09 / 1998
Istanbul organisait en juin 1996, sous l’égide des Nations Unies, le premier Sommet des Etats pour parler de "ces lieux où les Hommes sont établis" (human settlements), suite aux grandes manifestations de cette fin de siècle : Rio (l’environnement), Copenhague (l’exclusion sociale)et Pékin (les femmes). Le constat est simple : pour la première fois depuis le début de l’histoire de l’humanité, la population réside majoritairement dans les villes, concentrant par là un défi majeur : comment faire en sorte de bâtir des villes à visage humain et rendre les habitants de plus en plus responsables de leur environnement ? Pour la FPH cette grande messe onusienne était une occasion exceptionnelle : faire participer ceux dont tout le monde parle mais que personne n’invite, leur permettre d’échanger leurs points de vue, construire les bases d’un réseau d’habitants capable d’élaborer collectivement des éléments de proposition pour pouvoir peser sur les instances dirigeantes. C’est ainsi que la Fondation négocia avec le UNCHS (United Nations Centre for Human Settlements)la possibilité d’organiser une petite rencontre pendant la grande Rencontre, en invitant une vingtaine d’habitants venus des quatre coins de la planète (Marseille, Lille, Rio, Caracas, Mexico, St Etienne, Dakar, etc.)à un Forum d’Habitants. Initiative titanesque quand on dispose de moyens certes importants mais limités comme ceux de la Fondation et de deux mois pour tout concevoir, prévoir et réaliser. Le système et le réseau Dph, (Dialogues pour le progrès de l’humanité)ainsi que la Librairie de la Fondation étaient pressentis comme des éléments essentiels et permanents du dispositif.
"Il fallait tout simplement que ça se fasse" nous dit Karine Goasmat, responsable de l’organisation matérielle du Forum. Le temps est une des clés de la réussite de la préparation d’une rencontre. Mais en quoi cela consiste ? Il s’agit d’identifier les participants (par des réseaux faisant office d’intermédiaires), de leur prendre un billet d’avion, d’obtenir depuis Paris leur visa ; de leur assurer hébergement et transports locaux, de veiller à l’envoi des documents et livres venant nourrir les débats sur place, de trouver sur place tout le matériel nécessaire pour la tenue des réunions ; de gérer les langues en assurant l’interprétation sur place, d’organiser des moments de convivialité, de mettre tout en place pour que la forme et les moyens s’adaptent au mieux aux résultats attendus.
Pour réussir une telle entreprise il faut, selon Karine, penser de façon la plus concrète jour par jour le déroulement de la rencontre, disposer de toute la documentation disponible sur l’organisation physique au préalable, ne pas hésiter à aller sur place 10 jours avant pour évaluer l’adéquation entre offre et besoins, lister auparavant chaque élément du puzzle dont on pense avoir besoin (la présence de la librairie a impliqué par exemple des complications douanières difficiles à gérer), identifier l’existence d’un interlocuteur valable sur place, et surtout ne jamais perdre de vue l’esprit même de la rencontre. La question du temps paraît essentielle quand il faut gérer au coup par coup et travailler dans l’urgence. Il faudrait en fait réduire les marges d’improvisation à leur plus petite expression. L’organisation d’une rencontre est aussi une opération humaine : on ne peut être efficace que si on n’est pas tout seul. Se doter d’une petite équipe logistique est le meilleur antidote à l’erreur et à l’improvisation et éventuellement çela permet d’éviter un des plus grands écueil du métier : se couper de la dynamique collective qui est en train de se créer dans la rencontre car "trop de fatigue pour partager" et "pas de temps pour tout faire".
Mais réussir une rencontre c’est aussi identifier nos faiblesses. Une de nos plus grandes difficultés à Istanbul est de ne pas avoir créé les conditions de diffusion des résultats du Forum en même temps que la rencontre officielle se déroulait. "Nous avons seulement tenté plusieurs initiatives comme la prise de parole de Zoubida Meguenni, habitante de Marseille, à la tribune d’une réunion officielle pour raconter les résultats du Forum". Les raisons à cela sont diverses : nous méconnaissions les "rouages officiels" et ne disposions pas d’alliés pouvant répercuter ces idées en dehors du Forum, nous ne nous faisions aucune illusion sur l’impact sur place et in vivo d’une démarche qui ne montrerait sa force que dans la durée. Mais il y a là un terrain pour innover.
metodología, participación de los habitantes, pedagogía
, , Turquía, Istanbul
L’apprentissage principal d’une telle rencontre ne réside par forcément dans une liste des choses à ne pas oublier, dans un lexique de ce qu’il faut prévoir. Le plus grand défi est souvent dans nos têtes et nos attitudes envers les petites choses : on ne prend simplement pas en compte ce que la préparation logistique induit comme relation avec les autres. Souvent, cela demande de savoir gérer les malentendus entre les envies des uns et les obligations des autres : il faut donner du temps pour que les malentendus s’expriment et trouver des accords qui conviennent à l’ensemble du collectif. L’autre leçon simple réside dans notre capacité à comprendre que la façon dont nous faisons les choses est tout aussi importante que les résultats que nous recherchons à obtenir. Et ici on se positionne en plein dans le champ des représentations des uns et des autres. La logistique devient alors l’art de combiner les imaginaires. Il faut une sacrée dose de volonté et de dialogue pour décortiquer les relations entre les participants et l’argent, les frustrations identitaires, les rapports entre les hommes et les femmes, entre les individus et les structures, entre les "participants" et les "participés", entres les cultures des uns et des autres. Le logisticien devient alors psychologue et médiateur, constructeur de paix et mathématicien. Il faut un minimum de réunions communes entre le groupe organisateur et les techniciens et animateurs pour mettre sur pied un cahier de charges minimal et définir les moyens logistiques. C’est sur ces critères de base que chacun peut trouver sa marge de manoeuvre et assurer ainsi une vraie réussite.
Cette fiche à été faite pendant la période sabbatique de la Fondation Charles Léopold Mayer de Septembre 98 à partir d’un entretien réalisée avec Karine Goasmat.
Entretien avec GOASMAT, Karine
Entrevista
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