D’un père commerçant et animateur d’un petit cercle politique, Mohamed Larbi Bouguerra héritera très jeune d’un intérêt pour l’engagement citoyen. Né en 1936, à Bizerte, port de la côte tunisienne, son enfance est placée sous le signe du protectorat français. Il sait en tirer le meilleur, notamment à travers les enseignements des professeurs du collège et du lycée. à sa famille, il doit une éducation musulmane, une exigence dans le travail et une fermeté des convictions.
Larbi Bouguerra a dix-neuf ans quand Habib Bourguiba effectue le retour triomphal au pays qui le mènera, quelques années plus tard, à la "présidence à vie". Sa jeunesse est marquée par les années tourmentées de la constitution de la jeune nation : autoritarisme du père de l’indépendance tunisienne, guerre entre factions politiques, changements sociaux qui façonnent le pays, tensions entre les partisans de la cause arabe et ceux d’une alliance avec la France... Etudiant la chimie à Paris, il s’affirme comme un orateur enflammé de la cause étudiante. Il fait la connaissance d’une Française, qui l’épouse et le suivra dans ses pérégrinations entre Paris, Tunis et Bizerte.
Enseignant et chercheur en Tunisie, il est stimulé par la recherche de la contribution que peut apporter un chimiste au développement de son pays. Refusant de se confiner dans l’académisme et de s’isoler dans sa spécialité, il cherche à faire le lien entre science, culture et développement : <Maudite soit la science qui n’est pas utile à la communauté des hommes>, déclare cet homme exigeant, qui ne cesse de s’insurger contre la futilité et le conformisme de nombre de scientifiques. Il réserve ses critiques les plus acerbes aux autorités politiques, dont la recherche "est le cadet de leurs soucis" et qui craignent que des intellectuels ne leur fassent de l’ombre. Un "horrible échec" : ses mots sont durs pour qualifier l’état de la recherche en Tunisie...
Afin de contourner l’inertie du pouvoir, il se hisse à l’assaut des médias. Pendant douze ans, il anime à la radio nationale une émission hebdomadaire intitulée "Le charme discret de la science", où il aborde des sujets d’actualité en rivalisant d’astuce pour maintenir l’auditeur en haleine. Il met en lumière les risques que présente la science, autant que les opportunités qu’elle offre. Il laisse voir une sensibilité croissante à l’écologie, ce qui le conduira plus tard à collaborer à la publication de "L’état de l’environnement dans le monde".
Le progrès scientifique et l’environnement : voilà de quoi s’insurger ! Les méfaits des pesticides, l’inconséquence des politiques d’industrialisation, le manque de maîtrise sociale des recherches sur la transgenèse... Larbi Bouguerra dénonce avec vigueur l’irresponsabilité des choix des décideurs politiques et la perversion que constitue la recherche du profit dans l’émergence et le développement des innovations techniques.
<Je ne me considère pas comme un écologiste, si ce terme ne recouvre qu’un souci environnemental ou les excès de quelques apôtres du naturel. La teneur en pesticides du beaujolais, c’est une queue de cerise si on ne la relie pas à la marche globale de la société. Les produits "bios", exempts de pesticides mais truffés de métaux lourds, sont-ils vraiment recommandables ? On ne peut pas poser les questions environnementales indépendamment des conditions de vie des gens. à l’entrée des supermarchés, la plupart des consommateurs n’ont pas le choix ; voilà le vrai problème, auquel on ne peut remédier que par une remise en cause globale de nos niveaux de vie. Et il en va ainsi pour toutes les atteintes à notre planète et à ceux qui l’habitent.>
Pour Larbi Bouguerra, le constat d’une frontière de plus en plus floue entre les pays riches et le tiers monde ne doit pas occulter la permanence d’un terrible fossé Nord-Sud. La sphère scientifique n’échappe pas à cette partition : le chimiste tunisien a dû subir à plusieurs occasions les manifestations du racisme. Il dénonce avec force la banalisation de cette situation et - en France - la régression du débat au profit de la glorification de l’individualisme et de la recherche forcenée de dérivatifs sportifs ou ludiques. Il n’est pas moins sévère pour les pays arabes, où il voit apparaître avec désolation l’intolérance comme guide pour l’action : <Pour moi, l’essence de l’islam est un message d’égalité et de justice (...)Et je ne pense pas que les États puissent passer leur temps à contrôler la longueur des jupes des femmes, comme en Iran, ou les poils de barbe des hommes, comme chez les talibans>.
"Patriote ulcéré", comme l’appelle l’un de ses amis, Larbi Bouguerra est un homme libre qui a su conserver la capacité de s’insurger contre la bêtise et l’inconséquence. Il est l’un des animateurs de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire.
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, Túnez, Francia, Maghreb
Libro
BOUGUERRA, Mohamed Larbi; VERFAILLIE, Bertrand, Indépendances, Descartes et Cie, 1998 (France)
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