Quelques leçons de ce siècle pour mieux comprendre notre mondialisation et ses débats
04 / 2006
La Mondialisation du XIXe siècle
La mondialisation ne serait pas un phénomène nouveau. C’est en substance la thèse que défendent P. Bairoch et O. Williamson pour qui la première forme de mondialisation daterait du 19ème siècle. C’est en effet à cette époque que sont apparus les premiers mouvements d’intensification et d’extension géographique des échanges de biens mais aussi de capitaux.
Petit retour sur cette page de l’histoire économique, déterminante quant à la compréhension de la mondialisation contemporaine et des débats qui l’animent.
Intensification et extension géographique des échanges au XIXe siècle
Avec l’arrivée du chemin de fer, de la modernisation navale, le monde se rétrécit. Échanger plus facilement entre nations et penser les activités de production en fonction de la demande et de l’offre étrangère fut enfin possible.
Ce formidable essor du commerce international fut donc indubitablement lié à une réduction des coûts de transport et à une communication facilitée (P. Bairoch). Durant cette « extraversion inédite des économies développées » (p368), les volumes échangés furent multipliés par 19 et l’on observa même une convergence des revenus nationaux des « économies atlantiques » .
Un capitalisme financier
Ces échanges mondiaux étaient en grande partie composés de capitaux européens. Il s’agissait de flux de court terme majoritairement déconnectés de la sphère réelle, souvent spéculatifs. Néanmoins tout au long du siècle, les mouvements de capitaux évoluèrent qualitativement. Progressivement, la part relative des investissements de portefeuille déclina au profit des investissements directs à l’étranger (IDE). Cette mutation qualitative fut corrélée à un changement de destination. Fin XIXe, les capitaux se dirigèrent ainsi vers des pays de plus en plus lointains finançant chemin de fer et autres usines sidérurgiques.
Les Grands débats de la première mondialisation : débats de notre siècle ?
Cette mondialisation rappelle à certains égards les mouvements actuels d’internationalisation économique.
Philippe Norel considère ainsi qu’elle constitue la pierre angulaire des débats contemporains liés à la mondialisation : ceux des inégalités entre le Nord et le Sud, mais aussi ceux de la possible primauté des intérêts économiques sur les intérêts politiques.
Fragmentation de l’économie mondiale
Intéressons nous au premier débat, celui de la fragmentation de l’économie mondiale, soit de la marginalisation et/ou domination des économies.
Au XIXe, l’essentiel des échanges s’effectuait entre pays dits du centre. L’Europe échangeait aux deux-tiers à l’intérieur de ses frontières et pour un tiers seulement avec le reste du monde.
La faible participation des pays du Sud dans le commerce international engendra des phénomènes de triangularisation commerciale. Notamment à travers les processus de spécialisation qui provoquèrent de fait une dépendance vis à vis des importations étrangères et des grands ports, points de passage obligés de tous les échanges. L’Irak commerçait ainsi bien plus avec l’Inde et la Grande-Bretagne qu’avec son voisin iranien.
Ce mouvement « d’intégration / périphérisation » a profondément dessiner la configuration des débats contemporains sur les « perdants et les gagnants » de la mondialisation (Philippe Norel).
Exclus en partie des échanges réels, les pays du Sud constituaient paradoxalement LA destination privilégiée des capitaux, les rendements devenant plus profitables dans les pays « périphériques » à partir de la seconde moitié du siècle. Trois quarts des capitaux mondiaux prirent ainsi progressivement une destination autre que l’Europe. Cette redirection des flux de capitaux ne participa en rien à une convergence économique entre les pays du Nord et les pays du Sud. C’est même l’inverse qui se produisit.
Pour décrire cette période, Philippe Norel n’hésite pas à parler de fragmentation de l’économie mondiale, de processus de périphérisation, voire même de domination des pays pauvres illustrée par des investissements directs à l’étranger répondant à des stratégies de main mise sur les matières premières (ces IDE posèrent par ailleurs des problèmes liés à la diffusion de nouvelles techniques, valeurs ou normes sociales). La domination financière des pays dits développés se traduisit également par des interventions directes des Etats ou des sociétés créancières dans les affaires publiques des nations débitrices. A l’instar de la Banque Rotschild qui s’appropria les résultats de certaines taxes de la banque centrale de l’empire Ottoman pour reconstituer son du.
