Catherine GAUDARD, Sylvie ROBERT
12 / 1999
La relation à l’écrit ne dépend pas du pays, cela dépend plus de à qui on s’adresse dans le pays. Je ne pense pas qu’il existe des cultures qui soient seulement orales...
Si je prends pour exemple l’Asie, il ne s’agit pas d’une culture orale, l’écrit existe, mais la relation à l’écrit n’est pas la même pour tous. Si l’on parle à des intellectuels asiatiques ou à des responsables, eux sont très conscients de l’activité de l’écrit, de l’activité de l’analyse à partir de documents écrits, de la mémoire, de la trace de tout ce que l’on peut garder. Par contre, il est vrai que si l’on parle à des gens plus à la base, ils vont beaucoup moins avoir cette relation à l’écrit, mais ils ont la mémoire orale...
Filmer une expérience est toute une démarche, parfois sur une longue durée, plusieurs années, puis restituer ensuite par le visuel, à ceux là mêmes qui avaient fait l’objet de cette histoire, qui avaient été les acteurs de cette histoire, peut avoir un impact très fort, et permettre de transporter cette expérience ailleurs.
Par exemple, toute une expérience de l’organisation autour d’un gros projet d’aménagement auquel les villageois s’opposent a été filmé, depuis le début, avec toutes les différentes manières de s’organiser, les débats, les discussions entre les gens, les manifestations, enfin tous les différents aspects d’une lutte ou d’une mobilisation. A la fin du processus, quand on le montre aux gens eux-mêmes, ils sont fascinés par ce qu’ils ont fait, ils sont impressionnés par leur propre histoire et leur propre mobilisation. C’est aussi une capitalisation d’expérience. Et ils peuvent dire ’ Mais oui, à ce moment-là, on n’aurait pas dû faire ça, là on s’est trompé ’. Ça permet de réfléchir sur l’expérience.
Le fait de se rappeler les choses et d’essayer de les mettre en forme peut se faire par l’écrit, par la vidéo, la photo : certains moyens de restitution passent mieux que d’autres, pourquoi les mettre de côté ?
Qu’est ce que la culture? La culture de toute façon dépend des groupes. Il n’y a pas une culture en France, de même qu’il n’y a pas une culture en Inde ; il y a des tendances, il y a des dominantes, mais il n’est pas sûr que l’écrit soit le meilleur outil, même en France, pour travailler avec des paysans sur leur lutte, ou avec des ’ exclus ’, parce qu’ils n’iront jamais le lire, parce que pour eux cela va passer par l’oral, cela va passer par le débat, cela va passer par le dialogue ou par d’autres choses, mais pas forcément par l’écrit.
Je pense à un autre aspect : la capitalisation d’expérience par la rencontre et la confrontation de différentes expériences. Ce n’est pas l’écrit qui va compter, là. On appuie actuellement des formations de réseaux, de petits groupes d’action sociale qui sont dispersés, isolés chacun dans leur coin, dans plusieurs régions de l’Inde. C’est un réseau de capitalisation d’expérience dans le sens où il s’agit de permettre à tous ces groupes de se rencontrer entre eux. Qu’ils fassent plus ou moins le même type de travail ou quelque chose de tout à fait différent, le fait de se rencontrer pendant sept, huit jours, et de parler de leurs expériences leur permet à la fois de mieux voir leur propre expérience, de voir celle des autres et de l’intégrer, d’ouvrir leur champ de travail à d’autres choses auxquelles ils n’avaient pas pensé ou qu’ils ne pensaient pas importantes et tout d’un coup... ce sont de nouveaux horizons !
Cela permet d’une part de faire prendre forme à leur propre expérience quand ils la partagent avec d’autres oralement, parce qu’il y a les questions des autres, qui sont aussi des acteurs, qui sont des questions pertinentes, et qu’ils sont obligés de creuser, pour aller plus loin. Il faut expliquer pourquoi ils font comme ci, et pas comme ça, et ils arrivent ainsi à repérer parfois même des faiblesses dans leur travail, des choses qu’ils n’ont pas prises en compte et qu’ils découvrent car les autres les prennent en compte, et donc l’échange peut être une capitalisation d’expérience.
Le fait de transposer le résultat d’une capitalisation, où la démarche est de passer à l’écrit, et éventuellement de le diffuser, mais déjà de le passer à l’écrit, est un acte certes important, mais ce n’est pas le seul aspect à prendre en compte.
Je pense que pour l’organisation concernée elle-même, ce n’est pas tellement le document en tant que tel qui va être intéressant. En plus, combien de personnes vont vraiment pouvoir le lire ? C’est pour ça que la méthode est importante, qu’il y ait eu des réunions, des dynamiques de groupe..., qui font ressortir certaines choses. C’est dix fois plus important que ce qui va être marqué dans le document après. Une fois qu’un processus est enclenché, il a sa dynamique. Ce qui est important, c’est comment l’organisation va le gérer, beaucoup plus que ce qui va être inscrit dans un document. Toute la difficulté est de continuer après, de gérer toutes les questions qui sont ressorties, qui ont été formulées, car on peut très bien les laisser là.
La vraie dynamique de la capitalisation est vraiment une façon de faire systématique où tous les niveaux ont été travaillés collectivement et en tête à tête... C’est là je pense que l’on va pouvoir vraiment juger à quoi sert cette capitalisation : est-ce que c’est un document qui va faire beau, que l’on va pouvoir diffuser juste comme ça, ou est-ce que ça provoque après un processus de rediscussion, de remise en question de ce que l’on fait, de réflexion, de changement. Cela peut être quelque chose de tout à fait statique, qui va être utile de toute manière, parce que ça va permettre de valoriser quelque chose et ça peut avoir certaines répercussions. Ou alors cela peut faire avancer les choses en profondeur, ce qui va obliger l’organisation ensuite à modifier ses façons de faire.
modelo cultural, comunicación y cultura
, Asia, Francia
C. Gaudard est responsable du secteur Asie à Frères des Hommes.
Entrevista
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