La population de Votkinsk en Oudmourtie (République de la Fédération de Russie) se mobilise contre la construction programmée dans leur ville d’une usine hautement toxique.
11 / 2002
Votkinsk, "petite" (à l’échelle de la Russie) ville de 100 000 habitants est désignée en 1998 par les autorités fédérales russes pour accueillir la construction d’une usine de destruction par combustion de propulseurs de missile. Cette usine entre dans le cadre d’accords russo-américains de désarmement, nommés programme Nunn-Lugar de "coopération pour la réduction de la menace". Ce programme a, entre autres, pour objectif de réduire les armements stratégiques, et prévoit l’attribution à la Russie d’une aide financière pour procéder à la suppression d’un certain nombre d’armements. La ville de Votkinsk est choisie comme site de construction de cette nouvelle usine, parce qu’elle accueillait déjà à l’époque soviétique un complexe de construction de propulseurs de missiles. Le groupe militaro-industriel américain Lockheed Martin Coorporation signe alors un contrat avec le Ministère américain de la défense pour piloter la construction et la gestion de l’usine.
En 1999, lorsque le projet de construction est rendu publique, un petit groupe d’habitants de Votkinsk, fonde une association "l’Union pour la sécurité chimique", pour mieux comprendre les conséquences de l’implantation d’un tel complexe industriel. Il s’avère très vite qu’une usine semblable devait tout d’abord être contruite aux Etats-Unis, mais que le département d’Etat à l’environnement a finalement refusé ce projet en raison de risques écologiques. De plus, la technologie de destruction par combustion des propulseurs a été testée aux Etats-Unis sur des propulseurs plus petits, et avec un autre type de carburant que celui qui devra être utilisé en Russie. De même, les tests s’étant déroulés dans le désert californien, les conséquences en termes écologiques (gaz dégagés notamment) n’ont été que très peu analysées. Enfin, cette expérimentation avait permis la destruction de 18 missiles en 5 ans, alors que les responsables du projet de Votkinsk prévoit la destruction de 916 propulseurs et 410 corps de missiles en 3 ans. Pour les membres de l’Union pour la sécurité chimique, les Etats-Unis éloignent de leur territoire, en en finançant la construction en Russie, d’une usine trop polluante, mais surtout dissimulent aux populations concernées les véritables risques encourus.
Après plusieurs manifestations et réunions publiques destinées à informer les habitants du danger de la construction d’une telle usine, l’Union pour la sécurité chimique décide d’organiser un référendum parmi la population. L’administration de la ville participe à son organisation, et alors que près de la moitié des habitants participent le 17 janvier 1999 au référendum, près de 94 pour cent se prononcent contre l’implantation de l’usine à 4 kilomètres de Votkinsk. Pourtant, la Cour Suprême d’Oudmourtie déclare le référendum illégal, ce qui conduit l’Union pour la sécurité chimique de faire plusieurs procédures d’appel, au niveau fédéral cette fois. Les campagnes d’informations dans les médias et auprès de la population continuent, mais le nouveau président de l’Oudmourte élu en octobre 2000, malgré ses promesses électorales, renonce à toute consultation populaire.
L’Union pour la sécurité chimique décide alors de radicaliser ses actions et fait appel à un mouvement russe de défense de l’environnement, les "gardiens de l’arc en ciel", connu pour ses actions de protestation radicales. Venant de toute la Russie et même de l’étranger, ses militants décident de tenir un "camp" de protestation en juin et juillet 2001 sur la route entre Votkinsk et le site de construction de l’usine. Parmi la centaine de présents, près des deux tiers sont des habitants de Votkinsk, et l’administration de la ville soutient cette action qui alterne réunions publiques, blocages des routes, des administrations et des bureaux locaux de Lockheed Martin.
A la suite de ces actions, le gouvernement de l’Oudmourtie annonce en 2002 l’arrêt de la construction, mais les autorités fédérales contestent cette décision. Parallèlement, l’administration de Votkinsk change en avril 2002, et les membres de l’Union pour la sécurité chimique commencent à être persécutés par les autorités. Certains sont licenciés, tous mis sous écoute téléphonique et sommés de cesser leurs actions de protestation. Parallèlement, les articles de presse relatifs au sujet paraissent sous contrôle du pouvoir. Finalement, la construction de l’usine recommence discrètement. Les autorités de la République prévoient de tenir au printemps 2003 un autre référendum, en incluant cette fois ci les populations des villages environnants de Votskink, qu’il est beaucoup plus facile de manipuler. Le résultat du référendum risque alors de contredire les résultats du précédent.
Ayant épuisé tous les recours en Russie, les militants s’apprêtent à porter plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg pour obtenir gain de cause.
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, Rusia
Alors que la société civile dans les deux grandes villes russes, Moscou et Saint Petersbourg, est relativement structurée, soutenue, voire formée et financée par des organisations européennes et américaines, il en va tout autrement dans les régions russes, d’autant plus si elles sont très éloignées géographiquement du centre. En région, les structures du pouvoir local, commandées par Moscou ou aux mains des "oligarques" locaux ne laissent que peu de place et de parole à la population. A cet égard, la mobilisation populaire de Votkinsk en Oudmourtie est quelque peu inhabituelle, comme l’ont été les mouvements de protestation des mineurs dans certaines villes sibériennes. L’appel au mouvement écologique anarchiste moscovite leur a permis de médiatiser l’affaire en dehors de la république d’Oudmourtie, et auprès d’autres mouvements européens. Cette action est la preuve que même en région, une partie de la population n’est plus prête à accepter les ordres du pouvoir sans les discuter, et se mobilise. Les méthodes des autorités russes restent quant à elles dignes d’une autre époque, et veulent faire taire à tout prix toute contestation populaire.
Cette fiche a été réalisée lors du Forum Social Européen, rassemblement anti-mondialiste qui s’est tenu à Florence, en Italie, du 6 au 10 novembre 2002. Ce forum avait réuni plusieurs délégations d’acteurs sociaux (associations, syndicats, partis et mouvements politiques) de différents pays d’Europe.
Entrevista