Georges THILL, Jean-Paul LEONIS
10 / 2001
Ce que l’on appelle l’urbanisation prend des proportions gigantesques en Algérie comme dans la majorité des pays du Sud. La ruralisation de la ville confère à l’espace urbain un visage nouveau mêlant modernité et tradition. On oublie souvent ce caractère rural qui est paradoxal pour la ville. Mais il faut savoir que, dans le Sud, celles qui sauvent les villes commes les sociétés, ce sont les femmes. Or, elles sont souvent cantonnées dans la sphère domestique et dans le milieu traditionnel et continuent à jouer leur rôle de gardienne des traditions, en en subissant souvent même les contraintes. Elles devront toutefois gagner leur place dans la cité en occupant ce qu’elles savent faire: le terrain social et économique.
Quand elles passent à l’université, institution qui leur ouvrira les portes de leur émancipation, et ensuite comme intervenantes actives dans le monde associatif, les femmes peuvent au maximum exprimer leur créativité et leur esprit d’initiative dans le cadre de l’entrepreneuriat. C’est par l’entrepreneuriat qu’elles participent de fait à la vie de la cité.
Les villes algériennes ont été marquées très vite par la dualité des sociétés : celle des musulmans (ou indigènes) et celle des colons (terme qui englobe aussi bien les propriétaires fonciers que les autres catégorie françaises ou étrangères). La ville toutefois possédait ses règles d’organisation propres. Les quartiers arabes côtoyaient ceux où vivaient les Européens, mais marquaient leurs spécificités en restant attachés à leur culture tout en se soumettant aux règles d’ordre et de salubrité publique qu’impose une bonne gestion de la ville. Aujourd’hui, une "invasion de la campagne" démantèle cette organisation relativement harmonieuse pour imprimer un nouveau cachet au paysage urbain. Ainsi, l’adaptation à l’habitat urbain ne va pas sans difficulté, notamment pour les femmes, chargées d’assurer la gestion de la vie familiale dans un espace restreint et très peu conforme au mode de vie traditionnel. A cela s’ajoute un manque de civisme qui constitue une autre manifestation de la ruralisation de la ville. Les vagues consécutives de migration ont empêché les nouveaux habitants des villes d’acquérir un esprit propre à la cité. Ainsi assiste-t-on à l’émergence d’une multitude de microcosmes juxtaposés et dominés par une logique campagnarde qui fait peu de cas de l’intérêt général et de la chose publique. Heureusement, cette ruralisation de la ville se trouve compensée par une urbanisation des campagnes. Les orientations politiques ont favorisé un développement harmonieux des différentes régions de l’Algérie: création d’infrastructures entrainant le désenclavement et le développement des campagnes (électrification, création de routes, d’écoles, etc.). A cela s’ajoute une homogénéisation des modes de vie renforcée par l’influence de la radio et de la télévision.
La ville garde cependant sa spécificité du fait qu’elle est à bien des égards un creuset de créativité où tradition et modernité se fondent. Ainsi, comme espace où se côtoient et se superposent la sécurité du groupe et la liberté de l’individu, la ville connaît aujourd’hui des constructions originales, comme celle de la "Houmma", mais elle favorise aussi l’émergence et le banissement des particularités et tout spécialement de celles des femmes. C’est la prépondérance du groupe et la vie de la "Houmma" qui constituent l’exemple le plus frappant de la perpétuation de la vie traditionnelle. On assiste à une reconstitution de la vie villageoise dans la ville. C’est le quartier, ou la "Houmma", qui a fonction de regroupement selon des règles traditionnelles admises par tous: le respect du voisin, et plus largement de l’ensemble des habitants du quartier. Ce respect renvoie à la morale traditionnelle de pudeur, de droiture et de probité. Sur chaque membre de cette petite communauté pèse une obligation de solidarité et d’entraide (en quelque sorte la famille au sens tribal est ainsi reconstituée).
L’espace social est partagé entre le monde appartenant aux hommes et celui propre aux femmes. Les hommes se retrouvent à la mosquée, au square, au café, ou simplement dans un endroit propice aux réunions. Celles-ci ont une importance essentielle pour l’intégration des habitants, d’autant mieux acceptée, mieux contrôlée et mieux soutenue qu’ils y participent. La "Houmma" constitue le creuset produisant une nouvelle culture hybride où nos comportements traditionnels se mêlent au mode de vie qu’induit la vie citadine. Quant à l’espace des femmes, ce sont d’abord des maisons où elles se réunissent l’après-midi autour d’un café ou d’un thé. La ville a élargi toutefois la simple domesticité de leur vie sociale, car la "Houmma" constitue l’endroit privilégié des rencontres rappelant étrangement la place et les fonctions de la fontaine dans les villages (aller chercher de l’eau était et continue d’être pour les femmes, au-delà d’une corvée, un moyen d’échapper aux contraintes domestiques et de profiter de moments de liberté).
C’est à travers le mouvement associatif que les femmes échappent à la tutelle des hommes (frère, père, mari) en prenant en charge les problèmes nouveaux générés par le phénomène d’urbanisation.
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, Argelia, Africa
Si l’on considère l’importance du rôle des communautés locales dans la ville, pour un développement durable, on ne peut oublier, malgré l’urbanisation galopante des espaces, qu’il faut transcender le clivage ruralité/urbanité. On se trouve face à un paysage rurbain en ville où tradition et modernité se mêlent pour constituer un creuset permettant l’hybridation des cultures si nécessaire en ville. L’épanouissement des individualités féminines est un stimulant important, à condition qu’il s’accompagne de regroupements associatifs pour permettre aux femmes de devenir des actrices à part entière (au-delà des simples secteurs de la santé et de l’éducation, largement investis par elles) d’un développement citadin durable.
Actas de coloquio, encuentro, seminario,…
Leila Boussaid, PRELUDE, Les femmes dans la cité, Georges Thill, 2001 (Belgique), 41-43, p.251-260
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