06 / 2001
Fatou Bocoum, conseillère à la FONGS (Fédération des ONG paysannes Sénégalaises) :
« La FONGS est une structure paysanne fondée en 1978 et qui avait une façon de voir la femme : c’est une mère, une éducatrice qui doit toujours rester au foyer. Vouloir changer cette idée ancrée chez les hommes et certaines femmes très conservatrices, cela n’a pas été un travail facile. Donc, nous avons mené pas mal d’activités de sensibilisation. Par exemple, on rencontre des femmes, on discute pour qu’elles soient confiantes et qu’elles prennent elles-mêmes leurs propres responsabilités. Qu’elles aient confiance d’abord en elles-mêmes. Qu’elles ne se disent pas : « Je suis femme seulement, je dois rester au foyer, éduquer les enfants ». D’accord mais il faut qu’elles apprennent à prendre des responsabilités en dehors du foyer. Nous avons travaillé dans ce sens. Au Sénégal, les gens se souviennent bien du travail de l’animation rurale (dans les années 1960) et cela a été vraiment quelque chose qui a aidé les femmes à sortir de cette tradition.
Une femme n’osait pas parler avec les hommes sur la place publique, là où on prend les décisions, même sur des questions qui la concernent vraiment. Elle avait tendance à dire : « Moi je suis femme, j’écoute les hommes ; c’est aux hommes de prendre les décisions ». Au fil des ans, avec ces réunions de sensibilisation, d’information, de formation, on est arrivé à conscientiser la femme sur son rôle et son statut. Si bien qu’ actuellement les femmes, même quand les hommes sont beaucoup plus nombreux, sont en mesure de dire « Non, nous ne sommes pas d’accord avec telle ou telle idée ». Elles sont maintenant prêtes à discuter de leur avenir, de l’avenir du village, de la région. Elles prennent des décisions, des responsabilités, elles sont vraiment impliquées au niveau de tout ce qui se fait pour le développement économique.
Mon action dans ce sens a commencé aux Maisons Familiales Rurales. Pour expliquer notre façon de faire, je prends le cas d’une femme que j’ai connue et suivie là-bas. Elle était vraiment traditionaliste et son mari aussi. Une femme intelligente avec tous les critères d’une femme-leader. Et quand on l’envoyait aux réunions, elle y allait tout le temps. Elle menait des activités de réflexion qui allaient dans le sens de l’amélioration des conditions de la femme. Mais son mari ne lui permettait pas de s’épanouir et de participer pleinement aux réunions. Alors, nous avons abordé cet aspect avec beaucoup de prudence pour ne pas heurter le mari et créer des problèmes conjugaux. D’abord impliquer le mari dans tout ce que nous faisions. Le premier projet qu’on a eu à financer on l’a donné à son mari. Quand il a commencé à avoir des résultats, il s’est rendu compte que l’organisation où allait sa femme, cela rapportait et pouvait améliorer les conditions financières. Elle a fait l’alphabétisation et elle arrive à gérer ses activités économiques et tout cela. Et lui, il a commencé à libérer petit à petit sa femme et aujourd’hui, elle dirige une association, elle est vice-présidente de la FONGS, elle va à l’extérieur, elle va même en France pour rencontrer les partenaires.
D’autres femmes comme elle sont arrivées à prendre leurs responsabilités. Cela reste une bataille. Quand il y a blocage, cela vient toujours du mari. C’est pourquoi ici à la FONGS on parle de « politique », c’est à dire de tout ce qui se fait au niveau du développement, au niveau familial, pour le partage des rôles. Car c’est ce partage des rôles qui porte préjudice à la femme. Et à chaque fois, on s’arrête pour dire : « Les caisses d’épargne et de crédit : quel doit être le rôle des femmes ? » Et au niveau de l’exploitation familiale : « Quel rôle la femme doit-elle jouer ? » Et quand on a évalué le programme de la FONGS, on s’est rendu compte que toutes les responsabilités au niveau des caisses sont affectées à des femmes. La vapeur s’est totalement renversée : au lieu que ce soient les hommes qui soient responsabilisés; ce sont les femmes qui l’ont été. Mais quand même, il a fallu qu’on impose un quota d’un tiers des membres dans les conseils d’administration des associations, des groupements, et en premier lieu, à la FONGS. Partout, jusqu’à la base. Cela fait maintenant 4 ans. Si on n’avait pas imposé cela, il y aurait beaucoup moins de femmes.
La FONGS est très démocratique parce qu’elle a mis à sa tête une femme présidente. Des hommes ont dit : « Jamais ! Jamais une femme ne pourra assurer le rôle de présidente ici ». Il a fallu beaucoup de diplomatie et de patience, et finalement ils ont accepté. Maintenant, s’il n’y avait plus de quota, je crois que cela resterait parce que c’est ancré. Désormais, c’est aux femmes de lutter, de s’imposer, pas par une lutte acharnée mais à travers le travail bien fait, de se distinguer et d’être élues ».
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, Senegal, Thies
Pour donner aux femmes leur place dans les instances de décisions, la stratégie de la fédération a été la suivante : imposer un quota d’1/3 de femme dans tous les conseils d’administration . Nous avons nous-mêmes constaté à l’époque qu’il a fallu une pression forte des présidents sortants pour qu’une femme soit élue en 1998 comme présidente de la fédération.
Madame Fatou BOCOUM est une permanente expérimentée de la FONGS chargée d’épauler les activités des femmes au sein des associations. Voir les fiches issues du même interview n° GRAD 480 à 486.
Entretien avec BOCOUM, Fatou réalisé à Thiès en février 2001.
Entrevista
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