motif d’intérêt général, par exemple construire des logements sociaux ou construire un équipement collectif. Sous le nom de “droit de préemption urbain” cet outil est très largement utilisé par les communes. En cas de désaccord sur le prix, le propriétaire peut soit retirer son offre, ou faire une contre-proposition, et aller éventuellement jusqu’au juge de l’expropriation en cas de désaccord persistant. C’est un outil puissant, il est utilisé par de nombreuses communes. Dans un grand nombre de cas, il est utilisé comme un outil stratégique coordonné avec la mise en œuvre des plans d’urbanisme et des politiques du logement. Mais sa puissance même a pu donner lieu ici ou là à quelques dérives et il est envisagé de “resserrer” l’usage de ce dispositif.

La mise en oeuvre des politiques foncières

Dans la pratique, beaucoup de communes n’ont pas véritablement de politique foncière active, et leur politique d’urbanisme se limite principalement à la réglementation de l’urbanisme et à la délivrance des autorisations. Les exemples significatifs sont le plus souvent le fait de grandes collectivités, généralement organisées en structure intercommunale comme les communautés urbaines. On peut prendre par exemple le cas de la Communauté Urbaine de Lyon, la COURLY, qui regroupe aujourd’hui 57 communes, soit plus de 1 million d’habitants. Elle est dotée de services techniques compétents, et elle a la charge de la préparation et de la mise en œuvre du PLU, le Plan Local d’Urbanisme, et également de la politique d’acquisition foncière pour contribuer à la bonne mise en œuvre du plan. Elle fait en particulier un usage actif du droit de préemption, notamment pour la mise en œuvre de sa politique du logement social. Une autre configuration est celle de la création d’Etablissements publics fonciers spécialisés. Ceux ci peuvent être créés par l’Etat ou, de plus en plus, comme des Etablissements Publics Fonciers locaux. Ils peuvent être alimentés par une taxe spécifique, la “taxe locale d’équipement”, et ils disposent d’un certain nombre de prérogatives de puissance publique, en particulier le recours à l’expropriation et au droit de préemption. La récente loi “Engagement National sur le Logement” du 13 juillet 2006 contient d’ailleurs des dispositions pour encourager le développement de tels outils au niveau des régions. Il n’est pas certain que ce niveau soit le plus adéquat.

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