Relation intérêts privés et Etat, économie et politique
Autre débat maintenant : celui d’une éventuelle domination des intérêts économiques sur les intérêts politiques et nationaux soit d’une dichotomie entre les intérêts des acteurs économiques privés et les intérêts nationaux.
Ce phénomène s’avéra t-il au 19ème siècle ? Observa t-on à l’époque des groupes transnationaux, ou des groupes « d’acteurs privés coupés de leur attache nationale » ?
La réponse est non, du moins pour l’historien Thobie, pour qui si des accords ponctuels existaient entre les firmes, les stratégies des oligopoles conservaient un caractère éminemment national. Il s’avère donc impossible de démontrer une rupture significative des entreprises avec l’attache nationale.
Pour Renouvin, il serait même parfaitement juste de parler de « jeux d’influences réciproques » , de collusion d’intérêt entre la sphère politique et la sphère économique.
A l’instar du Royaume-Uni, encouragé à intensifier sa campagne de conquête coloniale par des propriétaires terriens soucieux de retrouver des débouchés pour leurs capitaux après l’abolition des Corn Laws. En récompense de quoi le capital financier anglais a joué un rôle prépondérant dans le financement de l’armée anglaise. Les diplomates et les propriétaires de capitaux ont ainsi pendant longtemps eu tout intérêt à s’entendre pour la défense des intérêts nationaux. Difficile donc d’observer une réelle domination de la sphère marchande sur les intérêts étatiques. Le rapport de force entre les deux semblait même pencher en faveur de l’Etat qui dans une vision quasi mercantiliste choisit d’inclure l’économie comme un instrument sinon prolongement direct de son pouvoir, de sa puissance, de son influence. Renouvin précise que l’Etat avait en effet tout intérêt à se soucier du placement des capitaux privés nationaux, s’il voulait maintenir sa puissance mondiale et conserver le contrôle sur son patrimoine colonial. Ainsi la banqueroute égyptienne a-t-elle entre autre permis la main mise européenne sur le canal de Suez.
Mais il arrivait même que les seuls intérêts politiques nationaux priment sur les intérêts économiques :
Par exemple, les Etats pouvaient intervenir directement sur l’autorisation de la cotation en bourse de telle ou telle valeur et refuser certains partenariats économiques ou financiers dans le cadre de sanctions politiques ;
Autre point, il arrivait que certaines colonies n’aient aucun but économique ou même financier en soi. C’était le cas de la Namibie ou de la Somalie. Dans ces deux cas politiques plus qu’économiques, les capitaux privés furent tout de même sollicités.
La globalisation financière
Enfin, dernier débat, celui de la globalisation financière.
Notons de prime abord que la part relative des capitaux dans les échanges internationaux était bien plus importante au XIXe siècle qu’aujourd’hui, gonflée notamment par un grand nombre d’investissements directs à l’étranger alors principale solution pour contrecarrer la chute des rendements européens à partir de 1850.
L’intégration financière au 19ème siècle a atteint des records jamais égalés, puisque son ratio-estimateur a pu atteindre les 0.3 contre 0.9 en 1972 et 0.6 en 1987 (Pour information, ce ratio est d’autant plus petit que l’intégration est importante).
Pourtant, malgré une intégration financière importante, les risques financiers étaient à l’époque bien moins importants qu’aujourd’hui, le système d’étalon or qui en fixant les parités des monnaies donnait une certaine crédibilité et stabilité monétaire et financière.
En guise de conclusion
Ce petit rappel historique ne nous semble pas inutile aux vues des débats qui s’agitent autour de la question de la mondialisation et de la globalisation financière.
En voici les conclusions :
La mondialisation n’est en aucun cas un phénomène irréversible, le retour au protectionnisme dans les années 1930 en est l’illustration même,
Pas de domination de l’économique sur le politique puisqu’on observe Etat « postmercantile » soucieux de maintenir un contrôle, voire même guider « les forces de marché » ,
Enfin, si elle jette certaines bases de la mondialisation contemporaine, cette « première mondialisation » n’en est pour autant pas la sœur jumelle. Elle semble en effet bien plus se caractériser par une internationalisation classique des économies, le principe national demeurant « la base de la structuration de l’économie-monde. » (p399)
mondialisation, intervention de l’Etat, globalisation économique
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Économie, société et environnement : des éléments de réflexion pour une société durable
Livre
NOREL Philippe, L’invention du marché, une histoire économique de la mondialisation, Paris : Editions du Seuil, février 2004
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