Un modèle logique, ancré dans l’histoire longue, institutionnelle et politique, danoise
04 / 2006
Il est aujourd’hui difficile d’ouvrir une revue économique sans y rencontrer, au hasard des pages, un article louant les vertus du modèle danois. Il faut dire que les résultats du petit pays nordique ont de quoi faire rêver, peu de chômage (5.3%), des salaires élevés…
La France qui ne parvient toujours pas à sortir d’une crise structurelle vieille de plus de vingt ans, verrait bien la transposition de ce modèle sur son sol.
Pour ce faire une idée plus juste des avantages et inconvénients d’un tel modèle posons les questions suivantes : Qu’est ce donc que le modèle danois ? Est-il aussi efficient, solidaire et social qu’on le prétend ? Est-il applicable en France compte tenu de sa trajectoire historique, sociale et institutionnelle ? C’est ce que nous allons entrevoir à l’aide des articles de Jean-Claude Barbier et Philippe Frémeaux.
Petites précisions méthodologiques
Comprendre ce modèle dit de flex-sécurité c’est tout d’abord intégrer le fait que certains vocables ou certaines préoccupations françaises sont absentes des analyses, des débats, de la société danoise.
Par exemple, si le nombre de fonctionnaire est très important au Danemark puisqu’il atteint les 31% de la population active (Barbier, 2005), le statut de fonctionnaire « à la française » est rare. Les fonctionnaires danois et français n’ont en effet en commun que le caractère public de leur employeur. Ainsi, être fonctionnaire au Danemark ne signifie nullement avoir la sécurité d’un emploi à vie. Il n’est pas plus dur de licencier dans le public que dans le privé.
De même au Danemark, il n’y a pas de « précarité » de l’emploi, la notion même de précarité étant absente du vocable et de l’imaginaire danois. En outre, Jean-Claude Barbier (Laparra et al., 2004 ; Barbier et Lindley, 2002) précise que « la perception (et l’analyse) des situations en termes de précarité est inadaptée en dehors des pays latins » (p3).
Fondement et fonctionnement du modèle danois
Le modèle danois est le fruit d’un consensus, plus précisément d’un consensus social, respectueux de l’histoire longue du pays. Il s’appuie également sur cette tradition du dialogue, du partenariat, de la confiance sociale danoise mais aussi sur une obligation affichée de résultat.
A la base de ce modèle, le triangle d’or suivant : des politiques sociales généreuses, entremêlées de politiques actives de retour à l’emploi en échange d’une plus grande flexibilité accordée aux entreprises.
Les entreprises, le droit du travail et les syndicats
En effet, pour pouvoir faire face aux nouvelles conjonctures internationales, les entreprises se sont vues accordées des réglementations relativement (il faut insister sur le relativement) souples en ce qui concerne les licenciements, la durée et le renouvellement des contrats de travail. En 2002, sur la totalité des salariés en CDD, 25% étaient en contrats d’apprentissage, 25% étaient embauchés pour des remplacements, 8% étaient en « activation » et 40% étaient en CDD pour des raisons autres (freelance, mission, étudiants, mais aussi faute de CDI, l’auteur à tendance à l’oublier). Rien de comparable donc avec les situations anglaises, hollandaises ou françaises. D’une manière générale, il faut savoir que le droit du travail est traditionnellement peu important au Danemark, les réglementations étant fixées par les conventions collectives négociées entre les syndicats salariés et patronaux. Ces réglementations sont quasi universelles et s’appliquent aussi bien au privé qu’au public. Pour information, plus de 80% des danois sont syndiqués contre environ 5% en France.
Protection sociale et retour à l’emploi
Pour compenser cette flexibilité de l’emploi, une certaine sécurité des revenus est assurée. Les chômeurs touchent ainsi des prestations importantes calculées en fonction de leur salaire annuel de base (90% pour les salaires allant jusqu’à 2250 euros mensuels, 50% environ pour des supérieurs à 3935 euros) et doivent être assurés de trouver rapidement un autre emploi. Pour ce faire, des offres d’activation, sous formes de formation, stage, contrat aidé.., sont mis en place. Une proposition d’activation doit être faite au chômeur au plus tard dans l’année. Certaines formations et autres cours sont par ailleurs dispensés par les syndicats eux-mêmes. Les syndicats jouent donc un rôle prépondérant dans ce modèle danois. Ils gèrent les caisses de l’assurance chômage et la redistribution des allocations (financées par l’Etat et les cotisations syndicales).
Les allocations dispensées par l’assurance chômage durent quatre années. Passé ce délai, c’est l’assistance qui prend le relais.
Les personnes incapables de « s’insérer dans des univers compétitifs » et/ou occupant des emplois peu valorisant, quant à elles, obtiennent des revenus après impôt comparables au salaire moyen danois. En échange de ces avantages, les chômeurs sont cependant priés de ne pas trop être exigeants quant aux postes qu’ils se voient proposer.
Transposition du modèle en France ?
Comme nous l’avons déjà dit, la France tente depuis plus de vingt ans de se dépatouiller d’une crise structurelle majeure. Faute de puiser dans ses ressources et voyant son modèle s’ankyloser, elle cherche ailleurs des solutions de sortie de crise. Deux semblent alors possibles : le modèle anglo-saxon, auquel pour certains (Elie Cohen) nous seront un jour ou l’autre obligé d’adhérer, et un modèle plus social, de type danois. C’est cette seconde voie qui est le plus souvent citée en exemple et qui a le plus de chance de faire consensus.
