Langue des signes et langue parlée, le bilinguisme comme marque de respect de la condition des sourds
04 / 1999
Un enfant sourd doit-il apprendre à parler ? Oui, si on considère le consensus qui prévaut à ce sujet chez les parents, soutenus en cela par les professionnels. Pour que la surdité n’entraîne pas la mutité, il existe en effet diverses techniques d’apprentissage de la parole. Leur efficacité comparée est mal connue et fait l’objet de polémiques mais, si les moyens sont discutés, l’objectif n’est pas remis en cause.
Est-il alors utile d’apprendre la langue des signes ? La réponse est moins certaine. Il y a en effet plusieurs objections à cela. La première est la crainte de faire du sourd un muet définitif. Nombre de parents le redoutent, à la fois par angoisse de faire de leur enfant un inadapté social et pour des raisons plus profondes, qui font que l’on assimile souvent la parole à la nature humaine. "La parole distingue l’homme entre les animaux", nous dit Rousseau. On craint également de l’enfermer dans un ghetto, celui des sourds "signeurs", alors que la parole l’inciterait à établir le contact avec les entendants. Enfin, on fait état des limites de la langue des signes : elle ne permettrait pas de traduire des mots techniques et elle serait difficile à apprendre.
Il est vrai que cette langue est difficile à apprendre. En outre, l’apprentissage n’est pas pris en charge par la sécurité sociale, alors que l’apprentissage de la parole l’est. En revanche, il est inexact de dire qu’elle ne permet pas la traduction de mots techniques. Si certaines personnes n’y parviennent pas, c’est que leur connaissance de la langue est insuffisante. La langue des signes permet aussi d’exprimer avec force ses sentiments. C’est peut-être plus important encore que d’exprimer des mots techniques...
La langue des signes permet aux sourds de communiquer entre eux. Est-ce pour autant qu’ils s’enferment dans un ghetto ? A Paris, les juifs vivent ensemble dans leur quartier, peut-on l’appeler ghetto ? Les sourds doivent pouvoir communiquer entre eux, et la langue des signes est le meilleur outil pour cela.
Certes, la langue des signes ne permet pas une communication avec les entendants. Si les proches peuvent l’apprendre - c’est une marque d’intérêt pour la personne sourde - il n’en est pas de même pour tous. La langue des signes ne sert à rien pour aller acheter de la viande chez le boucher ! La parole est alors fort utile. Mais plus encore que la parole, c’est le respect qui permet aux entendants d’écouter et de comprendre les sourds. Pour forcer le respect, l’attitude des sourds est décisive : ils doivent avoir confiance en eux-mêmes, ne pas se sentir inférieurs aux entendants, ne pas avoir honte de ce qu’ils sont. Forcer le respect, ce n’est pas tenter de passer pour un entendant lorsqu’on ne l’est pas, mais faire valoir sa différence.
Il n’est pas question pour autant de priver les sourds des techniques permettant de suppléer à leur manque d’audition, comme les appareillages auditifs. Mais il faut leur laisser le choix, y compris pour les jeunes enfants, d’y avoir recours ou non, selon leurs besoins.
Il faut regretter les polémiques entre les partisans des sourds "signeurs" et ceux des sourds "oralistes". Cette ségrégation - qui semble être le fait des entendants plutôt que des sourds eux-mêmes, qui en font pourtant les frais - ne fait que disperser les forces qui doivent être consacrées à l’amélioration des conditions de participation des sourds à la vie en société et à leur éducation. Le bilinguisme est une façon d’apaiser cette controverse et une marque de respect envers la condition de surdité.
religión y sociedad, religión
, Francia
Cette intervention de M. Bendayan est extraite de la mémoire du Troisième Congrès international de la Société européenne de santé mentale et surdité (ESMHD), qui rassemble plus de quarante exposés, essentiellement de professionnels de la surdité, et qui s’est tenu à Paris en décembre 1994.
M. Bendayan, père d’un jeune enfant sourd, est président du Groupe d’Etudes et de Recherches sur la Surdité (Paris)et fondateur de la revue Signes de Vie.
Libro
BENDAYAN, M., Surdité et bien-être, Charles Léopold Mayer in. Document de travail, 1995 (France), n° 94
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