09 / 2000
La Kosi est un fleuve de 500 kilomètres de long qui prend sa source au Népal et devient un affluent du Gange dans la plaine de Mithila, au Bihar, Inde. Tous les ans elle déborde. Les digues construites pour la contenir, loin de résoudre le problème, ont rendu encore plus pénible l’existence des populations riveraines. Kosi va avec kosno, qui signifie malédiction en hindi. Car des montagnes himalayennes jusqu’aux plaines fertiles qu’elle traverse avant de se jeter dans le Gange, le fleuve détruit tout ce qui lui résiste. Pendant la mousson, c’est un flux rapide, jaunâtre et boueux qui se divise en de nombreux cours d’eau enchevêtrés parmi lesquels s’étend le vert intense de riches cultures. Il ne faut pas se fier à la sérénité apparente du paysage. Pour des milliers de riverains, la vie ordinaire est des plus précaires.
Du temps des Anglais
Ce sont les colonisateurs anglais qui eurent l’idée d’élever des digues pour empêcher le fleuve d’envahir les terres cultivées le long de son cours. Ils prélevèrent pour cela un impôt sur les populations concernées. Avec la Yamuna, le Gange et l’Indus on se lança dans des travaux d’irrigation tandis qu’on essayait d’endiguer le Damodar vers 1855. Les Britanniques ne tardèrent pas à prendre conscience de leur outrecuidance. Lorsque les eaux montèrent, en de multiples endroits les digues cédèrent. Par la suite, les levées de terre des digues, des routes et des voies ferrées bloquèrent encore plus l’écoulement naturel des eaux pluviales. Il se formait des masses d’eau stagnante qui entraînaient la multiplication de moustiques vecteurs de maladies, le paludisme notamment. On comprit que c’était pure folie de vouloir domestiquer le Damodar et les autorités coloniales arrêtèrent les travaux sur la Kosi et autres cours d’eau du Bihar.
Depuis l’Indépendance
Après l’indépendance, les nouveaux responsables oublièrent ces "folles entreprises". Dans les années 1950 on élabora des programmes ambitieux pour les cours d’eau de l’Uttar Pradesh et du Bihar afin de produire de l’énergie hydroélectrique, d’irriguer les terres et de limiter les inondations. La Kosi eut droit à un projet intégré et la contruction des digues démarra en 1955. Pour des milliers de gens, répartis dans 338 villages de part et d’autre des nouvelles levées de terre, ce fut une catastrophe. Hanuman Prasad, un vieux cultivateur qui a été témoin de tous ces développements parle de piège : "Cela a détruit les relations que nous avions avec le fleuve. Nous étions à égalité. En construisant les digues, on lui a donné un arc. Plus l’arc est solide, plus la force de la flèche - c’est-à-dire le flot - sera dévastateur." Quand on cherche à contenir le fleuve, son lit se charge d’alluvions et le niveau de l’eau s’élève, le cours devient plus impétueux. En certains endroits, il se situe au-dessus des campagnes environnantes. Or il y a une limite à la hauteur des digues. "Ce qui avait été prévu pour nous protéger est devenu une source permanente de désagréments et de grandes difficultés. Nos terres étaient les plus fertiles de la région, mais aujourd’hui on ne trouve pour elles aucun acquéreur. Et l’instituteur ajoute : "Les seuls à avoir profité de tout cela ce sont les entrepreneurs et les fonctionnaires qui se sont laissé aller à des malversations". Les inondations sont catastrophiques mais saisonnières, tandis que les infiltrations et les eaux stagnantes constituent un problème permanent.
Des bonnes volontés à contre courant
Dinesh Mishra est diplomé de l’Indian Institute of Technology. Il est arrivé dans cette région après les inondations de 1984 pour participer aux opérations d’assistance aux populations touchées par la catastrophe. Il avait été très sensible à leur malheur et choqué par les conditions misérables et par l’indifférence des autorités à leur égard. Avec les gens du secteur, il a lancé une association (Barh Mukti Andolan)pour qu’ils souffrent moins des inondations. Depuis, avec les autres membres, il interpelle les autorités et sensibilise la population sur la nature des inondations et sur les problèmes liés à la construction des digues. Selon M. Mishra, une brèche dans une digue c’est le signe d’un abus de confiance. Car les gens faisaient confiance aux constructeurs. Or ceux-ci ont toujours omis de leur exposer les limites des techniques d’endiguement. Et il ajoute avec une bonne dose d’ironie : "Quand les politiciens se prennent pour des ingénieurs et que les ingénieurs se conduisent comme des politiciens, tout le monde se retrouve dans le pétrin". Au Bihar sur le front des inondations, la situation empire d’une année à l’autre. En 1952, les zones inondables représentaient 2,5 millions d’hectares. En 1994, le chiffre était de 6,89 millions d’hectares. Or, de 1954 à 1988, on est passé de 160 km de digues à 3 465 km. Et tout cela a coûté 746 crores de roupies (1 crore=10 millions). D’énormes investissements qui ont finalement fait plus de mal que de bien !
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, India, Bihar
Il semble aller de soi que, de par le monde, les Etats, même impécunieux et fort regardants sur les coûts en bien des domaines, dépensent sans rechigner pour les gros projets. Les gros chantiers s’imposent et se justifient par leur dimension, sans qu’on procède vraiment à un audit environnemental avant, pendant et après les travaux. Tout le monde n’est certainement pas perdant, mais tant pis pour ceux qui n’y trouvent plus leur compte. L’importance de la dépense ridiculise leurs récriminations.
Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org. Ce même sujet est traité plus en détail, avec cartes et photographies, dans le numéro de Down to Earth du 30 novembre 1999.
G. Le Bihan traduit les articles de Down to earth pour la revue Notre terre, vers un développement durable. Il a repris cet article sous forme de fiche DPH.
Artículos y dossiers
VANIA, Rustam, L'erreur des ingénieurs in. Notre Terre, vers un développement durable, 2000/01 (France), 2
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