Ce livre relate l’itinéraire du célèbre Virgulino Ferreira da Silva, alias Lampiao, personnage légendaire du Brésil. Pillard et assassin sans scrupules, à la tête d’une bande armée, il dévasta le Nordeste des années 1920 et 1930 jusqu’à inquiéter le pouvoir local, qui le poursuivit longtemps avant de l’abattre et d’exhiber sa tête sur la place publique.
Mais plus qu’un bandit de grand chemin, Lampiao est une figure mythique dont les méfaits ont empli les journaux de l’époque, ont inspiré de son vivant de nombreux poètes populaires et enflamment encore les esprits.
Comment devient-on un criminel sanguinaire et - surtout - un hors-la-loi de légende ? Si aucun autre n’a eu la renommée de Lampiao, c’est peut-être parce qu’il est le seul à avoir mis en scène son personnage.
Le jeune Virgulino serait issu d’une famille de paysans du Nordeste et aurait basculé dans le banditisme avec ses frères alors qu’il avait une quinzaine d’années, suite au meurtre de ses parents par des voisins. Il aurait vite pris le surnom de Lampiao "parce que le feu de son arme ne s’éteignait jamais" et illuminait la nuit comme un lampion. Une obscure histoire de bétail volé serait à l’origine de cette vendetta et de la nécessité pour les frères Ferreira de se faire justice eux-mêmes et de poursuivre les assassins. Du moins, c’est ce que raconte l’histoire, qui met ainsi les bandits en conformité avec les codes d’honneur qui régissaient la société de l’époque, pour qui tout crime de sang devait être vengé. Certains assurent que les voleurs auraient pris goût aux rapines, à un luxe ostentatoire et au pouvoir des armes, au point d’en oublier le prétexte initial. D’autres jugent qu’un retour à la légalité est devenu impossible après la brutalité des premiers actes commis sur les amis supposés des voisins assassins. Peu importe, l’objet de ce livre est moins de démêler le vrai du faux que d’observer comment prend corps la légende de Lampiao.
Meneur d’hommes, il rassemble autour de lui quelques aventuriers pour qui la société hiérarchisée de l’époque n’offre guère d’alternative au destin d’ouvrier sans terre. Il s’achète des complicités. Sa bande multiplie les attaques contres les fermes isolées, tuant les propriétaires et violant leurs femmes. Elle mène des incursions contre les bourgades de province, pillant les commerçants et incendiant leurs possessions. Très mobile, la troupe de Lampiao se joue des forces de police dépêchées contre elle. Elle s’attaque à des proies de plus en plus grosses, mettant à sac les petites villes. Amplement répercuté par la presse, le récit de ses exploits sanglants inquiète les cités nanties du littoral, qui voient dans le Nordeste une société arriérée dont la férocité pourrait un jour se déchainer contre elles. Mais pour les masses pauvres, ces agissements sont dignes d’intérêt, voire de sympathie.
Puis vient le temps de l’exhibition. Grâce au produit des vols et à la présence de plusieurs femmes parmi eux, les hommes de Lampiao se parent d’accoutrements extravagants, portant des étoffes fines et arborant des pièces d’or, inondés de parfums de prix et bardés d’accessoires inscrustés d’argent. Le buste serré par des cartouchières, le cou ceint d’un foulard de couleur vive, la tête couverte d’un chapeau au bords relevés et brodés, ils façonnent une image baroque et romanesque qui enflamme l’imagination populaire. Parvenus mêlant raffinement et barbarie, ils fascinent et inquiètent à la fois.
A cette théatralisation s’ajoute chez Lampiao un attrait certain pour la notoriété. Alors que toutes les polices de la région le recherchent, il accorde des entretiens à des journalistes et se laisse prendre en photo. Un film est tourné dans la clandestinité, qui montre les hors-la-loi dans des simulacres de combat ou dans des scènes de la vie quotidienne. Lampiao raconte ce qu’il veut bien dire de son histoire et des motifs qui l’ont conduit au crime, se défendant d’être un assassin sans foi ni loi et revendiquant son devoir moral de vengeance. Le fait que l’homme le plus recherché du pays puisse ainsi s’afficher ajoute à son prestige et couvre de ridicule les autorités publiques. La légende grandit : poètes et chansonniers s’emparent du personnage et immortalisent sa geste.
Les militaires échafaudent les plans les plus hardis pour attaquer Lampiao et celui-ci répond par voie de presse par des provocations. Mais il reste insaisissable. Des négociations sont alors engagées : Lampiao revendique un grade de capitaine en échange de sa reddition, Lampiao demande un partage de l’Etat du Pernambouc et sa nomination au poste de gouverneur, Lampiao exige l’amnistie pour ses hommes... Les autorités sont partagées entre le désir de mettre fin à la situation et l’impossibilité de céder à un tel chantage.
C’est probablement une banale trahison, et non pas l’armement sophistiqué engagé contre lui, qui eut raison de Lampiao. Le 28 juillet 1938, sa troupe est anéantie par une colonne de soldats près de la grotte d’Angico où elle avait trouvé un abri. Les victimes sont décapitées et leur têtes exposées avant d’être envoyées dans un institut d’anthropométrie, afin d’y déceler ce qui était supposé être le faciès typique des grands criminels.
Mais les efforts macabres déployés pour éviter toute contestation de la mort de Lampiao ne mettent pas fin à la légende. Plusieurs décennies après, ses descendants et ceux de ses compagnons organisent des commémorations, projettent de lui ériger une statue et d’attestent d’événements incertains. On tente d’en faire un héros populaire, porteur d’une identité régionale nordestine, garant de traditions rurales, symbole des luttes contre l’autorité et étendard d’une conscience paysanne naissante. Mais cette récupération efface l’ambivalence du personnage et lui attribue un message politique alors qu’il n’était porteur que de violence et de cruauté.
delincuencia, violencia, violencia social, sociedad tradicional, identidad cultural, sociología de la violencia
, Brasil
Tiré d’une thèse de doctorat, ce livre en possède les intérês et les limites. Intérêts, car l’enquête est fouillée et méticuleuse, le sens de certains évéments (comme la décapitation des corps) explicité par les courants de pensée de l’époque et l’histoire régionale. Limites, car il est difficile dans un ouvrage universitaire de restituer le souffle et le caractère épique d’une telle légende. Heureusement, les nombreux textes poétiques cités donnent un aperçu de son impact dans l’imaginaire populaire.
Libro
GRUNSPAN JASMIN, Elise, Lampiao, vies et morts d'un bandit brésilien, PUF, 2001 (FRANCE), 290 p.
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - Francia - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr