Définition, acteurs, exemples et propositions pour le développement des finances solidaires
Pauline GROSSO, Rosemary GOMES
04 / 2003
Concept
Les finances solidaires s’entendent comme un système financier conçu pour apporter, au travers de structures et d’outils spécialisés, des financements à des projets générateurs de développement économique durable et d’intégration sociale.
En France, les finances solidaires sont apparues au début des années 80 pour apporter :
des moyens financiers à la création de petites activités économiques, considérée comme une manière de lutter contre la montée croissante du chômage.
une possibilité aux citoyens de s’engager concrètement dans la construction d’une société économiquement plus juste et plus transparente en leur offrant des alternatives de placement de leur argent au travers de l’épargne solidaire.
À la différence des institutions financières solidaires du Sud, les IMFs (Institutions de Micro-Finance) en France génèrent, par leurs interventions, un lien entre épargnants (ayant les moyens financiers) et emprunteurs (n’ayant pas de moyens financiers) en donnant un caractère éthique à leur épargne. Le lien social se crée entre les populations ayant les capacités de financement (plus aisées) et celles qui sont exclues des circuits traditionnels (plus pauvres).
Les institutions financières solidaires interviennent dans une logique d’échange et sur des bases économiques ; il s’agit de financements accordés à des activités économiques qui devront être restitués et non d’action sociale à base de don. Les premiers acteurs sont apparus dès le début sous des formes très variées :
des clubs de personnes (au statut d’indivision) soucieux d’autogérer leur épargne pour la placer dans la création d’entreprise (les clubs Cigales)
des associations se spécialisant sur le financement de micro-entreprises ou d’entreprises d’insertion, au travers de partenariats bancaires (Adie, France Active)
des sociétés de capital risque utilisant une manière originale de financement : l’apport en capital en devenant associé de l’entreprise financée
des sociétés financières, sortes de mini banques alternatives. On en compte une quinzaine regroupés dans le réseau Finansol.
Les institutions financières solidaires ont une approche spécifique de leur public à la fois dans le type de financement apporté (financements de faible montant, selon des modalités adaptées aux besoins) et dans l’accueil, l’accompagnement et le suivi des projets financés (écoute, formation, parrainage). Elles remplissent une fonction qui n’est pas assumée par les acteurs financiers classiques mal outillés ou motivés pour servir ce type de public. Elles ont un rôle très important, non seulement par les financements qu’elles apportent, mais aussi par l’effet de levier qu’elles permettent ; leur intervention est souvent l’élément déclenchant d’un processus d’insertion dans l’économie classique, le sas d’entrée dans le système financier.
Leurs ressources sont hybrides. Elles touchent des ressources d’activités, car il s’agit bien d’activité économique (intérêts perçus sur les prêts, dividendes et plus-values des investissements réalisés), mais nécessairement aussi des ressources non remboursables (subventions publiques ou dons privés) et des ressources bon marché (partenariat avec des banques, refinancement bancaire et épargne solidaire). Cette dernière est collectée au travers de produits financiers (comptes à terme, contrats d’assurance vie, FCP, SICAV, parts dans le capital de sociétés de gestion ou de garantie ou de capital-risque, participation à des indivisions…) qui permettent de drainer des fonds pour le financement d’activités économiques solidaires au travers de l’utilisation directe faite des encours et/ou des dons générés par le partage des revenus qu’ils dégagent et qui est donc de ce fait par nature une épargne sous rémunérée par rapport au marché. Même si elle ne représente qu’une partie relativement faible des ressources de certaines institutions financières solidaires, l’épargne solidaire est symboliquement très importante. En effet, elle crée une véritable chaîne entre les épargnants, les institutions et les projets financés. Elle permet en outre aux citoyens d’avoir une alternative dans le choix de leurs placements. Ils ont ainsi la possibilité de prendre en compte des critères différents et de s’assurer que leur épargne aura un impact positif sur la société.
Aujourd’hui en France, les finances solidaires sont encore relativement confidentielles. Leur notoriété est assez faible. Mais il s’agit d’un secteur récent. Les premiers acteurs sont apparus il y a moins de 20 ans. Pourtant, les 27 produits d’épargne solidaire existants rassemblent tout de même 260 millions d’euros. Les quinze institutions regroupées dans Finansol ont financé 7 000 projets. Ces chiffres progressent rapidement, puisqu’ils ont plus que doublé en cinq ans. La croissance est actuellement de l’ordre de 25 % par an.
Acteurs : qui pratique les finances solidaires en France ?
La plupart des acteurs des finances solidaires sont réunis au sein du collectif Finansol (Finance et Solidarité). On peut les classer en différentes catégories :
Des institutions financières solidaires, c’est à dire les acteurs de terrain directement au contact des populations bénéficiaires : Adie, Autonomie et Solidarité, Caisse Solidaire Nord-Pas de Calais, Cigales, Cofides Nord Sud, France Active, Garrigue, Habitat et Humanisme, Ides, IéS, La Nef, Love Money pour l’Emploi, OikoCredit, Racines, Sidi, Sifa.
Des établissements financiers engagés dans une démarche de solidarité, c’est-à-dire des acteurs du système financier classique qui se sont intéressés aux finances solidaires, en particulier à la collecte d’épargne solidaire : CDC IXIS Asset Management / Caisse des dépôts et consignations, Caisse d’Epargne, Crédit Coopératif, Crédit Mutuel.
