Agriculteurs wolofs contre pasteurs peuls pour l’accès à la terre
Samba Coumba MBAYE, Pape Mamadou BA
04 / 2001
Dans le cadre du renforcement de la décentralisation au Sénégal, un certain nombre de lois ont vu le jour en 1996 pour donner ce que l’on appelle communément le code des collectivités locales. Ce code consacre le principe de libre administration des collectivités locales et reconnaît certaines compétences à chaque niveau d’administration. Parmi les compétences de la communauté rurale figure la délibération sur " le plan général d’occupation des sols, les projets d’aménagements, de lotissement, d’équipement des périmètres affectés à l’habitation, ainsi que l’autorisation d’installation d’habitations ou de campements " et sur " l’affectation et la désaffectation des terres du domaine national. Au Sénégal, faut-il le rappeler, la communauté rurale est la collectivité de base. Elle est généralement habitée par des populations rurales essentiellement tournées vers l’agriculture et l’élevage. C’est dire que les importantes attributions du conseil rural dans le domaine de la terre ne sont pas sans fondement.
Pata est une vaste communauté rurale de 1060 km² au sud du Sénégal. Cette région appelée aussi le Fouladou et une région essentiellement peulh. Les Peulhs constituent, du point de vue du nombre, la deuxième ethnie du Sénégal après les Wolofs.
Pata a la particularité d’être habitée, en plus des Peulhs, par une forte communauté d’agriculteurs wolofs. Celle-ci y a migré en provenance du Saloum, région du centre du Sénégal, à la recherche de terres de culture.
Cette cohabitation entre des cultivateurs et des éleveurs est par essence source de conflit et de tension.
D’une part, la communauté peulh se plaint de l’action des Wolofs qui défrichent toujours davantage de terres pour satisfaire leur besoin d’espace. Selon les Peulhs, cette ’colonisation’ des Wolofs ’venus d’ailleurs’ est la principale cause de la destruction de leurs terres de pâture. D’autre part, les agriculteurs wolofs reprochent aux Peulhs de lâcher leurs troupeaux sur leurs champs d’arachide, leur occasionnant ainsi des dommages assez importants. Ainsi les deux communautés se regardent toujours en chiens de faïence et très souvent des batailles rangées surviennent.
Ces rixes perdurent et sont d’autant plus passionnelles qu’elles entraînent des morts d’homme de part et d’autre.
Face à une telle situation de violence et d’incompréhension mutuelle, un dialogue a été noué entre toutes les composantes ethniques de la communauté rurale. En prévention des conflits, il fut décidé que dorénavant, les délibérations du conseil rural portant autorisation d’occupation de terres seraient prises en accord avec les différentes communautés, à travers leurs représentants. Cette règle a été ainsi érigée en convention locale. Et c’est précisément cette convention locale, ce consensus, qui a été brisé par le conseil rural.
En effet, en 1998 entre les villages de Saré Halèle et de Sinthiang Bora, deux villages de la communauté rurale de Pata, se sont produits des évènements tragiques regrettables. Saré Halèle, village à une vingtaine de kilomètre de Pata a été créé antérieurement à Sinthiang Bora, village Peul. Après avoir occupé leur terroir depuis des années, les habitants de Saré Halèle ont vu s’installer en catimini ceux de l’actuel Sinthiang Bora. Des avertissements leur ont été adressés pour quitter les lieux, arguant l’impossibilité de partager les terres, déjà trop petites, avec une autre communauté.
En réponse aux avertissements répétés, les nouveaux arrivants se sont prévalus d’une autorisation d’occupation des terres en cause, dûment attribuée par le conseil rural. Frustrés et atteints dans leur amour-propre par l’attitude du conseil rural qui venait de violer une ’loi locale’, les villageois de Saré Halèle s’opposèrent à l’installation des habitants de Sinthiang Bora qui préparaient la terre en attente des premières pluies. Il s’en est suivi l’éclatement de rixes à l’issue tragique, affectant les deux communautés qui se rejettent la responsabilité des heurts.
Rien n’y fit. L’intervention du sous-préfet s’est heurtée à l’entêtement du conseil rural qui s’est dit autonome et seul compétent à régler ce problème d’occupation des terres. Cette tension entre éleveurs et agriculteurs se généralisa très rapidement à l’échelle de l’arrondissement, telle une traînée de poudre.
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, Senegal, Kolda
Il est heureux de constater que les populations ont des moyens endogènes de régulation de la tension sociale. C’est cette conscience et cette volonté de régler les conflits sociaux entre groupes ethniques ’rivaux’ qu’un consensus a été trouvé. Ce qui est frappant dans cette expérience, c’est que les populations entendent éluder les risques de conflit par la concertation et l’information préalable afin qu’une meilleure politique d’occupation des terres puisse être définie et mise en oeuvre. Cette formule de consensus social, ou convention locale, est un moyen efficace de pacification et de développement des terroirs surtout dans le monde rural. En tant que telles, ces conventions locales doivent être promues et encouragées à travers les politiques de décentralisation.
Il est essentiel en tout cas que leur crédibilité et leur force ne soient pas entamées par le manque de loyauté d’une partie ou par leur non-reconnaissance par l’administration.
A Pata, c’est le conseil rural qui a le premier ébranlé ces institutions naissantes. Ils ont violé et remis en cause un acquis essentiel dans la préservation de la paix sociale ; probablement par inconscience, par ignorance ou comme toujours pour de l’argent.
Samba Coumba MBAYE est le président de l’amicale des jeunes de Hamdallah Samba Mbaye.
Relato de experiencia
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