Georges THILL, Jean-Paul LEONIS
10 / 2001
L’expérience des villes de Dakar et de Porto Alegre est très intéressante si l’on veut comprendre le couple mondialisation/métropolisation, non seulement pour le Sud mais aussi pour le Nord : les situations et les problèmes qu’on rencontre au Sud s’inscrivent le plus souvent comme un reflet dans un miroir, un miroir qui nous renvoie, de manière parfois extrême et souvent déformée, c’est le reflet de nos propres situations et de nos propres problèmes, comme de nos intentions dans les interventions de politique publique que nous organisons, parfois de manière expérimentale. A cet égard les projets pilote menés dans les villes sont instructifs pour comprendre les contraintes mais aussi les dynamiques socio-économiques dans le cadre d’une urbanisation durable.
S’agissant des pays en développement, à la fin des années 1960, l’aide publique, bilatérale et multilatérale, fournie par les pays industrialisés, devait faire entrer les pays dits sous-développés dans le jeu d’une nouvelle mondialisation/métropolisation à l’oeuvre dans les pays dits développés. La Banque mondiale joue un rôle déterminant dans ce processus. Depuis les années 1970, la Banque mondiale joue d’ailleurs une position hégémonique dans le développement urbain.
Hégémonie qui se manifeste à deux niveaux. D’abord celui de la doctrine fondée sur la recherche de l’efficacité maximum, comprise de manière très classique, comme la mobilisation d’un minimum de ressources financières, techniques et humaines, pour un maximum de résultats. La recherche d’une telle efficacité implique en général une accélération du processus de mondialisation et corrélativement une augmentation du taux d’urbanisation dans tous les pays, les grandes villes devenant le lieu espéré de la modernité et accueillant les facteurs les plus utiles au développement.
Ensuite, au niveau de la mise en oeuvre de la doctrine, la Banque mondiale, si on prend par exemple le cas de Dakar, finance depuis 1970 un gros projet de logement à coût réduit (11.000 parcelles assainies) et destinés à accueillir entre autres la population chassée des bidonvilles intra-urbains. C’est aussi l’époque où, pendant une courte période, de 1970 à 1975, notamment la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, apporte un appui à des projets complètement extravertis, mais tous localisés dans la région de Dakar et destinés à attirer des investisseurs privés étrangers: zones franches industrielles, projets touristiques démesurés, projets d’agriculture maraîchère industrielle, projet de raffinerie géante. La coopération française et le Fonds européen de développement (FED) apportent des appuis à l’amélioration des grosses infrastructures.
Au plan de la gouvernance, l’Etat doit être modernisé, donc réformé, donc ajusté. Les programmes d’ajustement structurel vont jusqu’à mobiliser 30 pour cent des prêts et crédits de la Banque mondiale. La décentralisation va devenir une expression opérationnelle majeure qui va permettre la privatisation des services urbains, la mise en place ou le renforcement d’un cadre institutionnel de gestion urbaine, principalement budgétaire, et c’est ainsi, qu’à l’instar de Dakar, on privilégiera les grandes métropoles économiques susceptibles d’attirer les investisseurs. Effets sociaux : une partie seulement de ces métropoles profite de la modernisation effrénée de la ville, de ses activités et de ses infrastructures. C’est pourquoi ces métropoles présentent aujourd’hui une série de figure de crise à répétition sur une planète mondialisée.
Quelle alternative ? Le cas de Porto Alegre, dont tout le monde a entendu parler de la gestion participative du budget municipal, représente une alternative par la gestion démocratique de la cité. On se trouve peut-être en présence d’une forme de dissidence sociale par rapport à l’Etat (la société contre le néo-libéralisme sauvage). Reste que l’expérience de Porto Alegre a pu se déployer grâce à la volonté politique des maires qui se sont succédés depuis 1989, juste après le vote de la nouvelle constitution démocratique, qui contenait pour les villes de plus de 20.000 habitants, l’obligation d’élaborer et d’adopter une loi municipale fondamentale dans un contexte de début de décentralisation. L’expérience a aussi pu bénéficier des réflexions menées depuis 1988 par un important contingent d’intellectuels brésiliens, connu sous le nom de "Mouvement pour la réforme urbaine".
C’est dire, en conclusion, que, si la ville est instrumentalisée, la métropolisation est devenue l’outil opérationnel imaginé par les marchés, relayés par les institutions d’aide au développement pour renforcer et accélérer le processus de globalisation (économique, financière, technologique). Porto Alegre montre, un peu comme une utopie, un chemin plus viable pour un développement urbain humain durable en valorisant la société civile contre la forme institutionnelle du néo-libéralisme, la "governance", en donnant une importance capitale à la ville divisée en secteurs regroupant un certain nombre de quartiers où des assemblées générales permettent de définir des priorités d’investissements en fonction de l’expression de la demande et élisent des délégués qui, au niveau du secteur, font la synthèse des priorités exprimées en attribuant des notes en fonction des critères d’évaluation retenus l’année précédente grâce au Conseil du Budget participatif qui travaille avec la Mairie et notamment avec son cabinet de planification à établir des propositions budgétaires soumises au vote du Conseil municipal. On trouve ici une pratique d’apprentissage d’une gestion urbaine négociée démocratiquement et d’une solidarité élargie qui peut aussi résulter de l’acte de participation.
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, Senegal, Brasil, Dakar, Porto Alegre
Expériences de démocratie participative
On ne peut aujourd’hui s’empêcher de prendre au sérieux le contexte de la globalisation, qui est une globalisation tronquée, cassant les processus d’organisation et de communautarisation des villes. Par les deux exemples ici présentés, on découvre à la fois quel poids représente, pour les habitants de la ville (Dakar), une instrumentalisation guidée par la mondialisation et les nouvelles métropolisations qui en découlent, mais aussi à quel point (Porto Alegre) une gestion démocratique urbaine, par la participation des populations, est un chemin possible pour une urbanisation humaine viable et l’élaboration de dynamiques socio-économiques équitables, écologiquement viables, où la co-expertise scientifique et participative joue un rôle central.
Actas de coloquio, encuentro, seminario,…
Annick Osmont, PRELUDE, Les conséquences de la mondialisation sur les politiques urbaines et sur la gestion urbaine, Georges Thill, 2001 (Belgique), 41-43, p.123-132
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