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La politique climatique en plan

Philippe QUIRION

2004

La France se singularise par la multitude des plans climat qu’elle a concoctées et qui n’ont que très rarement été mis à exécution. Les longs et tortueux cheminements pour la mise en œuvre des politiques publiques conduisent le plus souvent à l’immobilisme. Pourtant, sans ces plans, la situation serait peut-être pire…

Depuis 1990, au moins cinq programmes de lutte contre le changement climatique se sont succédés en France et un sixième, le plan climat 2004, est annoncé pour début juillet. Une telle profusion, qui semble sans équivalent chez nos voisins, témoigne-t-elle d’une volonté politique particulièrement forte ?

Cette interprétation optimisme est rapidement démentie par une sombre constatation : ces programmes ne sont pas appliqués, ou seulement à la marge. Une relecture des conclusions du rapport sur l’effet de serre de 1990 permet de s’en convaincre : sur treize mesures prioritaires, au moins huit n’ont nullement été appliquées (1), les cinq autres ne l’ayant été que timidement (2). Quant au programme national de lutte contre le changement climatique (PNLCC) de janvier 2000, sa mise en oeuvre a fait l’objet d’évaluations aussi bien par l’Etat que par les associations. Réalisées en juin 2001 et novembre 2002, ces dernières, coordonnées par le Réseau action climat (3), montraient que seuls environ 10 % des mesures étaient mises en oeuvre.

Certaines mesures sont ainsi reconduites de plan en plan sans concrétisation, comme l’affichage des consommations des logements, déjà annoncé en 1993, et qui ne verra finalement le jour dans quelques années que parce qu’imposé par la directive européenne de 2003 sur la consommation énergétique des bâtiments. Pire, certaines mesures considérées comme « déjà existantes » par le PNLCC ont été abandonnées. Il en est ainsi de la transformation de l’assiette de la vignette automobile pour refléter les émissions de CO2, appliquée une seule année puis disparue avec la vignette elle-même, supprimée dans un accès de démagogie en septembre 2000.

Pourquoi autant de plans ?

Pour une part, cette multitude de programmes est rendue nécessaire par le contexte international : la Convention climat, par laquelle la France s’est engagée à fournir régulièrement des « communications nationales », et le Protocole de Kyoto, qui fixe à notre pays un objectif d’émissions. Pourtant, pour l’essentiel, l’explication est beaucoup plus politicienne.

Tout d’abord, il s’agit de marquer le changement de gouvernement. Le plan climat 2004 s’inscrit dans cette logique, tout en jouant depuis l’origine sur une certaine ambiguïté vis-à-vis de son prédécesseur, le PNLCC : on a ainsi pu entendre qu’il s’agissait de « renforcer » le PNLCC ou d’en faire la « locomotive sur les rails du PNLCC ». Mais pour bien des acteurs, l’objectif était simplement de le remplacer, évidemment par un plan moins ambitieux.

Ensuite, pour un ministre, chaque plan constitue une occasion de se mettre en avant et de donner l’illusion d’agir. Le manque de mémoire des journalistes permet d’ailleurs de multiplier les effets d’annonce à l’infini. La dernière réglementation thermique pour les bâtiments neufs, la RT 2000, fut ainsi annoncée et célébrée à de multiples reprises par différents ministres, depuis le programme de 1995 jusqu’à la première conférence de bilan du PNLCC, en juin 2001. Elle est certes en vigueur depuis cette date, mais le taux de conformité est estimé à 30 % pour les maisons individuelles…

La phase de préparation d’un plan (toujours plus longue que prévue) constitue une bonne occasion de ne rien faire, ceci pour deux raisons : le manque de légitimité à appliquer les mesures du plan précédent, devenu caduc, et le manque de ressources des rares services de l’Etat motivés par la lutte contre le changement climatique (ministère de l’Environnement, MIES, Ademe), qui peuvent difficilement à la fois travailler sur un nouveau plan et préparer l’application des mesures du précédent. Du coup, les services opposés à la lutte contre le changement climatique (essentiellement aux ministères des Finances et de l’Equipement), mieux dotés, ont intérêt à faire traîner les négociations.

Pourquoi ces programmes ne sont-ils pas appliqués ?

Faisons-nous un instant l’avocat du diable : après tout, si ces plans ne sont pas appliqués, c’est peut-être tout simplement qu’ils ne méritent pas de l’être ! Autrement dit qu’ils n’ont pas été réalisés avec le sérieux qui devrait présider aux décisions publiques. De fait, certaines faiblesses peuvent être facilement pointées, depuis l’oubli du secteur du raffinage dans le PLNCC jusqu’à celui des DOM-TOM dans la troisième communication nationale. Au-delà de ces anecdotes, le manque de chiffrage du coût et de l’efficacité des mesures est patent. Le rapport de 1990 y invitait pourtant, mais faute de capacité d’analyse, on n’a guère avancé depuis. Ainsi, les documents préparatoires du plan climat 2004 ne chiffrent le coût des différentes mesures que pour le budget de l’Etat, ce qui n’a rien à voir avec un coût économique. Quant à l’estimation de la quantité de gaz à effet de serre évitée par chaque mesure, elle abandonne toute prétention à la moindre rigueur puisque ce plan, bien que beaucoup moins ambitieux que le PNLCC, aboutit à davantage de réduction d’émissions. Pour améliorer la situation, en 2002, la MIES et le Commissariat général du Plan ont tenté de mettre sur pied un « système national de projection des émissions de gaz à effet de serre », devant notamment permettre de construire une quatrième communication nationale sur des bases plus solides. Ce projet ayant été abandonné par le nouveau Commissaire au Plan, il est maintenant probable que la préparation de la quatrième communication nationale soit encore moins rigoureuse que celle de la précédente.

