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La lutte pour le droit au logement : l’association Droit au Logement (DAL)

Actions collectives des mal-logés, sans-logis, expulsés sans relogement pour le droit à un logement décent pour tous

Edwige LENET

2006

L’association Droit au Logement (DAL)

Droit Au Logement est une association de lutte collective pour les mal-logés et les sans-logis, née en mai 1990 à la suite de l’expulsion de 48 ménages, essentiellement des familles avec enfants, vivant dans deux immeubles squattés du XXe arrondissement de Paris.

Après quatre mois de campement dans le square de la Place de la Réunion, les expulsés ont tous été relogés définitivement, grâce à leur détermination et au large soutien des habitants du quartier, des associations, des syndicats et des partis politiques de gauche et d’extrême gauche.

Cette action fondatrice très médiatique a été suivie de centaines d’autres en Ile de France et en province.

De nombreux comités se sont rapidement créés (Marseille, Lille, Saint-Denis, …) et se regroupent au sein d’une fédération nationale depuis en 1998.

Depuis sa création « Droit Au Logement Paris & Environs » compte plus de 5000 familles relogées et 4500 adhérents. Il s’agit essentiellement de familles (avec enfants) en situation régulière, victimes de discrimination dans l’accès au logement social en raison de leurs origines et/ou de leurs difficultés économiques et sociales.

Droit Au Logement considère que c’est par les actions collectives (manifestations, campements, occupations de bailleurs et d’administrations…) menées par les sans-logis et les mal-logés eux-mêmes qu’ils pourront obtenir satisfaction. Droit Au Logement s’apparente dans sa manière de fonctionner à un syndicat pour mal-logés et a pour objectifs et revendications :

  • D’unir et d’organiser les familles et les individus, mal-logés ou concernés par le problème du logement, pour la défense du droit à un logement décent pour tous.

  • L’arrêt des expulsions sans relogement.

  • Le relogement décent et définitif de toute famille et personne mal-logée ou sans-logis.

  • L’application de la Loi de Réquisition (Ordonnance de 1945) sur les logements vacants appartenant aux collectivités locales, à des administrations, à l’Etat, à des banques, à des compagnies d’assurance, à des gros propriétaires, à des professionnels de l’immobilier.

  • Plus généralement d’initier et organiser le soutien, l’information, la promotion d’action afin de remédier au problème des mal-logés et sans-logis, notamment par des propositions visant à améliorer la législation sur le logement.

Analyse de la situation : l’état du mal-logement en France

Le risque d’expulsion et la précarité du logement frappe désormais tous les ménages

Les expulsions sans relogement sont de plus en plus nombreuses et frappent désormais à toutes les portes. Les congés spéculatifs et les ventes à la découpe se multiplient dans les grandes villes, les loyers flambent. En douze ans (entre 1992 et 2004), les expulsions ont doublé. Les causes en sont diverses : des politiques publiques favorisant la spéculation et la flambée immobilière, l’insuffisance de logements sociaux, l’élimination des locations privées bon marché (Loi de 1948, garnis, chambres de bonne…), les démolitions de logements sociaux, la fragilisation des statuts des locataires, et des profits de plus en plus élevés réalisés par les bailleurs privés.

Au cours des trois dernières décennies, les réformes législatives successives ont limité le droit au maintien dans les lieux des locataires et favorisé la liberté de fixation des loyers dans le parc locatif privé. Au cours des vingt dernières années, les loyers ont doublé dans le parc locatif privé, et augmenté de 50% dans le parc locatif social. Conjugué à une progression de la précarité professionnelle, du chômage et de la pauvreté salariale, le renchérissement de l’immobilier et des loyers a alimenté la progression des expulsions locatives.

Environ 100 000 jugements d’expulsion, sont rendus par an dans les Tribunaux sans aucune considération pour les familles en situation de grande précarité, sans même accorder les délais jusqu’au relogement, mesure pourtant prévue par la Loi. Les foyers d’hébergement d’urgence et les hôtels sont pleins, les « marchands de sommeil » font fortune, et de plus en plus de personnes et de familles sont hébergées par des tiers. Les foyers de travailleurs migrants se dégradent dans l’indifférence générale. Les travailleurs sociaux ne peuvent plus répondre aux urgences des familles et des personnes à la rue, tout comme les associations de lutte des mal-logés, de précaires, de locataires, humanitaires…

La précarité du logement se traduit par le développement de l’errance urbaine familiale : hébergement à l’hôtel ou dans des foyers d’urgence, squats, camping, prémisses de bidonvilles… Le saturnisme infantile est traité par des mesures palliatives, et maintient les familles dans des situations de surpeuplement manifeste alors que le relogement décent et définitif reste la solution la plus efficace. Les personnes peuvent maintenant être évacuées sans solution de relogement décent et définitif. Le surpeuplement manifeste, témoignage direct mais peu visible de la crise du logement est massif et n’est pas pris en compte par les politiques publiques.

