06 / 2001
Fatou BOCOUM conseillère à la FONGS (Fédération des ONG paysannes Sénégalaises) explique ceci :
« En ville, on peut trouver beaucoup de cas où la femme travaille et le mari ne travaille pas Pourtant, c’est contre la tradition et cela pose des problèmes. En milieu rural, il y a l’agriculture mais en ville c’est pire. Il y a des familles où le mari et la femme ne travaillent pas. Ils sont obligés de faire des activités secondaires comme le petit commerce, etc. C’est cet aspect social qui pose problème. On observe une féminisation de la pauvreté, tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
Et si la femme travaille et pas le mari, le mari ne s’occupe pas de la maison, il ne fait rien du tout. C’est la femme qui travaille et s’occupe des enfants mais l’homme est toujours maître de la maison. Ici, tu ne verras jamais l’homme faire les tâches ménagères. Je crois que les féministes ont beau parler de l’émancipation de la femme, elles n’oseront jamais dire qu’il faut imposer les travaux ménagers aux hommes. Par exemple, demander à l’homme de préparer un repas, ce n’est pas possible ! Même les hommes qui ont vécu en Europe avec leurs femmes, quand ils reviennent ici c’est fini, ils n’osent plus. Parce que les autres vont se moquer. L’homme ne lavera jamais le linge pour les enfants. Donc, cela va rester. La femme sera toujours la maîtresse de maison et s’occupera de nourrir la famille, de soigner les enfants et elle acceptera toujours l’autorité du mari. Nous sommes africains, il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Et il ne faut pas espérer que cela change maintenant.
De même, une femme ne sera jamais chef de village. Une femme Présidente de la République, je ne crois pas. Il y a des tâches que les femmes n’accompliront jamais. Cependant j’ai vu une fois une femme Présidente d’une Communauté Rurale, une seule au Sénégal. Sur combien de communautés rurales ? Des centaines ! Ce sont les maris qui commencent à changer de mentalité. Ils sont d’accord maintenant pour trouver un consensus. Autant ils veulent garder ce titre d’autorité, autant ils voient quand même qu’une seule personne ne peut pas développer l’affaire familiale. Il faut deux personnes au moins, il faut plusieurs personnes pour vraiment arriver à subvenir aux besoins de la famille, si bien qu’ils sont obligés quelquefois de fermer les yeux sur certaines choses et de laisser à la femme une petite liberté pour permettre de subvenir aux besoins de tous.
Les femmes ne voudraient pas dépasser les limites de la tradition, parce qu’on dit ici que la femme quand elle ne respecte pas son mari, ses enfants ne vont pas réussir. Ou bien que quand elle meurt, elle n’ira pas au paradis. Les femmes veulent à la fois conserver la tradition et être plus libres. Il y a aussi quelque chose de difficile à changer bien que le Sénégal ait ratifié cela, c’est l’égalité de l’héritage. Au niveau des musulmans, cela ne pourra pas se réaliser : c’est toujours le garçon qui va hériter de deux parts et la femme d’une part.
Donc, ces choses-là vont rester encore. Finalement, les obstacles à l’évolution du statut de la femme actuellement, c’est le manque de formation et d’information, les femmes n’ont pas de capacités techniques et intellectuelles. Cela, c’est un premier handicap. Second handicap : le manque de moyens donc le manque de ressources financières. Et troisième handicap : c’est la tradition ainsi que la religion. Voilà les obstacles majeurs à l’émancipation.
D’un autre côté, je constate que l’autonomie financière est presque acquise. Quand les femmes commencent à avoir des activités économiquement rentables, déjà elles commencent à s’autonomiser. L’autonomie financière c’est un des aspects qui permettra à la femme de s’épanouir. Quand elle arrive elle-même à se gérer, à gérer ses enfants, à gérer ses propres besoins, elle est moins dépendante du mari et là elle peut souffler. Par exemple, avant elles n’osaient pas garder leurs gains pour elles-mêmes et le donnaient aux maris. Mais souvent le mari s’en servait pour aller chercher une autre femme.
De plus en plus maintenant, quand elles ont beaucoup d’argent, elles vont se chercher une maison à leur nom. Même dans les foyers polygames, elles se débrouillent pour avoir leur propre maison. C’est une garantie : si elle est expulsée, elle rentre dans sa maison. Les femmes sont conscientes de cela maintenant. Elles ne veulent plus croiser les bras parce que les hommes peuvent, à n’importe quel moment, chasser leur femme de la maison. Quand elle est chassée, en général elle n’a pas de domicile, elle retourne à la maison du papa et de la maman ou chez un oncle etc. mais parfois elle est traitée comme une intruse là-bas. »
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, Senegal, Thies
Un mari sénégalais ne fera jamais la vaisselle ni ne lavera le linge estime notre interlocutrice. Cependant aujourd’hui son épouse construit non seulement sa propre autonomie financière mais aussi, parfois une maison pour elle-même. Ainsi si elle est chassée, elle rentrera chez elle. Car celles qui ont des moyens osent maintenant s’en servir pour elles. Et généralement, note-t-elle : « les femmes veulent à la fois conserver la tradition et être plus libres ».
Madame Fatou BOCOUM est une permanente expérimentée de la FONGS chargée d’épauler les activités des femmes au sein des associations.
Entretien avec BOCOUM, Fatou réalisé en février 2001 à Thiès.
Entrevista
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