Une double démarche à mener à la fois interne et externe à l’organisation
Catherine GAUDARD, Sylvie ROBERT
12 / 1999
La capitalisation : une vue d’ensemble qui permet la réflexion
La capitalisation de l’expérience n’est pas liée à un projet particulier, ce qui la rapprocherait plus de l’évaluation. C’est vraiment voir l’ensemble des expériences, des méthodes et des résultats qui ont été obtenus par une organisation, en étudiant le contexte, comment elle y a répondu, comment elle a travaillé, et capitaliser justement cette somme d’expériences accumulées et l’interaction entre les différentes choses.
C’est l’idée de systématisation (1)que je rapproche le plus de la capitalisation. Il y a une somme de choses dont on n’a plus la mémoire active. On a tendance à ne pas garder forcément en mémoire tous les éléments qui font l’expérience, et souvent, justement, les rapports d’évaluation appauvrissent parce qu’ils isolent des expériences données par rapport à un objectif précis. La capitalisation de l’expérience, ce n’est pas voir ce que l’on a réussi à faire par rapport à tel objectif, mais c’est voir l’ensemble de ce qu’une organisation a fait, comment les choses s’articulent entre elles. Je rattache moins la capitalisation à la notion d’objectif que l’évaluation.
Construire et organiser l’expérience
C’est vraiment essayer de faire émerger les différents processus. Evidemment, les échecs et les réussites devront apparaître, mais l’essentiel est de voir l’ensemble pour garder une trace. Faire une capitalisation revient à réfléchir sur son expérience, l’écrire, et pour cela l’organiser. Elle n’a pas toujours été pensée. Il n’y a pas toujours eu de recul par rapport à cette expérience. De cette façon on peut faire ressortir les grandes lignes, relativiser l’importance de certaines choses par rapport à d’autres que l’on aurait pu occulter ou oublier, voir aussi la part de ce qui est interne et externe, les interactions entre ce qui est contrôlé par l’organisation ou ce qui ne l’est pas, par le village, par la communauté ou par le groupe, et puis pouvoir mettre en valeur certains déséquilibres dans ces processus justement. C’est aussi la manière dont les choses ont été décidées, ont été faites plus que le résultat en tant que tel.
La dialectique interne/externe
On peut capitaliser toutes sortes d’expériences, mais dans le cadre du développement, il faut associer une démarche interne à une démarche externe. L’’ externe ’ apporte une distance, un appui méthodologique, mais la participation en interne est fondamentale. Ça ne peut pas être un processus qui se déroule à l’extérieur sans que les acteurs concernés soient impliqués. Je le vois vraiment comme un processus participatif où les intervenants extérieurs permettent un peu de mobiliser la mémoire des acteurs et leur réflexion, et en réfléchissant sur leur expérience, à dégager les grandes lignes de cette expérience et à la capitaliser. Les gens ne peuvent pas capitaliser malgré eux. Il faut qu’ils soient partie prenante dans cette capitalisation. Ce sont eux qui doivent capitaliser même si souvent cela reste difficile.
Quand j’étais volontaire aux Philippines, j’ai travaillé avec une organisation syndicale qui n’avait ni les moyens humains, en terme de ressources humaines, ni le temps pour rédiger son expérience, pour l’affiner. En fait, il y avait un discours qui n’évoluait pas sur ce qu’était cette organisation et ce qu’elle faisait, ce vers quoi elle allait, et j’ai travaillé avec eux. Ils m’ont justement demandé de faire ce travail en étant volontaire. Au départ, en fait, on ne me demandait pas vraiment cela, mais en faisant ce travail j’ai commencé à soulever des questions, et c’est souvent douloureux, c’est souvent difficile pour une organisation. Ça l’oblige à une autocritique. Ça oblige à remettre en question des choses sur lesquelles on avait tendance à se reposer trop facilement.
Quand la capitalisation induit une -douloureuse- remise en cause
La remise en cause est difficile parce que ça chamboule toute une vision du monde, ça bouleverse. Tout est bien rangé dans une articulation donnée et si les faits ne se passent pas réellement tels que l’analyste le souhaite ou l’a décidé, c’est très difficile à accepter. Le travail que je faisais aux Philippines était extrêmement difficile, parce que parfois en discutant on arrivait à constater que certaines choses s’étaient passées d’une manière autre que le discours officiel de l’organisation. On ne peut pas capitaliser une expérience si on est bloqué dans un discours officiel. Par exemple, sur les articulations entre grands propriétaires et ouvriers, elles doivent être comme ça et elles sont comme ça, et si l’on découvre qu’elles sont autres, si cela bouleverse toute l’analyse idéologique, c’est très difficile à accepter.
La capitalisation de l’expérience peut être quelque chose d’extrêmement déstabilisant voire même violent pour une organisation et elle peut en refuser les conclusions, ou tout simplement ne pas vouloir voir que son expérience n’est pas en fait celle qu’elle a mémorisée officiellement. Quand je parle de mouvements sociaux c’est différent, mais dans le cas d’un parti politique qui va avoir un certain discours sur son histoire, son expérience, si l’on découvre un ensemble de faits et de phénomènes qui ne collent pas du tout... C’est aussi ça la capitalisation d’expérience ! C’est savoir comment ce parti s’est structuré, s’est organisé, comment à tel moment il a opté plus pour cette vision plutôt que pour celle là. La capitalisation d’expérience permet de décortiquer un peu les raisons pour lesquelles telle stratégie a été utilisée à ce moment là.
Capitaliser pour résoudre un problème interne ou sur une demande extérieure
Ce qui est très important, c’est de savoir qui a décidé la capitalisation au départ et avec qui. Une organisation va rarement, à ma connaissance, prendre l’initiative de capitaliser son expérience. Il y a presque toujours un catalyseur extérieur, qui est quelqu’un qui dit : ’ Mais vous avez une expérience formidable, c’est dommage que vous ne la mettiez pas en valeur, que vous n’en gardiez pas la mémoire ! ’, et donc stimule ce processus de capitalisation.
La motivation peut être aussi de résoudre un problème, des difficultés ou parce que l’organisation ne voit plus clair dans la manière dont les choses se passent ; ou pour mieux comprendre ce qui s’est passé en interne et comment continuer ; ou encore pour plus de projection vers l’extérieur. On capitalise parce qu’il faut pouvoir montrer aux autres ce que l’on a fait, les acquis, pouvoir mieux partager, mieux échanger avec les autres.
La découverte, la redécouverte est toujours là, je pense qu’on peut très bien le voir dans l’utilisation du résultat de la capitalisation. Soit ça reste un document interne et ultra-confidentiel, et donc c’est vraiment parce qu’en interne on avait besoin de réfléchir, soit c’est un document que l’on va presque publier à des fins de visibilité, pour pouvoir enfin parler de ce qu’a fait l’organisation d’une manière organisée, systématique, et là c’est autre chose.
(1)organisation d’un ensemble de données en un système intellectuel lisible, cohérent. L’auteur est responsable du secteur Asie à Frères des Hommes.
Entrevista
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