12 / 1999
Méthodologie de travail
1. ’ percer ’ le milieu, évincer les gêneurs, amasser le matériau
Ma démarche a toujours été d’équilibrer des actions successives, que ce soit dans la vie ou dans le travail professionnel, de percer, c’est à dire d’entrer le plus complètement possible dans la réalité, soit d’un groupe, soit par le biais d’entretiens dans les bidonvilles, dans les campagnes ou ailleurs. Ca, c’est le premier mouvement pointu, entrer vraiment en contact avec la chair vive en écartant au maximum (tout en restant diplomate, ce qui est parfois difficile)les gens qui vous font venir et qui vous paient, les officiels des pays où j’interviens, le ministre au Maroc qui me disait ’ votre travail est très simple, il s’agit de savoir si les gens veulent de l’eau ou pas ’ (c’était un projet d’adduction d’eau pour la Banque Mondiale). J’ai donc toujours eu un très grand souci de me tenir à l’écart, et a priori des Français et des Anglo-saxons, qui perturbent mes facultés de perception. Avec les autres étrangers j’ai plus de facilité.
Depuis mon premier tour du monde en 1954, ce souci a toujours été fort. J’ai retrouvé récemment ce souci là chez un homme dont j’apprécie beaucoup les livres, François Jullien, sinologue à Paris VII. Il a appris le chinois alors qu’il était coopérant en Chine pour mieux comprendre la pensée d’occident et avoir une sorte de terrain extérieur où se situer pour, au fond, l’apprécier, comprendre ce qui la caractérise, ce qui la qualifie particulièrement, en partant d’un champ d’observation qui est complètement à l’opposé. Evincer les gêneurs, aller droit dans le bidonville, voir les gens, c’est le premier temps, celui de la quête, pour recueillir les matériaux qui serviront ensuite à l’étude.
2. Le deuxième temps, c’est le retrait. Après avoir été ainsi écouter jusqu’au coeur de ce que les gens vivent, voyant leur milieu et tout ce qui s’y passe. Le retrait. J’ai toujours travaillé en mission dans ma chambre d’hôtel, toujours refusé un bureau. Sur le plan professionnel, j’ai toujours travaillé à mi-temps, c’est une règle que j’ai imposé dès 1965. Je voulais pouvoir réfléchir. Le métier d’animateur, d’enquêteur, est extrêmement absorbant, nerveusement épuisant, il n’est pas question d’arrêter le vendredi soir et de recommencer le lundi matin. C’était donc la base de mon contrat. Donc le retrait, la récupération, avoir une semaine libre, vide, entre chaque engagement, c’est très, très important. Digérer. Quand on a été au plus cru, il faut pouvoir revenir dans son hôtel, être tout seul, et là travailler 14 heures, 18 heures par jour s’il le faut, aller se promener une journée entière s’il le faut. C’est ce genre de choses qui sont fructueuses.
3. Ce recul admis, cette récupération faite, les idées viennent. Des idées qui sont des amorces de synthèse, ce raisonnement se situe surtout dans la perspective de l’enquête, mais c’est vrai aussi dans l’animation de groupe, l’information de masse. Les idées résultent de ce double mouvement de respiration : aller au contact du réel, et ensuite se retrouver. Ces idées, depuis 35 ans je les note sur des feuilles de papier pelure parce que ça tient moins de place. Je les ai toujours sur moi, avec la date, le lieu. Ca s’empile, je les laisse de côté. Je profite de ma retraite pour les relire et les retranscrire. Il y a plus de 2 000 pages. C’est mon travail actuel.
Voilà ma formule de capitalisation. Mais l’essentiel dans une action professionnelle, c’est que ces idées qui viennent vont servir d’amorce à l’intelligence des matériaux recueillis.
J’ai coutume d’expliquer que la synthèse vient toujours avant l’analyse, mais la synthèse sans l’analyse n’est rien. La meilleure des synthèses est faite lorsque, ayant découvert des hypothèses de travail après avoir pris ce contact avec la réalité, vous les avez ensuite passées au crible de l’analyse thématique de ce que vous aviez reçu. A ce moment là vous trouvez parfois une nouvelle synthèse qui est contradictoire de la première. Mais ça ne fait rien, la première est néanmoins indispensable dans le processus.
Concernant la façon d’y arriver (à cette ’ capitalisation ’ de l’expérience), il y a toute une hygiène de vie, qui est liée à cela. Ainsi l’expérience du mi-temps. Même si je n’ai jamais fait de vrai mi-temps, ça me donnait une possibilité et de la flexibilité. C’est très important d’être frais et dispos, au moins le matin, sinon comment aider les autres à l’être.
L’écriture n’est qu’un des moyens pour la capitalisation. J’ai surtout utilisé la photo, la diapositive couleur. La photo est une syllabe dans un discours. Elle permet la projection et les montages. Il y aussi le cinéma et la vidéo, le magnétophone. Un bon intermédiaire est le paper board (le tableau de papier sur lequel l’animateur inscrit la pensée du groupe au cours d’un débat).
relaciones reflexión acción, metodología, método de diagnóstico
, , Francia
L’auteur est un ancien expert des Nations Unies et de la Banque Mondiale.
Entrevista