Seulement, le succès du modèle danois tient avant toute chose à sa cohérence et au consensus social dont il est issu. C’est en quelque sorte un contrat social ancré dans la culture institutionnelle, politique, sociale, sociétale danoise, inscrit dans la continuité de l’histoire longue du pays. Un tel modèle n’est alors de facto pas transposable clef en main en France.
Qui plus est, il est souvent en France prétexte à plus de flexibilité et à une réforme libérale du droit du travail. Philippe Frémeaux, explique ainsi que le gouvernement français a pour l’instant plus choisi le côté flex que le côté sécurité. Seulement le modèle danois n’est pas uniquement ce modèle de flexibilité, de facilitation des licenciements que l’on nous présente, Allan Larsson, ancien ministre des finances danoises n’a d’ailleurs de cesse de le répéter aux autres pays de l’UE.
D’autre part, et comme le rappelait très justement Bernard Gazier, tout l’art de ce système est de reposer sur un accord entre organisations syndicales et patronales, impliquant de fait une grande adhésion des salariés. C’est grâce à ce taux exceptionnel de syndicalisation que le droit du travail danois peut se permettre d’être quasi-inexistant. En France seulement 5 % des salariés sont syndiqués, tandis que les relations entre patronat et syndicats tiennent plutôt du rapport de force. Ce qui protège le salarié en France, c’est le droit du travail, d’où un droit du travail extrêmement complexe et abondant.
Quelques bémols
Mais le modèle danois a aussi ses limites. Aujourd’hui, l’assurance chômage est de plus en plus exigeante avec les chômeurs. Le refus de certaines formations, stages ou emplois mène plus facilement qu’avant à une suspension des allocations chômage. Le périmètre dans lequel on est en devoir d’accepter un emploi est plus large qu’avant (étendu à 4 heures de transport par jour). Et pour pouvoir bénéficier de l’allocation chômage, il faut désormais avoir travaillé 52 semaines dans les 3 années qui ont précédé.
De leur côté, le syndicat des employeurs réclame toujours plus de flexibilité, une réduction de la durée d’indemnisation chômage etc…Alors que flexibilité octroyée semble paradoxalement nuire à certaines entreprises, notamment en terme d’investissement. En effet, ce type de flexibilité oriente les politiques et stratégies de compétitivité des entreprises vers une pression à la baisse des coûts plutôt que vers une concurrence fondée sur l’innovation.
Quelles leçons alors tirer de ce débat sur le modèle danois ?
Premièrement que « Le modèle danois (…) c’est d’abord faire société ensemble ; c’est affirmer concrètement qu’il nous faut gagner tous ensemble, sans laisser personne au bord de la route » comme le rappelle Philippe Frémeaux,(p5) ; aussi toute solution de sortie de crise passe nécessairement par la recherche d’un consensus social et politique soit par un renouvellement du contrat social.
Deuxièmement : les salaires et les indemnisations chômages élevés ne sont pas la cause du chômage. En effet, il existe très peu de différence entre le salaire minimum danois (1400 euros) et le niveau des indemnisations chômage, et pourtant le taux de chômage est de 5.4%.
Et enfin, qu’il n’existe pas de modèle clef en main. En effet, comme l’estime Jean-Claude Barbier, « apprendre vraiment du Danemark en France, c’est assimiler une leçon sociologique simple : la réforme d’un système d’emploi de protection sociale, pour autant qu’elle doive s’imprimer dans la durée d’une réalisation effective, doit pouvoir s’inscrire dans une cohérence sociétale propre. Ces cohérences restent malheureusement ignorées par la plupart des analyses économiques et des discours politiques » ( p1).
Vers d’autres débats
Parler du système danois c’est aussi ouvrir d’autres débats :
Celui du modèle social européen. L’Europe est en effet prise entre de feux : tendre vers un modèle de type anglo-saxon, à tendance libérale, ou plutôt vers un modèle dit social. L’hétérogénéité des situations économiques et sociales rend difficile une convergence de point de vue sur cette question. Pour Michel Aglietta, une solution possible serait d’avancer à tâtons en autorisant, par exemple, qu’au sein de l’Europe des 25, soit autorisée la réunion de seulement quelques pays autour de l’application d’une même politique. Peut-être ainsi pourra-t-on soit rendre possible la cohabitation de plusieurs « modèles » , soit comme dans un laboratoire à échelle réelle, déterminer ce qui marche, ce qui ne marche pas et avec quelles conséquences.
Autre débat soulevé, celui de la «la mode des modèles économiques » pour reprendre l’expression d’Alain Beuve-Méry. Car depuis la crise des années 1980, chaque modèle économique a eu le droit à son miracle. La formidable Allemagne, ses ouvriers bien payés, ses grands groupes industriels ; formidable Japon, sa dynamique, sa capacité d’innover, sa discipline ; formidable Suède, sans chômage, avec des politiques sociales généreuses ; formidables Pays-Bas, sa capacité de rebondir, le temps partiel accepté sereinement par ses habitants…et aujourd’hui donc le Danemark. La science économique mais aussi la politique aime nous faire croire et à se faire croire qu’il existerait des « solutions clés en main » (Alain Beuve-Méry).
Économie, société et environnement : des éléments de réflexion pour une société durable
Articles et dossiers
BARBIER Jean-Claude, Apprendre vraiment du Danemark : réflexion sur le « miracle danois » , Centre d’études de l’emploi, www.cee-recherche.fr, février 2005.
FREMEAUX Philippe, Une histoire française, Alternatives économiques juillet 2005, n°238, p5.
CLERC Denis, Les deux faces du modèle danois, Alternatives économiques juillet 2005, n°238, p12.
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