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dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale

Au coeur du développement

Shardul AGRAWALA

2004

Le thème de l’adaptation aux changements climatiques a longtemps été tenu à l’écart du processus de Kyoto. Notion cruciale pour les pays en développement, particulièrement vulnérables, l’adaptation appelle des solutions opérationnelles, qui doivent être coordonnées aux politiques de développement.

Entretien avec Shardul Agrawala

Courrier de la planète : Qu’entend-t-on exactement par « adaptation » ? Quel est le sens de ce concept ?

Shardul Agrawala : Ce concept désigne l’ajustement opéré par les systèmes économiques, sociaux et environnementaux en réponse aux impacts actuels ou attendus du changement climatique : dans quelle mesure un tel système peut-il évoluer pour réduire les dommages ?

Le degré de vulnérabilité d’un système dépend de sa capacité à s’adapter aux risques climatiques. Par exemple, dans le cas de l’élévation du niveau de la mer, il est évident que deux pays comme les Pays-Bas et le Bangladesh n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation et donc pas le même degré de vulnérabilité. Le Bangladesh, dont la densité de population près des côtes est plus élevée, dont la qualité des infrastructures et du système d’alerte est moins bonne et dont le niveau de pauvreté est plus grand, est bien moins apte à s’adapter que les Pays-Bas pour gérer un type d’impact identique et donc est plus vulnérable que ces derniers.

Cdp : Quelles sont les raisons pour lesquelles le thème de l’adaptation aux changements climatiques a été peu abordé dans le processus de négociation du Protocole de Kyoto ?

S. A. : L’importance des processus d’adaptation en réponse aux changements climatiques a été reconnue dès 1990, dans le premier rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Mais depuis, le thème de l’adaptation n’a jamais été au centre des négociations. Ce pour plusieurs raisons. D’abord il existe beaucoup d’incertitudes scientifiques en ce qui concerne les projections sur l’impact des changements climatiques à l’échelle mondiale, donc a fortiori à l’échelle locale où sont mises en oeuvre les politiques d’adaptation. Cette incertitude sur les impacts locaux rend difficile toute discussion sur l’adaptation à l’échelle internationale : il est difficile de savoir précisément ce qui tient du cycle normal du climat et ce qui tient du changement climatique.

Ensuite, les processus d’adaptation recoupent un certain nombre de préoccupations sociales qui, pour la plupart, sortent largement du champ de la simple évaluation des changements climatiques.

Enfin, jusqu’à l’établissement du Protocole de Kyoto, le débat politique s’est concentré sur la question de la limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Certains ont même considéré qu’aborder le sujet de l’adaptation aurait pu détourner l’attention des parties prenantes de leurs engagements de réduction. Il fallait éviter de laisser penser qu’en procédant à des adaptations, il n’était plus nécessaire d’engager des efforts sur la réduction des GES. Tous ces facteurs combinés ont contribué à retarder l’entrée du thème de l’adaptation dans le processus de Kyoto.

Cdp : Aujourd’hui, ce thème semble prendre une part de plus en plus importante…

S. A. : En effet, depuis cinq ans environ, le thème de l’adaptation est considéré comme une solution complémentaire à la réduction des émissions de GES pour lutter contre le changement climatique. D’un point de vue scientifique, le GIEC a publié son troisième rapport d’évaluation sur ce thème1 en dressant une typologie des processus d’adaptation et en établissant un lien avec le développement durable.

L’intérêt nouveau porté à cette question est lié au fait que le Protocole de Kyoto est à un stade critique. D’une part, il n’est toujours pas opérationnel et, d’autre part, il va falloir très rapidement lancer les négociations pour la seconde période d’engagements à partir de 2012. Le thème de l’adaptation est donc un bon moyen de mettre en oeuvre des phases opérationnelles et de relancer le processus de discussion en ramenant à la table des négociations les pays en développement pour qui cette question est jugée cruciale.

