L’arbre qui crée la forêt... et la plante qui l’étouffe. -2e partie-
11 / 1993
Malmenée par les cultures et la sécheresse, la forêt a quasiment disparu dans le sud de la Côte d’ivoire. Une espèce à fleurs entrave aujourd’hui sa restauration.
Depuis 10 ans, Claudie Haxaire, chercheur à l’Université Paris-X et au LACITO (Laboratoire de langues et civilisations à tradition orale du CNRS), effectue des missions en Côte d’Ivoire, dans les villages gouros du sud de Zuénoula. Elle essaie de comprendre par quelles imbrications de phénomènes multiples se dégrade aujourd’hui leur milieu naturel. Situés dans une région de climat tropical humide (deux saisons sèches et deux saisons pluvieuses par an)ces villages gouros étaient autrefois entourés d’une avancée de forêt dense, la forêt de Zuénoula. Or 2800 à 3500 km² de forêt ont disparu chaque année durant les 35 dernières années! De cueilleurs-chasseurs et commerçants, les Gouros sont devenus, avec l’introduction des cultures de rente, planteurs de café et de cacao. Les arbres furent progressivement coupés pour créer de nouvelles parcelles à planter et les grandes sécheresse de 1983-4 ont brûlé presque tout ce qui restait. De nombreuses familles gouros ont abandonné café et cacao pour le coton, moins rentable et plus difficile à harmoniser avec les cultures vivrières, ou ont émigré. L’appauvrissement de cette région semble irrésistible: la forêt disparaît tandis que les feux de brousse progressent, n’étant plus stoppés par la végétation. A cela s’ajoute l’envahissement des champs par une espèce à fleurs, "Chromolaena odorata", baptisée "Sékou-Touré" par les Gouros pour qui elle est devenue la plante à abattre. Selon Laurent Gautier (chercheur au Conservatoire et jardin botanique de Genève), cette plante à fleurs lilas, de la famille des marguerites, originaire d’Amérique, arriva avec les Anglais dans les jardins indiens, puis se répandit en Asie et en Océanie et en quelques points d’Afrique à la moitié du 20e siècle. Signalée en Côte d’Ivoire pour la 1ère fois en 1952, elle envahit aujourd’hui pratiquement toute la zone forestière. Avec 1 milliard de graines/ha, elle forme une brousse de 2m de haut qui étouffe la végétation autochtone, raréfiant et menaçant à terme les nombreuses espèces utilisées par les populations locales (Igname sauvage, "Irvingia gabonensis" utilisé dans les sauces, "Mycroglossa pyrifolia" utilisé pour les soins aux nouveau-nés). De plus, les champs d’ignames nécessitent désormais 3 ou 4 désherbages/an, c’est à dire une présence constante. Problème complexe: "Chromolaena" et les feux s’entretiennent mutuellement, l’un favorisant l’autre chacun à son tour! Par contre, elle semble augmenter la stabilité et la fertilité des sols, ce qui n’est pas négligeable. Enfin, en Amérique, cette plante est relativement discrète. L. Gautier pense donc qu’il doit exister, en Amérique, un ou plusieurs insectes qui la modèrent. La lutte biologique constituerait donc le seul espoir pour freiner sa progression qui, si l’on n’y prend pas garde, pourrait à terme menacer toute l’Afrique intertropicale humide.
reforestación, bosque
, Costa de Marfil
Biodiversité : le vivant en mouvement
Voici encore un exemple qui montre que l’introduction des cultures de rente a bouleversé, et finalement anéanti un mode de vie équilibré puisqu’il ne reste plus qu’à cultiver du coton, avec la pollution chimique qu’il provoque ou émigrer. Quant à cette espèce à fleurs qui envahit tout, il faut souhaiter que l’on se donne rapidement les moyens de mener des études plus approfondies à la recherche des prédateurs naturels de cette plante, avant qu’il ne soit trop tard pour l’Afrique intertropicale humide.
Artículos y dossiers
VINCENT, Catherine in. LE MONDE, 1993/07/21 (France)