Pourtant, la mauvaise application des programmes ne s’explique pas par leurs insuffisances. J’en veux pour preuve que bien des mesures « anti-climat » sont adoptées avec encore moins d’expertise, voire sans aucune analyse. Tel fut le cas de la suppression de la vignette. La réalité est plus politique : les plans climat sont réalisés par la Mission interministérielle sur l’effet de serre (ou une autre institution de culture plutôt environnementaliste) mais les mesures qu’ils contiennent doivent être traduites en lois, décrets ou arrêtés par d’autres services de l’Etat (relevant principalement des ministères des Finances ou de l’Equipement), d’autant moins motivés qu’ils ont tenté d’empêcher ces mesures de figurer dans les plans en question.

Autre facteur important, les lobbys industriels (industrie lourde et constructeurs automobiles) ont réussi à transformer le ministère de l’Industrie en leur porte-parole, alors que les entreprises qui pourraient gagner à la lutte contre le changement climatique (à l’exception des producteurs d’électricité nucléaire et renouvelable) ne s’engagent que timidement. Résultat : les ministères des Finances ou de l’Equipement traînent les pieds et les mesures retenues par les plans climat (donc pourtant déjà arbitrées par le Premier ministre) repassent presque systématiquement en arbitrage interministériel au stade de la concrétisation.

A-t-on a besoin d’un plan ?

A ce stade, on en vient à se demander si les plans climat ne contribuent pas à l’immobilisme plus qu’à l’action publique. De fait, outre le temps perdu pour les adopter, ils offrent aux politiques une occasion de se peindre en vert en prétendant agir, sans heurter les groupes d’intérêt. Sans exclure cette possibilité, notons que les principaux facteurs d’inaction existeraient même sans les plans climat. De plus, parce que ces derniers ont été approuvés par le Premier ministre, ils constituent tout de même une ressource pour les défenseurs des politiques climatiques, qui peuvent les utiliser pour demander l’application des mesures qu’ils renferment ou contester des mesures contradictoires. Une ressource certes symbolique et qui amène rarement le succès, mais sans laquelle la situation serait sans doute encore pire. L’absence de mise en oeuvre de toute politique climatique depuis les élections législatives et la suspension implicite du PNLCC qui s’en est suivie en constituent d’ailleurs un indice.

Peut-on espérer qu’un jour, les plans climat français soient appliqués ? Les conditions à réunir sont plus simples à énoncer qu’à réaliser. Il faudrait tout d’abord que les hauts fonctionnaires des Finances et de l’Equipement soient convaincus de l’importance du problème – on en est loin – ou contraints par une pression politique suffisante d’arrêter de saboter les politiques climatiques. De même pour les députés qui, selon un récent sondage (4), sont beaucoup moins convaincus du problème que les citoyens. Reste à ces derniers de les convaincre…

1 Limitation de l’usage des gaz fluorés, méthanisation des lisiers de porc, maîtrise de l’utilisation des engrais azotés, augmentation de l’utilisation du bois d’oeuvre, développement de l’hydroélectricité, incitation aux chaudières à condensation, programme DOM-TOM, imputation aux transports de la totalité des coûts externes.
2 Récupération des CFC, abandon rapide des décharges, développement de la forêt, promotion des usages performants de l’électricité dans l’industrie, développement de la cogénération et de la biomasse-énergie.
3 www.rac-f.org
4 Daniel Boy, Les Parlementaires et l’environnement, notes : Proses, 9 juillet 2003.
Une collection de programmes

1 En 1989, création d’un groupe interministériel sur l’effet de serre (GIES) qui élabore un programme d’action contre l’effet de serre avec une première liste d’actions jugées prioritaires.

2 En 1993, le Conseil des ministres approuve les « Premiers éléments pour un programme français de lutte contre l’effet de serre », rédigé par le GIES.

3 Ce dernier prépare le programme français de prévention du changement de climat, approuvé par le gouvernement en 1995 et qui sert de première « communication nationale » de la France.

4 La seconde communication nationale, adoptée en 1997, actualise la précédente avant la conférence de Kyoto.

5 Adopté en 2000, le programme national de lutte contre le changement climatique (PNLCC) doit permettre à la France de respecter son objectif de stabilisation des émissions de GES.

6 Maintes fois reporté, le plan climat 2003 est annoncé pour juillet 2004 (un nouveau report n’étant pas à exclure, notamment en cas de remaniement après les élections européennes).

On pourrait encore ajouter à cette liste :

7 Le programme national d’amélioration de l’efficacité énergétique de 2000, qui ne porte pas spécifiquement sur le changement climatique, mais y trouve tout de même sa justification principale. Signalons que ce plan, plus modeste, a été plutôt mieux appliqué que les autres.

8 La troisième communication nationale de novembre 2001, qui actualise le PNLCC.

P. Q.

On peut consulter ces différents plans aux adresses : www.cgm.org/rapports/cd-rom/CD-Yves-Martin/mode_demploi.html, unfccc.int/resource/natcom/nctable.html, www.effet-de-serre.gouv.fr

Mots-clés

changement climatique, politique de l’environnement, effet de serre


, France

dossier

Lutte contre le réchauffement climatique (Cahier de Global Chance n°19, réalisé avec le Courrier de la Planète)

Notes

Philippe Quirion - Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED) - 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle, 94736 Nogent-sur-Marne Cedex, France – www.centre-cired.fr

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