Cdp : La question de l’adaptation est donc très liée à celle du développement…

S. A. : En effet. D’ailleurs des conférences internationales comme le Sommet mondial du développement durable de Johannesburg ont nettement contribué à rapprocher les questions de climat et de développement. Mais on aurait tort de penser que l’adaptation au changement climatique ne concerne que les PED. En fait, les projections montrent que les principaux changements climatiques auront lieu dans les latitudes élevées, c’est-à-dire où se trouvent la grande majorité des pays de l’OCDE. En revanche, ce qui est sûr, c’est que les PED, pris dans leur ensemble, sont plus vulnérables.

C’est pourquoi, ces dernières années, la Banque mondiale et quelques grandes agences de coopération, comme en Allemagne ou en Norvège, cherchent à prendre en compte l’adaptation au changement climatique dans leurs politiques de développement. Toutefois, certains demeurent sceptiques face à cet intérêt soudain de la communauté du développement pour l’adaptation : comment un problème global comme le changement climatique, qui se manifestera dans plusieurs dizaines d’années, voir des siècles, peut-il cohabiter avec des priorités de développement qui sont plus localisées et plus immédiates, comme la lutte contre la pauvreté, la sécurité alimentaire ou la santé ? D’autres se demandent en quoi le changement climatique nécessitera des adaptations différentes en termes opérationnels de ce qui se produit déjà aujourd’hui, pour gérer les impacts de conditions extrêmes, famines ou inondations par exemple ?

L’OCDE a lancé un programme de recherche à travers six études de cas au Bangladesh, en Egypte, aux Iles Fidji, au Népal, en Tanzanie et en Uruguay. Une analyse des politiques de développement, des documents stratégiques de réduction de la pauvreté (PRSP), des stratégies sectorielles de développement ainsi que des politiques des donateurs ont montré que globalement, peu d’attention était portée aux risques climatiques ; à l’exception toutefois du Bangladesh et des îles Fidji, où la corrélation est faite entre pauvreté et vulnérabilité aux risques climatiques.

Cette étude a également relevé l’importance de la cohérence entre les politiques climatiques et de développement : il faut veiller à ce que les politiques de développement ne suppriment pas les réponses adaptatives aux risques climatiques dont un pays dispose, et inversement.

Au Népal par exemple, on constate que la construction de barrages comme réponse adaptative à la fonte des glaciers et aux risques d’inondations qui s’ensuivent pourrait entrer en concurrence avec d’autres priorités, environnementales et de développement. Aux îles Fidji, les mangroves, qui procurent une barrière de protection naturelle face à la montée des eaux et aux tempêtes, sont pourtant détruites pour répondre à des objectifs de développement.

Cdp : Quels sont les moyens de coordonner les politiques d’adaptation à l’échelle internationale ?

S. A. : S’intéresser à l’adaptation au travers d’un traité international est important en soi, mais ne résoudra qu’une partie de la question. Notamment parce que les sociétés en développement sont d’ores et déjà confrontées à des situations climatiques aiguës auxquelles elles ne peuvent pas faire face. Il faut donc coupler cette démarche à des mécanismes d’incitation pour soutenir les efforts d’adaptation. Un modèle classique permettrait donc de coordonner les méthodologies d’adaptation par l’échange de connaissances et de proposer des solutions de financement des processus d’adaptation.

Mais le véritable levier se joue à l’échelle des politiques domestiques : qu’est-ce que fait un pays pour s’adapter au changement climatique dans ses propres politiques sectorielles ou qu’est-ce que font les donateurs au travers de leur politique d’assistance ? En fait, il s’agit avant tout de prendre en compte les problématiques du changement climatique dans les politiques de développement plutôt que partir du changement climatique comme un problème et de chercher à formuler des réponses.

1 Bilan 2001 des changements climatiques – Conséquences, adaptation et vulnérabilité. OMM, PNUE, 2002. Rapport disponible à l’adresse : www.ipcc.ch

Mots-clés

changement climatique, pays en développement, politique de développement, processus d’adaptation

dossier

Lutte contre le réchauffement climatique (Cahier de Global Chance n°19, réalisé avec le Courrier de la Planète)

Notes

Shardul Agrawala - Direction de l’environnement de l’OCDE (OECD Environment Directorate, 2 rue André Pascal, 75016 Paris, FRANCE)

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