Séverine BENOIT, Geneviève PILLET
10 / 1998
Geneviève Pillet, membre fondateur de l’ASSAILD (Association d’Appui aux initiatives Locales de développement): "Je pense que la réaction paysanne de refuser l’aide est rare. Certaines personnes ont déjà mûri des questions depuis des dizaines d’années, et arrivent à un certain stade d’exigence mais le refus de l’aide, je n’en ai pas vu beaucoup. Plutôt, on la prend et on essaie de se débrouiller pour en faire ce que l’on veut. Mais refuser vraiment l’aide, c’est dur. C’est difficile, même au niveau de l’ASSAILD ! C’est à dire que, depuis le début (1985), on a obtenu que les financeurs participent au budget général, non pas en finançant chacun une ligne du budget mais chacun par un pourcentage du budget total. La Coopération suisse est venue ces dernières années et elle voulait absolument sortir une rubrique et être la seule à financer cette rubrique-là, alors que l’ensemble avait déjà été présenté aux autres financeurs. Et cela a été très difficile, car on se disait: "la Coopération suisse veut nous faire revenir en arrière".
Au sein même de l’ASSAILD on a beaucoup discuté. On a conclu que c’est un de nos financeurs, un gros financeur, et que pour l’instant nous ne sommes pas capables de nous passer de lui. Refuser de l’aide n’est pas si simple parce que cela a des conséquences. On s’est battu comme on a pu et puis nous sommes arrivés à un compromis. La coopération suisse ne voulait financer que la seule rubrique "production" pour des raisons idéologiques. Or, ce volet d’appui à la production, ce sont des idées qu’eux mettent en pratique dans leurs centres de formation. Et ils nous ont demandé de participer à cela. Nous, nous avons été d’accord, parce que l’on adhère aux objectifs de travailler avec cette optique de production. Nous, on choisit les paysans qui vont être formés dans tel centre et on les suit individuellement une fois qu’ils sont sortis du centre.
Mais les responsables de l’aide suisse veulent pouvoir nous contrôler à 100%, voir si l’on applique vraiment leurs théories à 100%, si l’on fait vraiment ce qu’ils demandent, et que l’on ne garde pas une marge d’autonomie. Cela va loin car ils arrivent même à vouloir intervenir à l’intérieur des règlements internes de l’ASSAILD. Surtout au point de vue financement et fonctionnement. Par exemple, les perdiems. En Afrique, tout le monde se plaint des perdiems, c’est vrai que cela peut être une plaie, mais cela existe. On ne peut pas dire du jour au lendemain: "on ne donne pas de perdiem, parce que le financeur ne veut pas". Dans toutes les autres ONG il y a des perdiems. Les perdiem ont été discutés au sein de l’ASSAILD, ils ont été acceptés par le conseil d’administration, on a fait un barème et tout. Mais le bureau de la coopération à Ndjaména veut que nous cessions d’en donner, parce que lui ne donne pas de perdiem à ses employés. Or, nous allons collaborer avec eux, l’on va se retrouver sur le même terrain et que les uns auront des perdiems, les autres n’en auront pas. Eux disent à l’ASSAILD que ce n’est pas bien de donner des perdiems et qu’il faut les supprimer. C’est quand même aller un peu loin dans le fonctionnement d’une organisation indépendante. Ils disent qu’ils ne nous l’ont pas imposé, mais que si l’on accepte pas, ils ne vont pas continuer à nous financer ! Ce n’est pas évident ! La coopération suisse n’a pas encore vraiment l’habitude de travailler avec des structures indépendantes. Ce sont, dans leur esprit, toujours des "projets". Au Tchad, tout ce qu’ils financent ce sont des projets de la coopération suisse, et pour finir l’ASSAILD est devenu, pour eux, un "projet" de la coopération suisse. Alors que nous ne sommes pas un projet de la coopération suisse.
Cette difficulté est récente. Juste depuis que l’on a accepté de travailler à appuyer leur projet de centre de formation. Pour nous, ASSAILD, nous occuper de ce volet-là entre dans notre programme, dans notre vision, mais eux estiment que c’est leur projet et que c’est nous qui entrons dans le leur. Et que, par conséquent, ils doivent nous contrôler et tout contrôler. Nous, on pensait avoir une relation de collaboration mais c’est presque devenu une relation de dépendance. Comme notre approche est globale, comme notre vision, c’est un peu gênant vis-à-vis des autres financeurs de l’ASSAILD dont certains nous épaulent depuis près de 15 ans ! Pour le moment, les divers financeurs n’ont pas tellement de contacts entre eux.
Je pense que l’aide est souvent une forme de chantage: "si vous ne faites pas cela, on ne vous finance pas". Il faut vraiment se battre. C’est là que l’on rejoint l’idée de partenariat: dans quelle mesure on accepte un vrai partenariat? C’est à dire que l’on fait confiance et que l’on accepte les idées de l’autre, mais pas à sens unique. Les conditions qu’il faudrait pour qu’avec la Coopération suisse cela puisse devenir un partenariat sont très difficiles à réunir. Finalement, on a trouvé un compromis, plus ou moins. Jusqu’à présent, on présente un plan d’action et un budget triennal, en même temps à nos différents financeurs. On dit à chacun: "on aimerait bien que vous nous donniez à peu près tant, les autres tant" etc., pour arriver à couvrir le total du budget. Et cela se négocie avec plusieurs partenaires, mais sur la base d’un seul document".
organización campesina, cooperación, ONG, agencia financiadora, cooperación internacional
, Chad, Moundou
Une militante suisse membre d’une ONG tchadienne expérimentée ressent comme une contrainte injustifiée que l’association soit assimilée par l’un de ses partenaires financiers (la Coopération publique suisse)à un projet bilatéral, ou à un sous-traitant. Est-ce un effet, probablement négatif, de la mode de la décentralisation ?
Entretien à Bonneville, septembre 98
Entretien avec PILLET, Geneviève
Entrevista
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