Séverine BENOIT, Geneviève PILLET
10 / 1998
Geneviève Pillet, membre fondateur de l’ASSAILD (Association d’Appui aux Initiatives Locales de développement): "Le travail avec les organisations paysannes c’est un peu partout la même chose, dès qu’elles sont à un certain niveau. Au niveau de base elles peuvent avoir un objectif assez clair, par exemple la culture du riz ou l’irrigation. Mais dès qu’elles commencent à se regrouper en Unions locales, on a l’impression que leurs responsables veulent tout faire à la fois. C’est une des difficultés dans l’accompagnement. C’est vrai qu’en milieu paysan tous les problèmes se posent à la fois. Alors la difficulté de l’aide est de savoir comment conseiller les responsables des Unions: "Vous ne pouvez pas tout faire, il ne faudrait pas le cumul des fonctions, il faudrait des comités différents pour chaque activité; il y a des différences entre une coopérative de producteurs ou un syndicat de défense devant une société commerciale". Nous leur disons tout cela ... On voit les choses, on arrive vite à faire des sortes de théories, mais comment guider les gens qui veulent tout faire à la fois?
Par exemple, ils veulent s’occuper des écoles, ils veulent avoir une bibliothèque, ils veulent avoir un grenier communautaire, ils veulent la Caisse d’épargne et toutes ces activités ils veulent les faire avec un seul et même comité ! Et encore d’autres activités parfois: les groupes des femmes, les groupes des jeunes, les sportifs ... ils veulent coiffer tout cela. La question est de savoir comment les aider, sans leur dire "non, il ne faut pas faire tout cela", parce qu’eux ils veulent faire tout cela. Dire plutôt : "comment va-t-on réfléchir? Comment peut-on le faire? Comment peut-on mettre cela en place?" Ce sont des choses difficiles à discuter.
Nous, on prend le temps parfois de réfléchir à la question: "pour nous qu’est-ce que c’est qu’une organisation paysanne idéale?" Il faut que nous ayons aussi nos idées, sans les imposer, réfléchir à l’avance sur le positif et le négatif : quels sont les risques si on marche dans telle direction, quels sont les risques si l’on marche dans telle autre direction. Ensuite arriver à faire réfléchir les gens, pour qu’ils sentent ces problèmes-là, parce qu’ils ne les sentent pas.
Je pense à une organisation paysanne avec laquelle on a fait toute une réflexion là-dessus, on a fait des dessins pour se situer les uns par rapport aux autres (qui fait quoi ? etc.). Ils ont bien vu qu’ils ne pouvaient pas tous tout faire. Qu’il fallait qu’ils réfléchissent pour savoir comment faire pour que ceux qui s’occupent de la bibliothèque soient responsables de la bibliothèque, que ceux qui s’occupent du grenier soit responsables du grenier et puissent prendre leurs décisions eux-mêmes, puissent réfléchir eux-mêmes. Et puis ils acceptent toutes sortes de membres, par exemple ils acceptent des membres du premier degré (tel groupement)ils acceptent des membres du deuxième degré (telle Union de groupements)dans leur association et pour finir on ne sait plus qui est membre, ni avec quels droits, ni comment. C’est difficile dans un milieu de refuser quelqu’un...
Accompagner ces gens dans leur réflexion est beaucoup plus difficile que d’imposer quelque chose. Fidèle, notre coordinateur, réfléchit beaucoup sur ce que les gens doivent savoir dès le départ à propos de ce qu’ils veulent faire: une coopérative, un syndicat, une association à but social ou à but économique, car selon le cas ils ont à s’organiser différemment. Mais les gens n’ont pas du tout cette préoccupation. Celui qui aide doit, lui, avoir des choses assez claires dans sa tête pour pouvoir les aider à s’organiser en fonction de leurs objectifs. On ne va pas donner le même type d’appui à un syndicat qu’à une coopérative. Alors il faut que les gens de l’aide soient eux-mêmes préparés, qu’ils aient eux- mêmes réfléchi et qu’ils aient les compétences dans les différents domaines d’aide. Qu’ils soient capables d’orienter les gens et de leur donner de la formation, des outils de gestion ou de réflexion bien adaptés. Il faut être prêts en conséquence.
Mais je pense que l’on a assez peu échangé dans ce domaine au niveau des divers organismes d’aide. Souvent, quand on invite les gens des autres organisations à venir réfléchir avec nous, on a l’impression que les appuyeurs ne réfléchissent pas totalement à ce qu’ils font. Réfléchir à l’avenir du monde paysan et comment on peut aider. Il est difficile de trouver le temps de réfléchir et d’échanger avec les autres. Quand on est sur le terrain, on va de l’avant, et s’arrêter pour réfléchir ce n’est pas facile. A l’ASSAILD on s’oblige à le faire. On avait dit qu’on ferait une journée de mise en commun et de réflexion par mois, mais on n’y arrivait pas. Maintenant, on prend la peine de quitter le bureau parce que si on reste dans notre siège, on ne peut rien faire. On décide d’un programme de réflexion et on s’y met.
Il nous arrive d’avoir ces réflexions avec les organisations paysannes que nous appuyons. Cette année on a prévu que le thème sur lequel on avait réfléchi avec les ONG, on l’étudierait avec les paysans. Le thème était "l’organisation paysanne idéale", définir quelles organisations paysannes on aimerait ! Après avoir eu les 2 avis, cela pouvait être intéressant de faire des réunions communes, appuyeurs et appuyés ensemble. Mais il y a toujours le problème que nous sommes limités sur le terrain, parce que le travail réel avec les organisations paysannes on peut bien le faire en saison sèche mais dès que les gens sont en période de culture, ils sont moins disponibles. Faire des ateliers, passer 1 ou 2 jours ensemble, cela n’est pratiquement pas possible entre juin et décembre ! Le temps de travail est en réalité relativement court pour faire vraiment un bon travail de réflexion et d’accompagnement. Cela ne veut pas dire que les gens ne se réunissent pas sur place. Leurs activités d’association continuent. Mais pour nous, pour les trouver tous ensemble ou leur bloquer un jour, c’est un peu difficile. Et aussi les déplacements en saison des pluies, c’est difficile".
organización campesina, ONG
, Chad, Moundou
Qu’est-ce que c’est une association paysanne idéale ? Convient-il de tenter de le prédire pour être capable d’aider ses responsables à la construire ? Avec qui en parler quand on est membre d’une association d’appui travaillant au Sud du Tchad ? Et puis, que conseiller à ceux des responsables paysans qui veulent tout entreprendre par eux-mêmes ?
Entretien à Bonneville, septembre 98
Entretien avec PILLET, Geneviève
Entrevista
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