A priori je ne vois pas d’autre sens possible à la capitalisation que celui lié au partage. Une capitalisation s’inscrit dans un parcours de vie.
Je suis journaliste de formation, et pour moi cette démarche est vraiment centrale. Je suis quelqu’un qui reçoit un certain nombre d’informations, qui les ordonne et qui les transmets. Je ne conçois pas d’autre idée du journalisme que celle-ci, le but premier de tout cela étant de réduire la complexité du monde.
Mon expérience la plus originale s’est faite avec l’appui de la FPH sur Roubaix.
A Roubaix j’arrivais à garder l’essence de ma profession, c’est-à-dire à transmettre quelque chose. Toute la démarche était axée sur le fait qu’il fallait transmettre la mémoire d’une certaine culture militante qui semblait s’estomper. On constatait que la ville et ses acteurs étaient soit perdus et qu’ils n’avaient plus aucune référence, soit recommençaient à chaque fois à inventer le fil à couper le beurre en repassant par des épisodes militants qui avaient déjà été vécus dans le passé. L’idée était donc de resituer ces différentes époques militantes à Roubaix.
J’ai entamé ce travail fin 1995. J’ai donc passé un an à Roubaix, où j’ai interviewé une centaine d’acteurs, assisté à des dizaines de réunions, et récupéré des kilos de documents. Je me suis ainsi retrouvé avec une matière première assez importante sur l’histoire récente de Roubaix et son actualité.
A partir de là l’idée était de faire un livre dont l’écriture aurait été ’ rebattue ’ à l’occasion de trois débats. On a en fait plutôt ponctué l’écriture par trois débats thématiques et généralistes sur la participation des habitants et l’engagement associatif, ce qui a quand même permis de nourrir mon écriture et mon propos.
L’appropriation n’a pas vraiment été effective car à Roubaix à ce moment-là, que ce soit au plan municipal ou associatif, on était tombé très bas en terme de dynamique.
Je ne m’attendais pas à de tels clivages, je ne me voyais pas non plus en superman, mais je pensais être reçu de manière favorable par des gens qui me semblaient complètement perdus et ne sachant plus comment agir. En fait ça a été un raidissement plutôt qu’un accueil. Je ne m’attendais pas à cette réaction car je me méfiais beaucoup plus de la récupération politique du livre.
Cette expérience m’a apporté beaucoup de satisfactions. D’un point de vue professionnel, ce sont 9 mois d’enquête et 200 pages rédigées et des distances qui permettent de faire du bon boulot, enfin qui me correspondent à la fois en terme de rythme et du souci que j’ai d’approfondir les choses.
Je suis la vie municipale, la vie de la commune, et je vois apparaître dans les décisions de la municipalité des hypothèses que j’émettais, voire des recommandations. Je vois où se créent les structures, je vois se profiler des engagements. Ca ne vient pas seulement du livre, mais on peut au moins dire qu’il y a coïncidence entre les choses qui sont écrites et les choses qui se font. Je sais que les gens ont lu ce livre et que cela a raffermi l’engagement associatif de certains.
Actuellement je travaille avec une association de Roubaix, AME Services, qui propose des ateliers dans le cadre d’une démarche d’insertion. Il y a un atelier lecture dans les écoles, un atelier cuisine, un ’ resto du cour ’ pour les RMIstes. Et puis c’est une sorte de régie de quartier. L’action de cette association s’inscrit dans un grand projet urbain et l’on m’a demandé de restituer ce que faisait cette association auprès d’un public de décideurs ou d’acteurs de la politique de la ville. Le directeur de l’association a vu là une opportunité pour aller plus loin et m’a demandé de les aider à creuser des questions avec leurs partenaires du quartier : Comment peut-on créer des animations de quartier ? Comment peut-on créer des emplois avec une population qui est largement inemployable ?
Je me suis d’abord assuré que je pouvais trouver un terrain d’entente entre celui qui me commande du travail et le directeur de l’association, puis on a établi un programme d’immersion. J’observe, j’essaie d’obtenir des renseignements pratiques pour vraiment cerner le sujet. Je vais faire une synthèse pendant l’été, tout relire, puis revenir dans chaque équipe (dans les 5 ateliers)avec des questions problématisées. On va organiser 2 à 3 réunions par atelier. C’est une méthode qui a été mise au point laborieusement car il ne fallait pas aller trop vite dans la problématique et préparer une restitution dite participative, c’est à dire y associer au maximum les gens.
Dans une démarche de capitalisation, il ne faut pas hésiter à placer la barre haut même si on ne la tient pas forcément et que l’exigence est parfois assez ardue. En même temps, il est intéressant de bénéficier de l’intervention d’un tiers, c’est à dire d’un regard extérieur sur le travail de capitalisation. C’est à peu près incontournable mais ce tiers ne doit pas être complètement étranger et ne doit pas hésiter à rentrer au milieu du cercle.
On n’écoute bien que si on laisse entendre à la personne qu’on va lui répondre. Et elle ne se confie bien que si elle sait qu’on va lui répondre. Ça veut dire qu’il faut être engagé, et que si l’on est complètement extérieur, on ne recueille rien. On doit aussi donner la parole, mais tous les mots ont un double sens. Il faut aussi répondre de sa démarche, être prêt à répondre en permanence de sa démarche, être aussi prêt à être remis en cause, avoir des comptes à donner, c’est à dire afficher une position et répondre.
L’évaluation, ce n’est pas la même chose. On ne fait pas une évaluation pour partager, on fait une évaluation pour auditer, pour contrôler, pour améliorer. C’est une question d’efficacité mais ce n’est pas du partage. L’évaluation sert éventuellement à exercer une autorité de tutelle alors que la capitalisation est beaucoup plus large.
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B. Verfaillie est journaliste indépendant et conseiller en communication, membre d’association engagée dans le combat pour le droit au logement, la lutte contre l’exclusion.
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