Des pistes pour réduire la demande "déraisonnable" de transport
04 / 2006
Un des nombreux mythes économiques implicites, mais néanmoins des plus tenaces, serait que le développement des transports de marchandise, le fret, soit un préalable mais aussi une conséquence incontournable du développement économique. Ce postulat ne saurait être remis en cause après des siècles d’internationalisation et encore moins depuis sa phase d’intensification d’après guerre.
La demande de transport semble ainsi être aujourd’hui inhérente, intrinsèque à la demande de biens et services, et tout pousse toujours à la gonfler : l’extension du mode de consommation occidental aux pays dits en transition ou en développement, le raccourcissement de la durée de vie des produits, le développement d’implantations humaines dans des territoires hostiles à l’homme, l’accroissement de la division internationale du travail... un certain fatalisme entoure donc le développement du fret : dès lors que l’on produit, que l’on consomme, on transporte.
Se pose néanmoins un problème majeur : les transports contribuent substantiellement à l’aggravation de la pollution environnementale. On note ainsi en Allemagne une augmentation significative de leur responsabilité, ces trente dernières années, dans les émissions de CO2 : si cette responsabilité était estimée à 11% en 1970, elle dépasse les 20% en 1996 alors que l’industrie, elle, a vu la sienne réduire de manière conséquente passant ainsi de 33% en 1970 à un peu moins de 20% en 1996. L’industrie, en Allemagne, pollue aujourd’hui donc moins en CO2 que la seule activité de fret !
Aussi, il paraît totalement irréaliste de penser que les pays industrialisés (« développés » ou « en développement » ) puissent parvenir un jour à atteindre leurs objectifs environnementaux tout en laissant les transports croître indéfiniment. Pour le Wuppertal Institut, afin de définir les prérogatives d’une société durable il faudrait donc :
déconstruire ce mythe, surestimé à l’excès, de la croissance des transports comme préalable obligatoire à tout développement économique;
passer à des mesures plus profondes que celles ne visant uniquement à réduire les émissions de pollution : pots catalytiques, filtres…
Pour ce faire le Wuppertal Institut tente, à travers cet article, de mettre en évidence qu’une telle trajectoire est non seulement réalisable, mais qu’elle peut être, qui plus est, économiquement avantageuse. Partant du principe et du constat, qu’il a été possible de démontrer et de mettre partiellement en pratique le découplage de la consommation énergétique et de la croissance économique, l’institut allemand estime qu’il est envisageable de faire de même pour le fret.
Dans cette perspective, le découplage du développement du fret et du développement économique est défini par l’Institut comme « une réduction du transport de fret par unité de PIB, afin de diminuer la croissance des transports, voire même l’activité de fret elle-même mesurée en tonne-kilomètre » .
Car comme le rappelle Andreas Patstowski, rien n’indique que la demande de transport ne soit incompressible : elle n’est pas l’émanation naturelle de la loi de l’offre et de la demande selon laquelle toute demande devrait nécessairement être satisfaite comme l’estiment certains économistes, politiciens ou idéologues. Car une telle thèse ne tient pas. Ainsi, s’il existe une demande de produits stupéfiants, elle n’est pas pour autant satisfaite, leurs productions et leurs consommations étant prohibées dans de nombreux pays. Par conséquent, l’économie est bien enchâssée dans la société, et tout comme il est possible de lui imposer des règles sociales, il est possible la contraindre à certaines normes environnementales.
Pour ce faire, une première possibilité serait de tenter d’infléchir toute demande « déraisonnable » de transport. Mais en existe-t-il une ? Oui pour l’institut et elle aurait pour cause principale « une régulation inadéquate » . L’auteur cite ainsi trois facteurs qui, d’ores et déjà, pourraient en être la cause :
Différenciation des produits et marketing : les importations de longue distance de biens et de services ne sont pas forcément liées à la recherche d’une qualité meilleure ou de prix plus bas, mais parfois bien plus à une demande de produits différenciés. Un individu pourrait ainsi préférer un produit d’importation correspondant plus à son image, qu’un bien produit localement mais à l’image peu attractive. La différenciation des produits, dans ce cadre, induit donc un accroissement de la demande de transport.
Politiques économiques : Viendraient se greffer à ce premier facteur les effets indirects de certaines politiques, par exemple les pratiques de labélisation européennes (le jambon de Parme doit être fabriqué à Parme..). En interdisant à certains territoires la labellisation de tel ou tel produit, ces politiques obligent de facto à des mouvements d’importation et d’exportation.
Non internalisation des externalités : enfin troisième facteur l’intégration économique et à la division internationale du travail, se sont développées sur des bases prix entièrement faussées du fait de la non internalisation des externalités négatives.
Il y a donc matière à discuter : dans certains cas, les transports seraient indispensables, mais dans d’autres ils pourraient ne pas l’être.
L’institut préconise donc comme pistes de solutions possibles :
développer l’économie de proximité (ce qui permettrait de surcroît de réduire les coûts de transaction);
substituer aux transports matériels des transports immatériels dans la mesure du possible;
réduire le volume de matériel qui circule dans une économie pour une unité de PIB;
intensifier l’utilisation d’un produit via le share use;
accroître la durabilité des produits physiques et de leurs composants;
créer des produits à même d’être modifiés, complétés, réajustés : des produits évolutifs en somme.
transport international, moyen de transport, pollution, commerce international et développement
Économie, société et environnement : des éléments de réflexion pour une société durable
Articles et dossiers
PATSTOWSKI Andreas, Wuppertal paper n°79, Wuppertal Institut (www.wupperinst.org), septembre 1997. ISSN : 0949-5266.
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