Invitation française et chinoise à une réflexion sur nos rapport à la nature
01 / 2000
Si, dans la civilisation chinoise, la nature précède la pensée et occupe une place décisive dans la poésie et la mythologie, l’Europe, elle, se bâtit sur les pierres en cherchant à domestiquer et contrôler le monde vivant. Yue Dai Yung, professeur de lettres chinoises à l’université de Pékin, et Anne Sauvagnargues, philosophe française, proposent dans ce recueil deux visions contrastées des rapports de l’Homme à la nature.
"Dans la province du Yunan, au Sud-Ouest de la Chine, les montagnes s’étendent à perte de vue...". Dès les premiers mots, le texte de Yue Dai Yun pose ses fondations. Fascinée par les paysages montagneux, éblouie par la beauté et la majesté des sommets, l’auteur trouve dans la nature des liens avec l’histoire et la littérature poétique de son pays. "Je me souviens toujours de ce moment où, penchée à la fenêtre, je contemplais le Mont aux Escargots". C’est que cette montagne-là a une histoire, celle d’une jeune chinoise séduite par le prince-serpent, qui vécu heureuse avec lui mais fut condamnée à l’errance à cause de la jalousie de ses soeurs. Elle trouva le repos quand un dieu la transforma en montagne. Et ce n’est pas là un sort exceptionnel : dans la tradition chinoise, nombreux sont les hommes et les femmes qui deviennent cimes ou pierres, sources ou fleuves. Contempler le paysage revient ainsi à lire leur histoire.
Comme tous les enfants, Yue Dai Yun s’est posé cette question : qu’y a-t-il derrière la montagne ? La réponse est venue plus tard : il y a une autre montagne. Dans la tradition de Confucius, les montagnes symbolisent l’élévation de l’âme et l’élargissement du champ de vision car leur succession n’a pas de limites. Elles symbolisent ce qui est stable et éternel, alors que l’eau représente ce qui est changeant et imprévisible. La nature, chargée de symboles, constitue une source d’inspiration ancienne pour la poésie chinoise. Li Po, de la dynastie Tang écrivait : "Nous nous regardons, le ciel et moi, sans nous lasser". Dans les textes classiques, le ciel symbolise la nature toute entière. Ainsi Zhi Xi peut-il déclarer : "Un homme naît, le ciel entre en lui".
A cette conception contemplative et harmonieuse des rapports avec la nature, s’oppose la vision organisatrice et transformatrice des Occidentaux. "Je suis une pierre", écrit Anne Sauvagnargues, et cette pierre, observatrice au long cours des mouvements éphémères du vivant, porte un regard perçant sur l’activité des hommes. N’a-t-elle pas vu le jeune Linné s’asseoir longuement et prendre des notes pour classer, organiser, nommer toute la diversité des plantes ? Ne connaît-elle pas l’habitude néfaste qui consiste à construire et minéraliser l’espace ? "Ici, quelques maisons ! Vite, la pétrification s’installe : des plans de droites, des pans, des coupes. Un nouvel immeuble est dressé (...). Les humains n’ont pas renoncé à la nature, ils l’ont plutôt concentrée autour de chaque abri, comme condition vitale et fenêtre de rêve".
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, Francia, China
"Les anciens Chinois ont toujours été épris de nature" nous dit Yue Dai Yun. Qu’en est-il aujourd’hui ? La conception classique qu’elle nous fait partager à travers son texte, présente dans la littérature, la poésie et la religion, est-elle bousculée par les réalisations modernes d’un peuple qui, comme les Occidentaux, n’est pas insensible à la puissance de la technique et qui s’est avéré plus d’une fois séduit par les grands projets d’aménagement ?
Il faut résister à la tentation de faire trop vite de ce livre un échantillon du dialogue entre deux cultures différentes : il est d’abord la confrontation de deux visions personnelles, même si l’héritage culturel est loin d’en être absent.
Ainsi, le texte d’Anne Sauvagnargues, original et alerte, manifeste une ironie féroce qui contraste avec la sérénité de Yue Dai Yun. Dénonçant autant qu’il ne dévoile, il porte déjà en lui, implicite, le détour par d’autres cultures et la remise en cause de notre traditionnel rapport dominateur à la nature, qui n’est pas sans provoquer au fond de nous, il est vrai, une certaine culpabilité. Sommes-nous si peu à l’aise dans nos grandioses réalisations bâties sur l’anéantissement du vivant ? Sommes-nous si peu fiers de nos villes et de nos autoroutes, malgré leur prestance ? Sans doute. Avons-nous pour autant plus de raisons que les Chinois d’éprouver remords et inconfort ? Quoi qu’il en soit, notre étreinte avec la nature est douloureuse et épuisante. S’il y a un message à transmettre à d’autres cultures, c’est peut-être aussi celui-là.
Libro
YUE DAI YUN ; SAUVAGNARGUES, Anne, La nature, C.L. Mayer, 1999 (France), 125 p.
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