Le gouvernement accélère les réformes libérales alimentant la crise du logement

Tandis que 2 millions de ménages sont demandeurs de logement social en France, dont 400 000 en Ile-de-France, le gouvernement accélère les réformes libérales aggravant ainsi la crise du logement et fragilisant les locataires :

  • La suppression du « contingent préfectoral (1) »

  • la déréglementation des loyers dans les HLM prévues par la Loi de décentralisation de 2003,

  • l’accélération des démolitions HLM ainsi que la privatisation des Sociétés Anonymes de HLM (Loi Borloo de 2003),

  • La diminution des allocations logement, des aides à la construction et à la réhabilitation de logements sociaux (Loi de finance 2003 et 2004),

  • Le relèvement des plafonds de ressource a rendu éligibles à un logement social classique (dispositif Prêt Locatif Aidé) 75% des locataires.

Même dans les HLM, les locataires ne sont plus assurés de leur droit au maintien dans les lieux.

La production de logements sociaux reste faible : l’obligation de 20% prévue dans la Loi de Solidarité et Renouvellement Urbains a un effet de seuil dans les communes qui dépassent le quota. En dessous de ce taux, elles préfèrent payer une amende plutôt que construire.

Les bailleurs sociaux privilégient quant à eux la valorisation de leur patrimoine (démolitions des immeubles accueillant les ménages les plus modestes, réhabilitations lourdes…). L’augmentation des démolitions de logements HLM, les restructurations internes et les ventes mettent en péril l’offre de logements sociaux.

L’histoire d’une lutte : La lutte d’Aubervilliers

La commune d’Aubervilliers se situe dans la banlieue nord-est, en Seine-Saint-Denis, et dispose de 40 % de logements sociaux

Historique de la lutte :

Printemps 2004

Dans l’attente de leur démolition, deux immeubles de logements sociaux à bon marché de l’Office Public de HLM de la mairie d’Aubervilliers (OPHLM) ont été laissés vacants plusieurs mois durant. Au printemps 2004, quelques dizaines de familles en errance urbaine, pour certaines depuis de nombreuses années, se sont installées dans l’une d’elles.

Très rapidement, la municipalité, via son OPHLM, assigne les familles au Tribunal en vue de leur expulsion. Les familles contactent l’association Droit Au Logement pour une aide juridique et un soutien dans leur lutte pour l’accès à un logement décent et définitif.

Automne 2004

La municipalité n’obtenant pas de jugement d’expulsion malgré des pressions sur la préfecture propose aux familles de s’installer dans le deuxième immeuble, afin de démolir rapidement la première barre. Les familles acceptent faute d’autres solutions.

Hiver 2004

Mais le répit est de courte durée puisqu’en décembre 2004, la municipalité décide d’assigner une nouvelle fois les familles au Tribunal pour obtenir un jugement d’expulsion.

En février 2005, le juge du Tribunal de Grande Instance de Bobigny autorise l’expulsion  (2), mais la trêve hivernale protège les familles jusqu’au 15 mars.

A la demande des familles, le DAL demande l’organisation d’une rencontre avec les pouvoirs publics pour éviter une expulsion sans relogement. Cette demande reste sans réponse.

Printemps 2005

Fin mai, la quarantaine de familles parmi lesquelles figurent de très nombreux enfants s’inquiètent des pressions exercées par la municipalité et la police. En effet, des agents de l’OPHLM d’Aubervilliers tentent à plusieurs reprises de couper l’électricité et l’eau, mais face à la mobilisation des familles, ils échouent. La police se rend de plus en plus fréquemment dans l’immeuble pour prévenir les familles d’une expulsion imminente… Faute de solution de relogement les familles se maintiennent dans les lieux.

Le 2 juin 2005, après de nombreux rappels auprès de la préfecture et de la mairie pour que soit organisée une rencontre, les familles (avec le soutien de DAL) organisent un rassemblement devant la sous-préfecture de Saint-Denis, afin de demander un sursis à l’expulsion et l’organisation d’une rencontre. Après deux heures de rassemblement, un rendez-vous est convenu avec les délégués des familles et les militants du DAL pour le 14 juin.

Mais à la « surprise » générale, le 7 juin à l’aube, les forces de l’ordre pénètrent dans l’immeuble pour expulser les familles. Trois nuitées d’hôtel éparpillées dans le département et au-delà leurs sont proposées mais en l’absence de perspectives de relogement après ces nuitées, les familles refusent en bloc cette proposition et décident de rester à proximité de l’immeuble dans l’attente de solution de relogement.