Des institutions et personnalités qualifiées qui soutiennent les actions de finances solidaires : CCFD, Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme, Fondation Macif, Claude Alphandery, Pierre Courtoux, Benoît Granger, Nicole Reille et Henri Rouillé d’Orfeuil.
On a parlé ci-dessus essentiellement des acteurs français qui ont une expertise dans l’apport de financements à des projets solidaires situé sur le territoire français.
Il existe également une série d’acteurs spécialisés sur la problèmatique des finances solidaires dans les pays du Sud. On citera plus particulièrement le CIDR, l’IRAM, le GRET, le CIRAD (réunis dans le réseau CERISE), la Cofides Nord-Sud, OikoCredit, la SIDI (membres de Finansol), Peuples Solidaires... Certains d’entre eux se retrouvent dans le collectif des ONG françaises, Coordination Sud.
Illustrations de pratiques de finances solidaires en France
La Nef
Il s’agit d’une petite banque alternative (régie par la loi bancaire) qui collecte une épargne citoyenne à la fois sous forme de dépots à terme et en ouvrant son capital aux souscripteurs solidaires. Elle est spécialisée dans le financement de projets solidaires, environnementaux, culturels... Quelques chiffres significatifs pour l’année 2001 : 5 755 sociétaires coopératifs détiennent le capital de la Nef, dans le respect du principe coopératif "un homme = une voix" (dont 949 nouveaux sociétaires qui ont rejoint la Nef au cours de l’année 2001). L’ensemble de l’épargne collectée représente, capital compris, 55 millions d’euros. 83 projets ont été financés en 2001 pour un total de crédits mis en place de 2,9 millions d’euros. 146 emplois directs ont été créés.
Les clubs Cigales
Les clubs CIGALES (Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire) sont des petites structures de capital-risque. Chaque club mobilise l’épargne de ses 5 à 20 membres au service de la création et du développement d’entreprises. Chaque club finance 0 à 3 entreprises en moyenne par an. Les CIGALES soutiennent en priorité des entreprises ayant un caractère d’utilité sociale, culturel ou écologique qui contribuent au développement durable. En 2001, pour l’ensemble des 105 clubs, 240 335 euros ont été investis dans 68 entreprises contribuant ainsi à la création ou au maintien de 126 emplois. Plusieurs clubs peuvent investir dans une même entreprise.
Propositions de travail et demandes de politiques publiques en matière de finances solidaires en France
La finance solidaire de part ses spécificités doit faire face à des surcoûts. Qui doit supporter ses surcoûts ? Il y a des coûts ponctuels (notamment liés au démarrage et aux premières années de fonctionnement), pour lesquels des financeurs extérieurs (subventions publiques et privées) ponctuels peuvent être trouvés.
Pour les coûts récurrents, il faut trouver des modes de financement pérenne. Une partie des coûts peut être pris en charge :
par les clients en organisant leur participation bénévole à certaines activités. En terme de taux d’intérêt, cela se traduit par un taux d’intérêt des prêts qui peut être légèrement supérieur au taux de marché (contrairement aux pays du Sud, on n’accepte pas l’idée en France que les surcoûts doivent être couverts par des taux d’intéret élevé perçu auprès des clients emprunteurs) et par un taux de rémunération de l’épargne inférieur au taux du marché (voir nul).
par les bailleurs publics ou privés. Si l’on considère que les liens sociaux et l’impact sur l’emploi, l’insertion des personnes et des territoires, la préservation de l’environnement... relèvent de l’intéret public, il devient légitime que l’Etat et les collectivités publiques contribuent au financement des finances solidaires. Des fonds spécifiques peuvent être créés pour cela.
A noter la nécessité d’être capable d’évaluer et garantir l’impact des finances solidaires pour justifier l’investissement d’argent public ou le « sacrifice financier » en terme d’intéret des clients, épargnants et emprunteurs.
Propositions
1. Renforcer les bases empiriques sur lesquelles fonder la démonstration de la valeur ajoutée de la finance solidaire : études d’impact sur le capital social couvrant les différentes familles d’approches méthodologiques, définition d’indicateurs de performance de renforcement du capital social et des liens sociaux, benchmarking de critères non financiers...
2. Analyser les coûts et les gains des IMFs qui renforcent le capital social.
3. Définir les champs d’application pertinents de la finance solidaire en terme d’intérêt public et d’utilité sociale.
4. Définir la finance solidaire en terme de compétences spécifiques, de métier, de règle de gestion et de fonctionnement... et traduire ces normes en règlementations professionnelles pour créer un nouveau type d’institution financière dans le cadre de la Loi bancaire.
5. Obtenir des politiques publiques nationales, partant de la reconnaissance que les finances solidaires sont spécifiques et utiles du point de vue de l’intéret général, qu’elles créent des mesures incitatives en leur faveur et accordent des avantages fiscaux aux épargnants solidaires.
6. Mettre en place un fonds national de soutien à la finance solidaire, alimenté par différentes sources publiques et privées et par les IMFs elles-même, destiné à financer les surcoûts de ce secteur.
système financier, finance solidaire, micro finance, système d’épargne et de crédit
, France
Économie solidaire au Brésil et en France
Livre
CHAO BEROFF Renée ; PRÉBOIS Antonin (coordonné par), Finance solidaire, Cahier de propositions CPP39 de l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire, Paris, nov. 2001, 20 p.
GROSSO Pauline, Compte-rendu de l’atelier Commerce équitable et finances solidaires, Forum Social Mondial III de janvier 2003, Rio, mars 2003, 3 p.
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