12 / 1999
J’ai été amenée à effectuer la capitalisation d’expérience de l’Association pour le Développement des Activités Maritimes (CEASM), une ONG de développement française ayant une expérience de plus de 37 ans. Cette capitalisation a fait ensuite l’objet d’un dossier à fenêtre constitué de fiches DPH et ayant pour titre : « Interdépendances et solidarités dans le monde maritime ». Elle est intervenue à une période cruciale de la vie du CEASM, une ONG en faillite qui était en recherche de solutions pour assurer sa survie. Les effectifs étaient passés de 14 salariés à 2,5 en quelques années, les comptes étaient plus que négatifs, l’ambiance n’était pas au beau fixe. D’autre part, il y avait une préoccupation interne de valoriser une documentation importante qui s’accumulait depuis le licenciement de la documentaliste. Connaissant le potentiel et la grande expérience de cette organisation, j’avais envie de faire quelque chose pour eux. J’ai proposé une capitalisation selon la méthodologie mise au point pour DPH. L’idée a été bien accueillie.
DPH avait la perspective séduisante de répondre à des questions de terrain de façon utile, d’éviter de « réinventer la roue » donc de perdre du temps et des moyens.
M’appuyant également sur des méthodes sociologiques et une certaine expérience de la conduite d’entretiens, j’ai choisi délibérément, d’être le moins interventionniste possible afin de favoriser et valoriser la parole des acteurs.
Dans un premier temps, j’ai effectué une recherche dans la documentation disponible et j’ai mené des pré-entretiens afin de déterminer les principaux thèmes qui préoccupaient le CEASM et afin d’établir une liste de personnes à interviewer. Les thèmes ont été choisis en collaboration avec les salariés du CEASM et les personnes à interviewer ont en quelque sorte été cooptées par eux. J’avais plusieurs préoccupations en tête : « est-ce que ce que cette personne est en train de me dire est vraiment ce qu’elle pense ? » (anti-langue de bois) « est-ce que ce que cette personne est en train de me dire n’intéresse qu’elle même ou peut être utile pour une autre personne ? » (expérience utile à l’action). J’ai eu une démarche très pragmatique : j’essayais de me mettre dans la peau d’une personne à l’autre bout de la terre qui vit des expériences similaires dans le même ou un autre domaine et qui se dit : « comment s’y sont-ils pris, quels sont les pièges à éviter ? Et si c’était à refaire ?". Puis j’ai procédé à une « mise en fiches » et à un découpage par thème qui suivait l’évolution du travail de l’organisation. Les fiches ont été validées par les auteurs.
J’avais dans un premier temps compris que les supports de la capitalisation d’expérience étaient forcément les fiches. J’ai appris depuis que d’autres capitalisations d’expériences avaient abouti à d’autres résultats : biographie, rencontres. Il faudrait répertorier tous ces « produits » de la capitalisation pour donner des idées.
Cette capitalisation n’aurait pas été réellement un exercice par lequel on apprend de l’expérience si elle n’avait pas été effectuée dans certaines conditions. A mon avis, elle doit en effet s’effectuer en période de crise et plus exactement pendant la période où prenant conscience de la crise, l’organisation est déjà en recherche de solutions et à quand même suffisamment confiance en elle-même pour savoir que une partie des solutions peut venir d’elle-même.
L’intervention d’une personne extérieure a non seulement facilité la capitalisation mais lui a permis d’aboutir. Par manque de temps mais aussi parce qu’il est difficile d’écrire sur soi et ses pratiques, je crois qu’il aurait été difficile d’obtenir des fiches rédigées par les acteurs eux-mêmes. Pour rester dans la logique de capitalisation, il est cependant important que le scribe soit un accoucheur le moins interventionniste possible.
A la pratique, je me suis aperçue que la capitalisation d’expérience était un outil très puissant ayant de multiples effets secondaires. En libérant la parole, on libère aussi forcément les critiques, les non-dits, les rancoeurs mais on verbalise aussi les réussites sur lesquelles s’appuyer pour continuer à agir. Certaines personnes dont la parole avait été « libérée » ont continué sur leur lancée en essayant de faire changer des choses au niveau interne. D’autres, qui n’étaient pas amenées à exprimer publiquement leur point de vue, ont été écoutées (lues) et mieux considérées.
Afin d’être mieux ciblée, la capitalisation du CEASM a été faite sur ses actions de coopération et a fait apparaître très clairement une certaine cohérence dans les actions bien qu’aucune stratégie n’était jusqu’à présent formulée : ces principes qui ont toujours guidé le CEASM depuis sa création (travail en réseau, aide à la structuration des organisations professionnelles, favoriser les échanges entre professionnels de différents pays - les échanges d’expérience). Le fait, dans le dossier à fenêtre, d’ajouter aux fiches du CEASM d’autres fiches qui allaient dans le même sens, a permis à l’organisation de prendre conscience qu’ils avaient intérêt à s’associer à d’autres pour survivre. La capitalisation a été suivie par une rencontre à la Fondation Charles Léopold Mayer avec des organisations françaises travaillant dans le développement maritime. La rencontre a permis à des personnes travaillant sur les mêmes thèmes et ne se connaissant pas de coopérer sur certaines actions, de répondre conjointement à des appels d’offres.
La capitalisation a eu pour conséquence également la prise de conscience que le manque de communication, en interne, en externe compromettait la stratégie d’ensemble (travail en réseau par exemple) et la survie même de l’organisation. Un recentrage des activités a été effectué en fonction des stratégies dégagées par la capitalisation. J’ai pu vérifier moi-même ce résultat étant, depuis la capitalisation, membre actif du Conseil d’administration de l’organisation.
autoevaluación, pesca
, Francia
J’aurais aimé que cette capitalisation soit suivie, à l’initiative du CEASM, d’une rencontre internationale. Cela n’a malheureusement pas été possible pour des raisons financières mais aussi par manque de réel intérêt du CEASM qui avait d’autres priorités. La prise de conscience de l’importance de s’ouvrir à d’autres aurait pu dépasser les frontières nationales. La capitalisation d’expérience du CEASM s’est avérée un instrument d’auto-évaluation très utile qui, réalisé à une période charnière, a permis de réorienter des actions, valider des pratiques et de mieux faire connaître l’organisation. Le dossier à fenêtre servira encore de document de travail lors d’une prochaine réunion du Conseil d’administration sur la coopération internationale.
S. Nick est une journaliste spécialisée dans le domaine maritime et les pays du pourtour méditerranéen. Elle travaille au centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe à Lisbonne comme coordinatrice du programme information au public et relations avec les médias. (snick (at) nscentre.org)
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