L’abandon de la logique des projets
12 / 1998
La coopération internationale, même non gouvernementale, a été profondément marquée par l’idée du "bon projet", celui qui était porteur de la bonne solution aux problèmes concrets. Les plus grands échecs sont peut-être dus à cette imposition culturelle, assortie de ressources économiques qui, même peu élevées, sont significatives pour les groupes en question. En Amérique latine même, beaucoup d’ONG, d’associations, d’Eglises ou autres, ont adhéré à ce type de coopération basée sur des projets.
Il sera toujours nécessaire de bâtir des projets pour établir des relations de coopération. Le problème réside dans le fait de concevoir des solutions techniques et économiques indépendamment du public ciblé, des pauvres et des exclus, qui sont en fait les vrais acteurs, avec leurs tensions et leurs luttes, et en dehors des processus dans lesquels ils sont engagés. Ainsi la coopération a pu bâtir tout un ensemble d’équipements et de propositions pour faire face à la pauvreté; mais tous ces moyens se révèlent inefficaces pour changer les conditions de vie de la population à laquelle ils sont destinés.
Ayant compris cela, on expérimente de nouvelles formes et de nouvelles initiatives de coopération. Un exemple assez significatif est la coopération franco-vénézuélienne autour de la création de "marchés" (ferias)dans la région nord-ouest du Venezuela articulant des associations de producteurs agricoles avec des mouvements de consommateurs urbains. La coopération internationale n’est pas à l’origine de ces marchés. Au contraire, elle est arrivée bien plus tard, répondant à une demande concrète, pour compléter et consolider un processus déjà en cours. Cette expérience possède sa dynamique propre. L’impact local n’est pas seulement économique, en termes de réduction des prix pour les consommateurs du milieu populaire urbain, ainsi que de garantie de vente pour les petits producteurs agricoles : à partir de l’économique, on développe la participation citoyenne et la solidarité, on lance les bases d’une société juste, capable d’affronter ses propres problèmes.
L’appui de la coopération internationale au MST (Mouvement des Sans Terre), au Brésil, fournit également des éléments très utiles. Pour la coopération internationale, il n’a pas été facile de parier sur ce processus plein de contradictions et de luttes; un petit nombre seulement a cru et croit encore au potentiel constructif des luttes. D’autre part, le MST lui-même, très jaloux de son autonomie et conscient de son pouvoir, impose des normes de coopération qui rendent difficiles l’échange et l’apprentissage mutuels.
Même en pariant sur ce genre de processus, d’énormes échecs peuvent se produire. Dans ce sens, l’exemple de la coopération entre l’administration du quartier de Campina Grande (Etat de Paraiba, Brésil)et la ville de Meaux, en France, est significatif. Conçue dès le point de départ comme un échange, un processus d’aide mutuelle concernant un grand nombre d’acteurs, l’expérience de coopération a buté contre la fragilité du processus d’organisation à Campina Grande. Le quartier choisi n’avait pas d’organisation populaire, ni une tradition de lutte analogues à celle des quartiers français. Même sous une forme renouvelée, il faut qu’aux deux bouts de la coopération des groupes puissent devenir interlocuteurs et partenaires. La volonté des fonctionnaires du gouvernement local ne peut pas se substituer à la dynamique des habitants des favelas qui cherchent de nouvelles conditions de vie et de travail.
Un autre aspect fondamental de la coopération internationale est la complicité dans le partenariat. Le partenariat, en lui-même, ne peut pas éviter l’échec d’un certain nombre d’actions concrètes de coopération, mais il crée les conditions pour une gestion plus adéquate. Ici, il est utile de rappeler la tendance de l’"offre" de coopération à imposer ses points de vue, ses caractéristiques un peu autoritaires et arrogantes, même quand il s’agit de groupes ou d’organisations non gouvernementaux. La maîtrise sur les ressources financières donne un tel pouvoir aux groupes européens que, très souvent, même le dialogue devient difficile. A cause de ces ressources, ceux qu’on appelle "donateurs" oublient qu’aucune action ne peut être réalisée sans le concours des partenaires et qu’ils ont, bon ou mauvais, un savoir-faire absolument nécessaire.
Une première condition indispensable au partenariat est donc l’existence d’acteurs structurés et de processus concrets d’action. Dans le cas de l’expérience d’urbanisation de quartiers pauvres au sud du fleuve Riachuelo, à Buenos Aires, les conditions pour une coopération en partenariat ont paru réunies : un grand nombre d’associations de quartier, une volonté politique des municipalités et des entreprises privées qui agissent dans la région, des autorités et des institutions gouvernementales, telles la Banque de la Province de Buenos Aires et la Fondation El Riachuelo. Construire un partenariat à partir d’une diversité d’acteurs constitue une articulation complexe; tant bien que mal, on y arrive, mais l’asymétrie du pouvoir entre les acteurs reste prégnante. Cependant, le processus d’urbanisation dans les quartiers de Riachuelo a gagné en qualité.
Un exemple de coopération impliquant la négociation d’un partenariat complexe est donné par la FASE (Fédération d’Organismes d’Assistance Sociale et d’Education), une ONG engagée dans l’éducation populaire, le soutien aux acteurs et la promotion de la citoyenneté. Elle a son siège à Rio de Janeiro et possède des équipes dans différentes régions du Brésil. Ayant plus de trente années d’existence, la FASE a toujours été en relation avec la coopération internationale, particulièrement européenne. Dès la fin des années 1970, et pour sortir de la logique des projets individualisés et de la négociation bilatérale avec chaque agence, la FASE a maintenu une relation originale avec ses partenaires internationaux. Ici, il ne s’agit pas exactement de la reconnaissance d’un processus local, dans lequel sont directement engagés divers acteurs sociaux, avec qui on établit des relations et des actions concrètes. C’est la FASE elle-même qui est au centre, en tant qu’intermédiaire et acteur social particulier, engagée dans une multiplicité d’actions et de luttes. Des engagements et des complicités sont lancés pour une durée de trois ans, entre la FASE et plus d’une dizaine d’organismes européens de coopération, définissant ensemble les priorités, les formes d’action, les structures d’appui, l’animation et l’évaluation ainsi que les mécanismes de financement. L’expérience crée des réciprocités et un apprentissage mutuel, mais sa gestion est complexe car elle est trop rigide pour les partenaires européens.
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Cândido Grzybowski est délégué général de IBASE (Institut brésilien d’analyses sociales et économiques), Rio de Janeiro.
Artículos y dossiers
GRZYBOWSKI, Cândido, Compassion, ou complicité ? Fleurs et épines des pratiques de coopération in. Economie et humanisme, 1998/04/ (France), 344, Ethel Del Pozo-Vergnes, "Quand le pétrole ne nourrit pas son monde : les marchés de consommation familiale de Barquisimeto", au Venezuela, Paris, 1995.
CEDAL FRANCE (Centre d’Etude du Développement en Amérique Latine) - Francia - cedal (@) globenet.org