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Les réseaux de compétences : comment puiser des technologies dans la Silicon Valley

Elisabeth BOURGUINAT

12 / 1999

Beaucoup d’industriels cherchent aujourd’hui à développer leurs capacités technologiques en étendant leurs réseaux loin de leurs bases, soit pour réduire les coûts de la RD (Recherche et Développement), soit parce que l’hybridation croissante des techniques rend de toute façon indispensable le recours à des compétences externes (un constructeur automobile qui veut développer un logiciel de navigation aura probablement intérêt à se tourner vers un spécialiste plutôt que de chercher à acquérir lui-même les compétences nécessaires), soit à cause de la pression du temps : l’expérience montre que l’important, si l’on veut "rafler la mise" en matière de nouvelles technologies, est d’être le premier sur le marché, notamment pour imposer ses propres standards ; il peut alors être intéressant de nouer un partenariat, fût-ce avec un concurrent, si cela permet de gagner du temps. On parle alors de "coopétition" (coopération entre concurrents).

Il semble ainsi préférable pour l’entreprise d’encourager les cancres qui préfèrent trouver une solution toute faite plutôt que les experts qui s’acharnent à résoudre eux-mêmes les problèmes : grâce à Internet, le coût d’une recherche pour savoir si quelqu’un a déjà rencontré un problème particulier a tendance à diminuer plus vite que le coût de la résolution du problème par des moyens internes.

Mais comment motiver les détenteurs de compétence à qui l’on fait ainsi appel pour qu’ils se montrent des partenaires efficaces et loyaux, en l’absence de toute relation hiérarchique ?

Selon Thierry Weil, qui a travaillé comme chercheur et comme consultant dans la Silicon Valley, où les réseaux de compétences sont particulièrement développés parce que très adaptés à la vitesse prodigieuse de création et de développement des nouvelles technologies, les demandeurs de compétences doivent avant tout s’adapter à une culture très particulière. La Silicon Valley est un village bigarré avec des professionnels pointus d’origines multiples, des "cols dorés" très mobiles qui se considèrent comme des fournisseurs indépendants ; la circulation de l’information ne connaît quasiment aucune limite, à la fois parce qu’il est impossible de la contrôler étant donnée la mobilité des ingénieurs, et parce que cette libre circulation apparaît comme une stratégie où tout le monde est gagnant, selon le calcul suivant : si dix individus se rencontrent, chacun possédant une information qui vaut cinq quand elle est exclusive et un si elle est partagée, chacun repart avec dix. En contrepartie, il n’est possible d’entrer dans le réseau que si l’on dispose d’une solide crédibilité, qui ne se fonde ni sur les diplômes, ni sur les relations personnelles, mais sur la qualité de votre dernier projet ; l’échec est cependant toléré, à condition que l’on se soit conformé aux règles de bonnes moeurs locales (on peut perdre, mais pas tricher).

La culture locale accorde d’ailleurs une place prépondérante à ces règles implicites, notamment en matière de loyauté : la plupart des engagements se prennent sur parole, car il est très difficile de prévoir dans un contrat toutes les éventualités. Ceux qui ne se comportent pas de façon conforme aux pratiques admises sont immédiatement exclus.

Il faut également être capable de s’adapter au rythme frénétique de ce milieu : beaucoup d’affaires avortent parce que les partenaires étrangers ne parviennent pas à communiquer assez vite avec leur maison-mère et mettent trop de temps à se décider.

La clef du succès passe souvent par le fait de nommer deux co-chefs de projet, l’un facilitant les relations avec l’entreprise et l’autre étant un vétéran connu de la Silicon Valley ; on règle ainsi d’emblée les deux problèmes de légitimité locale et de légitimité au sein du groupe.

Lorsque le projet réussit, il permet à l’entreprise de bénéficier de nouveaux savoir-faire, de mieux orienter ses efforts de RD, grâce à une meilleure perception des besoins présents et futurs de ses clients et partenaires et une vision plus claire de l’évolution des technologies, des standards et des marchés, mais aussi d’assimiler la culture de la Silicon Valley où les projets sont gérés en interaction avec les clients et les fournisseurs : là-bas, quand on bute sur un problème technique, on cherche d’abord avec le client s’il existe un moyen de le simplifier, alors qu’en France on met son point d’honneur à le résoudre tout seul, quels que soient le coût et le délai.

Palabras claves

empresa, empresa en red, informática, innovación, tecnología de punta, difusión de la información


, Estados Unidos de América, Californie, Silicon Valley

Comentarios

Les cols dorés de la Silicon Valley représentent-ils le comble du nomadisme ou le comble de la sédentarité ? Changeant d’employeur à chaque projet ou même à chaque nouvelle phase d’un projet, ils "ne changent jamais de parking" puisque le diamètre maximum de la vallée est de l’ordre de quarante-cinq kilomètres. Leur mobilité extrême est compensée par l’importance accordée à la loyauté et à la confiance, qui à première vue paraîtraient plutôt relever de la culture des sédentaires. Avec le rétrécissement de notre globe, peut-on imaginer que cette évolution se généralisera, une fois passé l’épisode de volatilité des investissements de toute nature et des trahisons de toute espèce que nous connaissons actuellement ?

J’ai également été frappée par la définition de la richesse qui sous-tend la petite parabole des dix détenteurs d’information : la richesse liée à l’accumulation et à l’appropriation individuelle est inférieure à celle que produit la mise en commun. Cet adage s’applique-t-il seulement aux richesses d’information ou vaut-il aussi pour les autres biens ? La richesse ne repose-t-elle pas pour une part essentielle sur la frustration et le désir générés par le manque de ce que possède autrui ? Pour répondre par la négative, il faudrait admettre que ce que nous appelons richesse n’est généralement que le signe monétaire de ce manque et de ce désir, alors que la vraie richesse serait par définition construite collectivement. Nous remercions par avance l’Ecole de Paris du Management de tenter d’éclaircir ces étranges équations.

Fuente

Actas de coloquio, encuentro, seminario,… ; Artículos y dossiers

WEIL, Thierry, DREAN, Gérard, Comment puiser des technologies dans la Silicon Valley - séminaire 'Ressources Technologiques' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1998 (France), IV

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