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Les capitalisations d’expérience à Vétérinaires Sans Frontières

La capitalisation peut s’appuyer sur un collectif informel et extérieur qui atténue l’effet déstabilisant induit par le dévoilement des enjeux et des conflits cachés

Bruno REBELLE, Sylvie ROBERT

12 / 1999

Comment se situe le travail de capitalisation, et comment peut-il servir une certaine forme de résolution des conflits au sein des associations ? La question est de savoir qui fait la capitalisation et comment. Une bonne capitalisation a besoin d’être un peu extérieure, mais aussi de se nourrir de ce que sont les institutions et les gens. Tout le problème est de réaliser ce jeu d’allers et retours entre la personne extérieure et le fonctionnement interne.

Il y a eu, à Vétérinaires Sans Frontières, deux expériences de capitalisation. La première a abouti à la publication d’un dossier : ’ De la santé animale au développement de l’homme ’.

La deuxième expérience de capitalisation est celle que j’ai conduite après avoir quitté VSF et qui a abouti au livre ’ Libres associations ’ (1). Je pense que l’on peut faire un bon travail de capitalisation quand on a vraiment été dans la structure mais qu’à un moment on s’en extrait et que l’on observe un peu à distance. Tout travail de capitalisation bien fait met à jour des enjeux, des tensions, ce qui n’est pas grave puisqu’un système dynamique est un système en tension, mais il faut savoir jusqu’où exacerber ces tensions ou les assouplir, et pourquoi on le fait. Etre extérieur est indispensable, mais il est ensuite très difficile de revenir dedans.

Dans la phase de construction de la capitalisation, des tensions, des conflits potentiels, des enjeux cachés se révèlent. Le capitaliseur butine les informations, puis s’enferme dans sa chambre d’or et essaie d’articuler le tout pour aboutir à une proposition, un constat, des idées. La grosse difficulté est de revenir vers les gens à qui on a pris de la moëlle à un moment, que l’on a un peu déstabilisés, pour leur donner les quelques pistes de réflexion pour les restabiliser, ou au moins extraire de la plus-value de la première phase.

Nous avons diffusé ’Libres associations’ auprès de toutes les associations qui avaient été interpellées. Nous avons organisé une soirée débat à Lyon, mais toutes les associations ne se sont pas déplacées. J’en fais l’interprétation suivante : il y a un moment où certains n’ont pas envie de continuer à se poser un certain nombre de questions. C’est le problème de la réappropriation de la capitalisation. Si les gens n’ont pas envie de se poser la question au départ, ils n’ont pas envie de se la poser après. Il y a à la fois un certain nombre de certitudes profondes dans le fonctionnement associatif, et un certain nombre d’inquiétudes majeures, et les gens ont du mal à sortir de ça, parce qu’il y a toujours la crainte d’être illégitime, la crainte d’être attaqué. C’est à mon avis central dans le travail que l’on a fait sur le fonctionnement des associations, parce que leur ambition est justement d’avoir une gestion du pouvoir un peu différente du schéma classique, argent et politique. On est dans un schéma un peu hybride, ce n’est pas la représentativité électorale qui légitime, ce n’est pas la puissance économique, c’est la capacité à rassembler, c’est le capital social, c’est la pertinence idéologique, c’est le charisme... C’est plus complexe et plus fragile aussi et dès l’instant où l’on essaie de mettre à jour ce fonctionnement, on met un coup d’éponge sur de la peinture qui s’écaille très vite.

L’accompagnement serait ici plus utile que dans la phase de ’ digestion ’ de la capitalisation. C’est être auprès de gens qui accouchent de leur expérience, parce que ce n’est pas toujours très facile. Je crois que le comité que l’on a mis en place et réuni deux fois a eu très clairement un rôle tampon, pour nous aider à orienter le travail, ce qui avait pour effet de dépassionner complètement celui-ci par rapport aux expériences intimes qu’il révélait.

J’ai quitté VSF en juin 1996, mais en septembre je me suis rendu compte que je ne digérais pas le fait que je n’avais pas tout compris. J’ai donc voulu faire quelque chose sur le fonctionnement des associations. Un ami m’a conseillé de n’en rien faire, que ce serait un règlement de comptes. Un autre ami m’a demandé si de cette façon je voulais faire ma propre psychothérapie. J’ai alors pensé faire ça avec quelqu’un d’autre, pour le vivre différemment, et parce que j’avais peur d’écrire. J’ai demandé à Fabienne Swiatly, que ça intéressait, de faire ce travail avec moi.

Nous avions des expériences très passionnelles, et il nous fallait trouver très vite un filtre pour nous aider. Nous avons donc eu l’idée de ce petit comité des sages, dès la proposition initiale de méthode. L’idée était de les solliciter à trois étapes : l’une très en amont, pour valider les grandes hypothèses de travail, une étape intermédiaire après les premiers entretiens pour discuter de l’articulation générale du raisonnement, puis une étape finale de ’ passage à la moulinette ’. Il ne leur était pas demandé de co-signer, mais simplement de mettre le travail en pièces, de nous dire si ça leur plaisait ou non, et pourquoi. De notre côté nous nous réservions le droit de garder ou de jeter partie ou totalité de ce qu’ils nous diraient. Je pense que c’était un bon deal parce que ça a libéré complètement la parole des uns et des autres.

Les personnes qui composaient ce groupe avaient été choisies : des gens ayant un regard sur des secteurs du monde associatif que l’on ne connaît pas, et d’autre part des gens avec un regard plus thématique, journalistique, juridique, sociologique. Nous avons essayé de privilégier aussi des gens avec qui il y avait déjà une certaine complicité ou affinité, dont on savait qu’ils joueraient le jeu.

Nous avons réuni le comité avant de faire le dernier chapitre. Un peu coincés pour finir, nous leur avons présenté les différentes hypothèses. En fait eux nous ont dit que ça suffisait, et qu’il fallait surtout finir vite en faisant une conclusion courte.

Ce travail s’est échelonné entre février 1997 et novembre 1998, mais la rédaction des 7 premiers chapitres était terminée en décembre 1997. En temps de travail effectif, ce sont quand même deux mois pleins d’écriture. Seul, j’aurais vite été perdu. Entre ce fait là et la mise en place du comité, nous nous sentions solides, en particulier sur le fond de l’argumentaire. Si je devais repenser le fonctionnement du comité, je garderais la règle du jeu, qui était très bonne. C’était une bonne méthode. Cela rejoint d’ailleurs l’un des points de l’argumentaire qui est développé dans le document final : pour la bonne gouvernance d’un processus collectif, ou d’un processus d’innovation, ou de création, il faut vraiment alterner l’informel et le formel.

Le gros problème des associations, c’est que tous les débats sont pollués par les enjeux de pouvoir. Le fait de trouver un cercle très informel où la règle du jeu est que l’on n’est pas là à titre institutionnel, est fondamental. C’est très difficile à faire, mais je pense que c’est indispensable.

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, Francia

Notas

(1)Bruno Rebelle, Fabienne Swiatly, ’ Libres associations ’, Ed. Desclée de Brouwer, 1999, coll. ’ Gouvernances démocratiques ’. L’auteur est l’ex-président de Vétérinaires Sans Frontières, actuel secrétaire général de Greenpeace.

Fuente

Entrevista

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