C’est alors qu’une lutte qui durera plus de quatre mois commence…

Les familles très déterminées et solidaires décident de s’installer sur une petite place à 150 mètres de l’immeuble du chemin des Prés-Clos. Durant plus d’un mois, les forces de l’ordre exercent une pression sans merci sur les familles pour les empêcher d’installer des bâches et des couvertures. Mais décidées à ne pas céder à ces pressions, les familles résistent et vivent dans des conditions d’une extrême précarité : sans sanitaires, sans eaux ni électricité, sans couvertures ni bâches.

Avec le soutien du DAL, les familles organisent de nombreux rassemblements devant la mairie et la sous-préfecture pour obtenir un rendez-vous… Le 4 juillet une rencontre avec les délégués des familles et du DAL est enfin organisée et débouche sur l’autorisation d’installer des tentes et une nouvelle date de réunion !

Deux jours plus tard, Médecins du Monde livre une vingtaine de grandes tentes aux familles.

Jusqu’au début du mois d’août, des réunions hebdomadaires associant la municipalité, la sous-préfecture de Saint-Denis, les délégués des familles et du DAL sont organisées.

Petit à petit des engagements de relogement sont pris par les pouvoirs publics, mais en l’absence de solution d’hébergement, les familles restent dans leur campement de fortune qui ressemble chaque jour un peu plus à un bidonville.

Mais l’actualité dramatique du mois d’août où plus de trente personnes dont la majorité d’enfants périssent dans deux dramatiques incendies de « taudis » de la Capitale, fait du mal-logement l’actualité médiatique et politique de la rentrée de septembre.

Il devient très difficile à la municipalité communiste de laisser ces familles sans-logis sur un coin de trottoir, d’autant plus que la situation d’Aubervilliers est de plus en plus médiatisée.

Au cours de la réunion de septembre, la municipalité annonce la « mise à disposition » d’un étage du Foyer de Jeunes Travailleurs de la ville en attendant que les solutions de relogement décent et définitif arrivent. Mais elle exige qu’un protocole d’accord soit signé entre toutes les parties c’est-à-dire la préfecture de la Seine-Saint-Denis, la mairie d’Aubervilliers, le Foyer de Jeunes Travailleurs, l’OPHLM d’Aubervilliers, les délégués des familles et le DAL.

Le protocole ne sera signé que le 10 octobre ! Le campement est alors levé et les familles s’installent pour quelques mois dans le Foyer de Jeunes Travailleurs de la ville.

Le contenu du protocole :

Il prend en compte l’ensemble des ménages expulsés (soit une quarantaine) du chemin des Prés-Clos qui ont lutté pour leur relogement décent et définitif.

Les ménages en situation régulière seront relogés de façon décente et définitive : 11 par la préfecture et 5 par la mairie.

Les ménages dont l’un des membres n’a pas de papiers seront relogés par la préfecture dès lors qu’il sera régularisé.

Les ménages (familles et célibataires) qui n’ont pas de papiers et qui ne verront pas leur situation administrative régularisée au 2 janvier 2006 seront orientés vers des structures d’hébergement pérennes. Pour ceux qui seront régularisés, ils seront relogés par la préfecture.

Les personnes en situation irrégulière seront convoquées par la préfecture pour l’étude de leur dossier.

Il aura donc fallu plus de huit mois de lutte dans des conditions d’une extrême précarité pour que les pouvoirs publics se décident enfin à trouver une solution décente, durable et globale pour ces familles. Au 23 novembre, six familles sont entrées dans leur nouveau logement et dix familles ont reçu des propositions de logement et sont dans l’attente d’une attribution. 10 personnes ont été convoquées à la préfecture pour l’étude de leur dossier administratif. Les deux immeubles de logements sociaux ont quant à elles été démolies et prochainement Bouygues Immobilier construira à la place des logements en accession à la propriété…

1Dans l’organisation administrative actuelle de la France, le préfet est le magistrat chargé de l’administration générale d’un département, représentant de l’Etat au niveau local, nommé par le Ministre de l’intérieur, il dispose d’un contingent de logements. La Loi de décentralisation de 2003 prévoit que ce contingent est directement géré par le maire.
2Lorsqu’un Juge autorise une expulsion, le propriétaire du logement doit alors demander au Préfet d’octroyer le concours de la force publique. Seule la police peut procéder à l’expulsion.

DAL (Droit Au Logement) - 24 rue de la banque, 75002 Paris, FRANCE - Tél : 01 42 78 22 00 - Fax : 01 42 78 22 11 - France - www.globenet.org/dal, http://www.dalfr.org - dal (@) globenet.org

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