01 / 2007
Créée en 1986, l’Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés à la Régie d’Eau et à la Société d’Électricité (ULOMARE) s’est donnée pour mission de combattre les injustices et les traitements discriminatoires dont les populations étaient victimes en matière d’accès aux services de base, dans l’Est de ce qui était encore à l’époque la République du Zaïre. Très rapidement, l’association va compter plusieurs milliers de membres, répartis dans les villes de Bukavu, Goma, Kamituga et Uvira et va mettre sur pied des stratégies permettant à ses membres d’accéder aux services essentiels, tels que l’électricité.
Créer un rapport de forces favorable aux plus démunis pour construire un droit plus juste
En cas de surfacturations arbitraires des consommations d’eau ou d’électricité, les abonnés vont ainsi systématiser la collecte et la centralisation des factures incriminées. Remises à l’ULOMARE, elles vont reprendre le chemin de leurs sociétés émettrices sans être payées, mais accompagnées des doléances des habitants. Cette technique va porter ses fruits. Face à la masse des impayés et à la mobilisation de la population, les sociétés mises en cause choisissent en règle générale de revoir leurs tarifs et optent pour la négociation avec l’interlocuteur que les populations se sont choisi : l’ULOMARE. Cette dernière va ainsi peu à peu parfaire son rôle de médiateur officiel dans les conflits qui opposent les usagers les plus démunis et les sociétés nationales chargées de la fourniture des services de base.
La pratique du “dahulage” est une autre forme de mobilisation promue et appuyée par l’ULOMARE. Organisés au sein de comités locaux d’électrification, les habitants sont invités à se raccorder clandestinement au réseau électrique. Formés aux techniques de base en matière d’électricité, informés des différents risques encourus, ils vont ainsi s’approprier, certes illégalement mais en toute légitimité, un droit qui leur est refusé par la Société Nationale d’Électricité (SNEL). À partir de cette situation de fait illégale que représente le dahulage, l’ULOMARE va chercher à obtenir la régularisation de ces raccordements. S’engage alors un bras de fer parfois violent entre les agents de la SNEL et le syndicat qui porte les revendications populaires.
Les actions initiées par l’ULOMARE invitent la population à prendre conscience de ses droits et à initier des actions revendicatives et productrices de droits. Les habitants participent ainsi à la création d’un droit qui leur est plus favorable.
Création de dynamiques sociales et de solidarités sur le long terme
20 ans après, l’ULOMARE existe toujours. Cependant, en raison de la faiblesse des moyens dont elle dispose aujourd’hui, l’appui qu’elle offre à la population est désormais avant tout méthodologique. Des animateurs bénévoles ne cessent de parcourir les différents quartiers où vivent les dahuleurs pour les informer de la méthode à suivre, des risques encourus et de l’importance du travail de sensibilisation qu’il faut réaliser auprès de la population afin qu’elle s’approprie pleinement cette pratique, renforçant ainsi sa dimension légitime.
Au cours de ses 20 années d’existence, l’ULOMARE a traversé de nombreuses difficultés. En raison de la forte mobilisation populaire qu’elle a concouru à susciter, elle fut en effet accusée par le parti-État du président Mobutu de travailler à la création d’une formation politique d’opposition. Lors de la partition du pays survenue à la suite des guerres de 1996 et 1998, elle fut à nouveau considérée par les dirigeants rebelles comme une organisation subversive. Les nouveaux détenteurs de l’autorité dans la région voyaient en effet d’un très mauvais œil le fait qu’elle encourage les habitants à ne pas payer des factures qui constituaient une importante source d’enrichissement pour le pouvoir en place. Malgré ces difficultés, l’ULOMARE a remporté de nombreuses victoires. La plus significative est sans doute celle que l’on peut encore constater aujourd’hui : dans le moindre quartier, dans le moindre village, la pratique du dahulage a fait des émules. Parvenant parfois à conduire le courant jusqu’à deux kilomètres au-delà de l’extrémité du réseau officiel, les comités d’électrification constituent aujourd’hui des noyaux de solidarité très solides. Face à une telle organisation et aux retombées positives du raccord au réseau électrique en termes d’activités économiques, d’hygiène et de sécurité, les agents de la SNEL hésitent de plus en plus à sanctionner les “coupables”.
De nouveaux comités d’électrification voient le jour fréquemment, et font appel aux membres de l’ULOMARE pour les aider à s’organiser. Un des derniers-nés a été créé à Bukavu par un groupe de jeunes, inquiets de voir se développer l’insécurité dans leur quartier isolé de la ville. Ils ont alors proposé aux habitants de se cotiser afin d’installer un éclairage public, et de raccorder au réseau “officiel” les habitations qui en étaient les plus proches. Depuis, malgré les coupures de courant qui affectent régulièrement les installations électriques – clandestines comme officielles -, les habitants du quartier n’hésitent plus à sortir de chez eux après la tombée de la nuit.
Les techniques de mobilisation employées par l’ULOMARE intéressent également d’autres initiatives locales de développement. C’est ainsi qu’elle a été sollicitée par l’Union pour l’Émancipation de la Femme Autochtone (UEFA) de Bukavu pour participer à la mise en place d’un noyau de femmes autochtones parajuristes ; de la même manière, l’organisation Dignité Pygmée fait aujourd’hui appel aux animateurs de l’ULOMARE pour former des promoteurs de droits au sein des communautés Pygmées.
Les pratiques populaires de droit développées sur le long terme sont porteuses de dynamiques sociales. Aujourd’hui les habitants des quartiers pauvres de Bukavu n’ont plus peur de s’opposer au paiement des factures fantaisistes, souvent forfaitaires, des sociétés d’Etat distributrices d’eau et d’électricité. Les comités d’électrification mis en place par l’ULOMARE constituent des espaces de rencontre et d’organisation des personnes qui contribuent à faire naître ou à renforcer les solidarités existantes. L’utilisation du droit ne se fait pas dans un rapport individuel, elle est au contraire prétexte à créer des dynamiques collectives et de solidarités.
lutte juridique, organisation syndicale, revendication de droits, besoins essentiels, électricité, droits économiques, sociaux et culturels
, République Démocratique du Congo
Visites de terrain dans des quartiers dont les populations pratiquent le dahulage, Bukavu, 14.11.2006.
Entretien avec les membres de l’Union des Locataires de Maisons et d’Abonnés à la Régie d’Eau et d’Électricité, 13.11.2006.
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